Depuis une semaine, les populations de Gbamakopé vivent des moments sans doute les plus mouvementés de leur existence. Elles sont sommées de quitter leurs habitations construites au prix de durs labeurs, dans le cadre d’un litige foncier de vieille date. Plus qu’une simple sommation, il est enclenché la démolition de leurs maisons et les habitants sont l’objet de violences de la part des corps habillés déployés en masse à cette fin. C’est un véritable drame qui se joue dans ce village, dans l’indifférence totale de Faure Gnassingbé appelé depuis plusieurs années au secours par les populations, en vain. Une affaire qui illustre tout l’inhumanité de son régime ; et le plus cocasse, au cours d’un mandat dit social.
Une affaire rocambolesque
Des litiges fonciers, le Togo en a connu en quantité industrielle. Mais celui-ci est des plus rocambolesques et sort même de l’entendement humain. Cette affaire, nous l’avions abondamment traitée dans les années 2012-2013 et relevé l’injustice caractérisée dont sont l’objet les populations et l’arbitraire dont usent leurs bourreaux, les Kpassra. Le territoire de tout un village réclamé par un individu inconnu et qui peine d’ailleurs à prouver sa propriété sur ces terres, il faut être au Togo pour le voir…
En effet, des témoignages du chef de Gbamakopé, des dignitaires du village et autres chefs traditionnels des localités environnantes obtenus à l’époque, lesquels ont été réitérés par leurs porte-voix depuis la résurgence de l’affaire il y a une semaine, on retient que le patriarche avait reçu dans le temps en hospitalité un certain Woyo. Et comme il était de coutume au bon vieux temps, les terrains ne se vendaient pas, et le patriarche Gbama en offrit à ce dernier afin qu’il puisse construire sa demeure et cultiver la terre pour nourrir sa famille. Woyo à son tour accueillit un ami à lui, Kpassra, à qui il concéda dans le domaine à lui offert 5 hectares de terres. Woyo partit en voyage et ne revient plus. Mort, de même que le patriarche Gbama, Kpassra qui, semble-t-il, était l’un des rares instruits dans le village, prit soin de borner les terrains offerts à Woyo par le patriarche Gbama, fit les papiers en son nom et en chassa les enfants de son bienfaiteur. Cette version de l’histoire de la propriété n’a jamais été démentie par les bourreaux des populations de Gbamakopé.
Les Kpassra ne se sont pas arrêtés en si bon chemin…Par alchimie, des 5 hectares offerts à leur parent par Woyo, les enfants réclament désormais la paternité de tout le domaine de ce dernier et de tout le village, 366 hectares. Ce que ne veulent pas entendre de cette oreille les descendants Gbama, qui concèdent seulement la propriété des Kpassra sur les 5 hectares offerts à leur parent par Woyo. Le litige éclata en 2006 et connut plein d’épisodes. Le plus cocasse dans cette histoire, les Kpassra qui réclament la paternité du domaine de tout le village de Gbamakopé, ne montrent aucun document justificatif à l’appui. Mais curieusement, ce sont eux que la Justice semble suivre dans cette affaire. Après plusieurs années de litige, et comme par magie, c’est une certaine dame qui sort de l’ombre et réclame aujourd’hui la paternité du territoire de tout le village suite à un prétendu achat. Et c’est pour sa cause que le pouvoir fait déployer des forces de l’ordre pour déloger tous les habitants, autant les autochtones que les acquéreurs de terrains qui y ont construit et se sont installés depuis des années…
L’inhumanité du régime Faure Gnassingbé
Ceux qui semblent avoir « mangé la tête de la tortue », comme le dit l’adage, ne devraient pas s’attrister du sort des populations de cette localité de Gbamakopé. Mais, mine de rien, c’est un véritable drame social qui se joue dans cette affaire, dans l’indifférence totale des « gouvernailleurs », Faure Gnassingbé en premier. Comment en ce 21e siècle, une justice digne de ce nom peut-elle suivre une personne qui réclame la paternité du territoire de tout un village sans en apporter la moindre preuve et ordonner le délogement de ses populations par la force ? La dame, la fameuse acquéreuse des 366 hectares – auprès de qui, si ce ne sont les faux propriétaires Kpassra ? -, personne ne connaît son nom et aucun document n’est montré pour justifier sa propriété alléguée. Tout ce qu’on sait d’elle, c’est qu’elle serait proche de la Présidence de la République.
