Togo-Littérature : Critique de Prof. Togoata sur « Hangbè», une pièce de Dzifa Galley

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“Hangbè” est une pièce de théâtre à un seul personnage, un poème dramatique et épique en deux parties de huit chants (scènes) chacune, un chef d’œuvre de Kokouvi Dzifa Galley paru aux éditions Unicité. Prof. Togoata Apedo-Amah, le dramaturge togolais dresse une critique littéraire de l’œuvre. Lecture.

HANGBÈ DE KOKOUVI DZIFA GALLEY OU QUAND LE THÉÂTRE S’EMPARE DE L’HISTOIRE POUR EN FAIRE UNE ÉPOPÉE (Théâtre, Saint-Chéron, Éditions Unicité, 2022)

“Hangbè”, la pièce de Kokouvi Dzifa Galley apparaît comme un genre hybride entre théâtre, épopée et poésie. Son sujet s’y prête parfaitement : une reine sur un trône masculin au royaume du Danhomé. Un fait exceptionnel qui ne s’est pas passé sans résistance des hommes frustrés et humiliés. Avec le recul, certains faits historiques, de par leur importance dans les sociétés d’antan, et leurs répercussions sur le présent, tendent à devenir des mythes. D’où vient que l’épopée se substitue à l’histoire pour magnifier, par le truchement de l’oraliture, une geste historique. Le personnage unique de la pièce, Hangbè, s’exprime, dans sa douloureuse solitude, avec une verve poétique touchante.

Le découpage de l’œuvre, le contexte historique et l’esthétique retiendront notre attention.

1. Le contexte historique

Hangbè est le nom de la sœur jumelle du roi Akaba du royaume du Danhomé au 18 ème siècle.  Suite à son décès au cours d’une bataille contre les ennemis venus du Wémé, dirigés par le roi Yahazé, sa jumelle, profitant de la sacralité accordée par les Danhoménu à la gémellité, revendique et confisque le pouvoir après avoir défait militairement les Wémé et tranché la tête du roi Yahazé grâce à la bravoure de ses amazones qu’elle a formées. Avec cette victoire à la guerre, réputée être une activité masculine, Hangbè a aboli symboliquement la différence entre les genres et peut donc occuper un trône réservé exclusivement aux descendants mâles de Huégbadja.

Le choix par les dramaturges et écrivains d’épisodes de l’histoire, particulièrement en Afrique, vise à réhabiliter une histoire dénigrée et voilée par la colonisation de ce continent par les Européens. Étant entendu que les racines d’un peuple sont l’histoire et la culture, supprimer l’un et l’autre facilite la conquête de l’imaginaire collectif du colonisé aliéné que l’on manipule au point de le pousser à haïr ses origines et sa culture.

À travers le choix du personnage historique de Hangbè, la Fon, Kokouvi Dzifa Galley précise dans sa “note d’intention” qu’il a voulu attirer l’attention sur la notion de genre en soulignant que : ” Nulle femme ne devrait être empêchée d’exercer une fonction (politique) à cause de son sexe. Cette manière de penser le monde peine à porter ses fruits.” (p. 9.)

“Hangbè”, pièce de théâtre à un seul personnage, est un poème dramatique et épique en deux parties de huit chants (scènes) chacune.

2. La première partie

Elle relate le décès du roi Akaba, mort au combat, et sa succession non réglementaire par sa sœur jumelle Hangbè. Le leader, dit-on, est l’homme de la situation. Par rapport aux troubles qui suivent la succession d’un roi dans les anciens royaumes de l’ère culturelle ajatado où la succession est souvent différée par une régence qui aiguise les appétits des ambitieux, Hangbè a sauvé le Danhomé par les armes et a donc été la femme providentielle dans le fracas des batailles avec ses amazones là où les hommes ont été défaillants. Ainsi a-t-elle acquis sa légitimité en faisant le travail des hommes, la guerre, mieux que les hommes. Mais l’ambition de la nouvelle reine s’est très vite heurtée à la force de la tradition qui est l’expression de la structuration d’une société au profit des hommes. Le pouvoir qui est l’enjeu suprême dans un État constitué, reprend à son compte les discriminations sociales et du genre. Le cas exceptionnel de Hangbè qui aurait pu être une révolution, n’a été qu’un coup d’État vite étouffé dans l’oeuf au nom de la suprématie de l’homme sur la femme. La deuxième partie sera la plus douloureuse pour Hangbè qui sera poussée à l’abdication.

