Le corps des magistrats serait-il un corps au-dessus des lois togolaises ? Au moment où les autorités bombent le torse d’avoir mis sur pied la Haute autorité de prévention et de lutte contre la corruption et les infractions assimilées, il est un corps dont le statut protège les membres de poursuites pénales en cas de corruption. C’est le corps des magistrats.
Si ailleurs dans le monde, tous les corps liés à la justice sont égaux devant la loi, surtout en cas de corruption, au Togo, il existe une exception. Commissaires-priseurs, greffiers, notaires, avocats, sont passibles de peines de prison comme tout citoyen, conformément au Code pénal. Sauf le corps des magistrats.
Loi organique n°96-11 du 21 août 1996 portant statut des magistrats. C’est d’abord l’article 9 qui dispose : «…les revendications des magistrats sont portées devant le Conseil supérieur de la magistrature. Toute action concertée de nature à arrêter totalement le fonctionnement des juridictions est interdite ». Cet article ne serait-il pas la source de la toute puissance du corps des magistrats qui, à chacune de leurs revendications, trouvent satisfaction pendant que leurs collaborateurs greffiers sont livrés aux desiderata de monsieur le ministre de la justice ?
Les justiciables se plaignent du racket institutionnalisé qui sévit au sein du corps. Mais en parcourant le même statut, il semble qu’une absolution est promise aux juges coupables de corruption, depuis le sommet.
Article 28. « Tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l’honneur, à la délicatesse, à la probité morale ou à la dignité constitue une faute disciplinaire.
Article 29. « En dehors de toute sanction disciplinaire, les chefs de Cour ont le pouvoir de donner un avertissement aux magistrats placés sous leur autorité ».
Article 30. « Les sanctions disciplinaires applicables aux magistrats sont : la réprimande avec inscription au dossier ; le déplacement d’office ; le retrait de certaines fonctions ; l’abaissement d’échelon ; le retard à l’avancement ; la radiation du tableau d’avancement ; la rétrogradation ; la mise à la retraite d’office ; la révocation sans suspension des droits à pension ; la révocation avec suspension des droits à pension ne pouvant excéder cinq ans ».
En d’autres termes, la peine de prison n’est prévue nulle part, contrairement au Code pénal qui ne fait pas de distinction entre citoyens, définit et punit ainsi la corruption en ses articles 594 et 595. Constitue une corruption des agents publics nationaux, le fait par :
1) toute personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ou investie d’un mandat électif public ou tout agent de l’Etat de solliciter ou d’agréer, sans droit, directement ou indirectement, des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques pour lui-même, pour autrui ou une entité afin d’accomplir ou de s’abstenir d’accomplir un acte de sa fonction, de sa mission ou de son mandat;
2) tout magistrat, juré ou toute autre personne siégeant dans une formation juridictionnelle, tout fonctionnaire au greffe d’une juridiction, tout arbitre ou tout expert nommé soit par une juridiction, soit par les parties ou toute personne chargée par l’autorité judiciaire d’une mission de conciliation ou de médiation, de solliciter ou d’agréer, sans droit, à tout moment, directement ou indirectement, des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques, pour lui-même oupour autrui ou une entité pour l’accomplissement ou l’abstention d’un acte de sa fonction;
3) toute personne de proposer à tout moment des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques, pour elle-même, pour autrui ou une entité afin d’obtenir d’une des personnes citées aux points 1 et 2 ci-dessus, l’accomplissement ou l’abstention d’un acte de sa fonction, ou de céder aux sollicitations de ces personnes.
Comme on peut le constater, les faits dans lesquels les magistrats au Togo sont impliqués constituent bien des actes de corruption. Aussi, l’article 595 punit cet acte : « Toute personne coupable de corruption au sens de l’article précédent est punie d’une peine de cinq (05) à dix (10) ans de réclusion criminelle et d’une amende égale au double de la valeur des promesses agréées ou des choses reçues ou demandées, sans que ladite amende puisse être inférieure à deux millions (2.000.000) de francs CFA ». Pourquoi alors le statut des magistrats ne reprend-il pas le code pénal que les juges appliquent aux citoyens tout en s’en préservant ?
Nous avons approché un magistrat qui estime que « même les magistrats sont passibles de peine de prison, qu’aucun corps n’est exempté de poursuites pénales, tout dépend ». Un autre pense que « tout le monde peut en principe aller en prison pour corruption. Mais souvent on évite une double peine ; l’auteur peut perdre sa fonction, et aller en plus alors en prison après ça paraitra comme de l’excès, sauf en cas de vol ou détournement de deniers ou de biens publics ». Mais alors, nous nous demandons pourquoi les autres citoyens subissent cette double peine : perte d’emploi et peine de prison.
Si le corps des magistrats nous interpelle, c’est parce qu’un constat a été établi : jamais on n’a appris qu’un juge mêlé à une affaire de corruption a encouru de peine de prison. Mais les autres corps si.
Le dernier rapport de Transparency International a montré le taux de perception de la corruption par les citoyens au sein du corps des magistrats. C’est une réalité. Mais on se demande les limites de la HAPLUCIA face à ces cas, surtout que des plaintes allant dans ce sens attendent ses membres depuis quelques mois. Nous nous posons la question de savoir les limites du Procureur de la République, lequel est « tenu par les instructions données par l’autorité hiérarchique pour le dépôt de ses réquisitions écrites », contrairement au juge du siège.(article 5 du statut des magistrats).
Rappelons que le site https://droit-finances.commentcamarche. com/…/1320-la-corrup… rapporte les peines et sanctions encourues en France : La corruption est sévèrement sanctionnée par le Code pénal. La loi prévoit que le corrompu et le corrupteur encourent chacun une peine maximale de 10 ans d’emprisonnement ainsi qu’une amende pouvant atteindre jusqu’à un million d’euros. Outre ces sanctions, corrompu et corrupteur s’exposent également à des peines complémentaires, notamment à l’interdiction d’exercer une fonction publique ou l’activité professionnelle ou sociale concernée par l’infraction. Mieux, si la corruption porte sur des magistrats, des dispositions spéciales sont prévues par le Code pénal du fait de la gravité de l’infraction. Celle-ci n’est alors plus considérée comme un « simple » délit, mais comme un crime.
Abbé Faria,
Source : Liberté No.3044 du Mardi 12 Novembre 2019
27Avril.com