Que faut-il pour que l’image de la justice togolaise soit perçue sous un autre prisme par les justiciables ? Changer les hommes qui la rendent. Parce qu’à force de côtoyer les mêmes visages au fil des années, des « affinités » dangereuses finissent par naître. Mais le ministre de la Justice saura-t-il se départir de l’émotion et poser des actes forts qui seront appréciés par la majorité en s’affranchissant des pressions d’une minorité ? Quelle catharsis pour circonscrire le mal judiciaire avant la rentrée prochaine ?
Avoir affaire à la justice togolaise donne des sueurs froides depuis quelques années aux citoyens. Non pas parce qu’ils sont dans le tort, mais parce que de plus en plus, les décisions à prendre dans les dossiers relèvent plus d’accointances que de jugements guidés par l’éthique et la déontologie. Des juges font usage de girouettes et torsions qui donnent le tournis. Ce faisant, avoir à répondre devant la justice togolaise rassure ou terrorise, selon qu’on dispose de « relations » et de moyens, ou qu’on est démuni et pauvre.
Aussi, l’information selon laquelle il y aurait comme une senteur d’affectations viendrait à point nommé pour stopper l’élan de juges qui ont pris trop de libertés avec la chose juridique. Mais alors, cette décision devra être effective le plus tôt possible, ceci pour que tous ceux qui iront sous d’autres cieux –indéboulonnables comme simples juges- prennent les dispositions qu’il faut pour leurs progénitures sur le plan de l’éducation scolaire.
Le projet d’affectation coïncide avec la fin de mandat du Conseil supérieur de la magistrature (CSM). L’idéal aurait été que le ministre, ensemble avec le chef de l’Etat, désignent d’abord un nouveau président de la Cour suprême, l’actuel ayant montré ses limites dans divers dossiers. A moins que Faure Gnassingbé ne veuille présider lui-même aux destinées de l’organe chargé de réguler la gestion des magistrats. L’ancien devra quitter ses deux fonctions. Mais des postes éminemment sensibles devront être occupés par de nouvelles têtes si tant est qu’on tient à redorer le blason d’une justice ternie.
A commencer par les cours d’appel dont les présidences et le parquet général inspirent de moins en moins confiance. Lorsque, pour plaire à un ou des supérieurs, on prend des décisions iniques, ce sont des investisseurs en moins qui se bousculeront aux portes du Togo, l’instance chargée de trancher les conflits n’étant pas à la hauteur des attentes des investisseurs qui n’aiment pas « jeter l’argent par la fenêtre ». Dans les tribunaux, le mal est tout aussi profond. Des substituts qui omettent de transmettre des dossiers à l’instruction, dans l’espoir de pouvoir « négocier » avec les parents de prévenus, ou des juges d’instruction qui font irruption dans des prisons pour escroquer des prévenus, d’autres encore qui délivrent des mandats de dépôt sans avoir auditionné des prévenus, les tribunaux en comptent à profusion. Il suffit, au cas où certains voudraient douter de ces constats, de faire irruption dans les prisons du pays pour écouter certaines charges ; on comprendra alors que le visage hideux souvent collé à la justice togolaise n’est point usurpé.
Rappelons que dans la carrière du magistrat, l’avancement en échelons se fait tous les deux ans s’il n’a pas reçu de sanction. Quant à l’avancement en grade, c’est effectif après plusieurs échelons et suite à la notation de la hiérarchie. Pour les affectations donc, les critères cumulés sont le grade, l’échelon et l’aptitude du magistrat. Mais la hiérarchie pourra-t-elle dire, en son âme et conscience, qu’elle a toujours suivi ces critères cumulés en 2016 avec des affectations à double ou triple dimension? Elle a eu à maintes reprises à procéder à la politique de deux poids deux mesures : des magistrats coupables de fautes et de corruption ont « échappé » à la colère du CSM pendant que d’autres, pour des vétilles, ont été sanctionnés. Comme si l’appartenance à cette institution était synonyme d’absolution. Des magistrats de grades inférieurs se sont vu propulser à des postes que leurs épaules ne peuvent pas supporter alors que d’autres sont ciblés pour leur caractère teigneux. Et que dire du nouveau système « d’ascenseurs » qui veut que des juges ayant quitté une cour inférieure, y soient ramenés pour « manger un peu » ? Ou de celui du « maintien » qui voit certains devenir des « carriéristes » rien qu’en première instance ?
Lorsqu’il était Inspecteur général des services juridictionnels et pénitentiaires, l’actuel ministre de la Justice, Pius Agbetomey s’était demandé, lors de la présentation de la Directive 001 relative à l’éthique et à la déontologie du magistrat, si on voulait qu’il se taise sur les comportements des juges. C’était en 2013. Toute la salle avait applaudi parce que les affectations ayant précédé cette rencontre étaient parmi les plus objectives. Mais depuis, de l’eau a coulé sous les ponts, les digues ont pris l’eau, des fissures se sont fait voir, le temps a corrodé la superstructure, et la « carrière magistrale » s’est réduite à un jeu de dés qu’on prend un vilain plaisir à manipuler dans un sens ou dans un autre, selon que la hiérarchie est « proche » d’un magistrat ou non.
Que diront les justiciables des tribunaux et cours d’où seront déplacés des juges après les affectations ? « Ici a vécu un juge », ou bien « ici a vécu la loi » ? Le même ministre Agbetomey a posé ce dilemme lors d’une rentrée judiciaire de la cour d’appel il y a quelques années. Nous y voilà.
Des prévenus de droit commun vont certainement payer un tribut supplémentaire du fait de ces affectations. Plus précisément, ceux dont les dossiers pourraient connaître quelque issue en ce mois pourraient séjourner quelques jours et semaines de plus, le temps que les nouveaux locataires s’acclimatent à leurs nouveaux postes. A moins qu’ordre ne soit donné pour que les urgences soient traitées avant tout départ consécutif à une affectation.
Au Ghana, au Kenya, ou encore au Gabon plus récemment, de hauts magistrats ont été sanctionnés ou suspendus, les uns pour des fautes, les autres pour avoir été en phase avec les textes et la loi. Dans ces pays, l’arsenal juridique pour mettre tous les juges sur un pied d’égalité existe et est appliqué. Mais tant qu’au Togo les lois seront conçues pour certains alors que d’autres peuvent se faufiler entre les mailles de la justice, il sera toujours question de « justice à la togolaise ». Parce que la hiérarchie aura failli.
Rappelons pour toutes fins utiles que le rapport 2019 de Transparency international a permis de mesurer la perception de la population sur la corruption au sein de la justice : 48% en 2015 contre 55% en 2018. Des sondages révélateurs qui doivent donner à réfléchir à ceux qui veulent le bien de la justice togolaise.
Abbé Faria
Source : Liberté N°2994 Lundi 02 Septembre 2019
27Avril.com