3. La deuxième partie

Elle fait état du complot des prétendants au trône qui s’appuient sur les coutumes pour délégitimer la reine coupable de sa féminité. Hangbè est très amère et dénonce l’ingratitude des hommes, surtout des prétendants au trône. Son fils a même été assassiné pour faire le vide autour d’elle. ” quand le complot ligué/ quand leur poignard/quand l’anneau tissé forme le filet dans lequel Sènami est tombé/(…) dis-moi – donne-moi le nom des pourfendeurs de mon fils” (p. 59). Encouragée par ses amazones à résister, seule contre tous les hommes, Hangbè abdique. Mais avant cela, en plein conseil du trône, elle prend une calebasse d’eau, lave ses parties intimes et jette l’eau souillée de sa toilette sur les dignitaires indignes. Ce qui dans la culture locale est une malédiction. ” je vous maudis infâmes hommes/ je vous maudis vils fomenteurs/comploteurs/la matrice de mon âme/recrache sur vous toutes vos ignominies /hélulo – hélu” (pp. 67-68). L’esthétique de la pièce nous en apprendra davantage.

4. L’esthétique de “Hangbè”

Le grand mérite du dramaturge et poète Kokouvi Dzifa Galley a été de nous offrir à lire “Hangbè” comme une épopée à travers une prose poétique  dans laquelle prose et versification se mêlent harmonieusement pour marquer l’œuvre du sceau poétique qui fait sa beauté. Galley est l’auteur de plusieurs recueils de poésie, genre qu’il pratique avec talent.

La particularité de cette création dramatique est sa manifestation à travers un unique personnage, Hangbè. C’est une difficulté dès lors qu’il s’agit de faire intervenir d’autres personnages in absentia. Cette façon de faire doit éviter l’écueil de l’invraisemblance en faisant entendre les voix externes à bon escient. Un bel exemple nous est offert dès le début de la première partie avec la statuette du défunt Akaba. Il s’agit en fait d’un flash back relatant la bataille qui lui a été fatale: ” ( la statuette d’Akaba debout sur la scène/ fracas/ bruit de bataille/la statuette s’écroule)”. Sémiotiquement, la statuette d’Akaba est son icone et son symbole. Debout ( vivant), il est atteint et s’écroule (la mort). Ce procédé incite le lecteur à participer à la création en faisant usage de son imagination pour voir le roi Akaba en pleine bataille.

L’utilisation des strophes comme dans un poème oblige le lecteur expérimenté à lire le texte comme un long poème. La lecture d’un texte littéraire est conditionnée par son genre. Ici, le lecteur a affaire à un texte rythmé par l’absence de majuscules, la brièveté des vers de différentes longueurs et les strophes qui fonctionnent comme des paragraphes. Ici Hangbè s’adresse au roi ennemi, Yahazé, qu’elle a déjà tué : ” chante pour ne pas oublier ta défaite/chante et chante la note juste/ chante la vie de mon roi Akaba…/ (p. 36).

Le texte est beau parce qu’il est poétique et nous renvoie à l’esthétique poétique de Kokouvi Dzifa Galley. Il est par ailleurs soutenu par la musique traditionnelle et parfois par des morceaux européens classiques des derniers siècles (Mozart, Beethoven, etc.) Par contre, ce choix de la musique classique européenne est incompréhensible par rapport au cadre spatio-temporelle du 18 ème siècle en Afrique. Ces créations musicales européennes du 18ème siècle, constituent un langage sémique anachronique dans ce contexte spatio-temporel, car rien ne justifie leur présence dans la pièce. Il en va de même pour le recours aux cris des loups. En effet, les loups n’existent pas en Afrique ; pourquoi ne pas parler des chiens, des hyènes, des lycaons, etc. ? Galley a été piégé par un cliché littéraire occidental avec le hurlement des loups.  “Akaba – les entends-tu ?/allons – écoute – j’entends des hurlements des loups/je vois leurs crocs s’ouvrir – ils hurlent –  les loups…/les loups… houhou hou hou hou hou/ (p. 70). La parole traditionnelle africaine est exploitée à travers les proverbes, les chants, les répétitions rythmées et les incantations. L’atmosphère magico-religieuse est propice à la parole sacrée, aux incantations : “Agbo – Agbo – Agbo/porte castratrice – bouclier d’acier/ Sésame – Agbogbo – Agbogba/tu en as recraché en pièces – avoue/muraille intelligente/ Agbo Gabada – Agbo Tsakatsu – Agbo Zidobo/” (pp. 20-21).

Kokouvi Dzifa Galley a offert avec”Hangbè”, une œuvre théâtrale originale au public. Il fait partie des auteurs qui comptent aujourd’hui dans le champ littéraire togolais de plus en plus riche en qualité et foisonnant.

Ayayi Togoata APEDO-AMAH

Source : icilome.com