Dans cette histoire, les populations dans la détresse n’ont manqué d’appeler au secours, notamment Faure Gnassingbé. Mobilisés derrière le chef du village, les dignitaires et les autorités des localités environnantes qui n’ont jamais reconnu la paternité des Kpassra sur le domaine de tout le village, les autochtones et les acquéreurs avaient appelé dans les années 2012-2013 Faure Gnassingbé à l’aide, conscients d’être victimes de l’arbitraire et de l’existence de mains fortes derrière les Kpassra. Leurs porte-voix avaient organisé à cette fin plusieurs conférences de presse que le journal Liberté avait couvertes. La presse s’était fait le relais de leurs cris de détresse afin de toucher le cœur de qui de droit. Par moments, on faisait croire aux populations que Faure Gnassingbé a pris à-bras-le-corps le problème et l’avait confié à son directeur de cabinet ou au ministre de l’Administration territoriale. Entre-temps l’affaire s’est tue et l’on croyait qu’une solution a été trouvée, ou plutôt que les Kpassra ont fini par entendre raison. Mais non…Après plusieurs années, elle resurgit, avec cette mystérieuse dame supposée proche de la Présidence et le délogement des populations. Au-delà de la presse, des structures de défense des droits de l’Homme dont le Mouvement Martin Luther King (MMLK) se sont aussi fait le relais des cris de détresse de ces populations, sans aucun effet sur l’« homme simple ».
Pour caricaturer le problème, on veut déloger plusieurs centaines de familles, 3000 à 4000 personnes selon les chiffres, avec des enfants, au profit d’une prétendue propriétaire dont personne ne connaît l’identité et qui n’apporte absolument aucun document justificatif de sa pseudo-propriété sur tous les 366 hectares du village. La justice censée protéger le faible et les corps habillés prêtent malheureusement main forte à l’arbitraire. Mais que vont devenir ces centaines de familles et ménages qui seront délogés ? Cette question ne semble nullement préoccuper le « Prince » et ses collabos. Mais il est certain qu’à allure où vont les choses, la clique aux Kpassra, à la fameuse dame et leurs soutiens tapis dans l’ombre parviendront à leurs fins, vu qu’ils ont la justice et la force armée derrière eux. Manifestation de cette détermination, il nous revient qu’une demi-dizaine des personnes arrêtées dans les échauffourées avec les forces de l’ordre mardi dernier ont été déférées en prison vendredi 23 août.
Sous des cieux normaux, dans l’hypothèse heureuse que la mystérieuse dame soit vraiment propriétaire de toutes ces terres, les gouvernants plancheraient sur la situation et trouveraient plutôt une solution intermédiaire, même si elle la frustrerait. En tout cas ils éviteraient le drame social que serait le délogement de ces nombreuses familles…Mais Faure Gnassingbé n’a que faire du sort de ces populations, sous son prétendu mandat social où l’humanisme et le sens du social devraient primer. La gestion de cette affaire offre la caricature parfaite de celle globale faite du pays par Faure Gnassingbé, une gouvernance dénuée de tout humanisme…
5 personnes déférées à la prison civile de Lomé
Elles sont actuellement 5 personnes en détention à la prison civile de Lomé, suite à leur arrestation le mardi 20 août 2019. Sur les 15 personnes arrêtées, 10 ont été libérées après les démarches de leurs proches. Les effets personnels des personnes arrêtées ont également disparu.
L’affaire du litige foncier entre les populations de Gbamakopé (canton de Togblékopé) et la famille Kpassra n’est pas encore terminée. Au contraire, les difficultés pour ces populations ne font que commencer, malheureusement. Dans notre parution N° 2986 du mercredi 21 août dernier, nous avions évoqué les courses-poursuites accompagnées de jets de pierre et de tirs de grenades lacrymogènes, ainsi que les arrestations qui ont eu lieu dans les rangs des habitants de cette localité.
Depuis, les informations nous parviennent quant aux conditions dans lesquelles les échauffourées ont démarré et la suite que les éléments des forces de l’ordre ont réservée aux personnes arrêtées. En effet, ce jour-là, les populations avaient décidé de se réunir sur le terrain de l’école de la localité, après avoir été empêchés la veille de tenir une conférence de presse pour situer l’opinion. « Nous avions décidé de nous réunir sur le terrain pour montrer que nous sommes contre ce qui se fait dans notre localité. Les terres nous appartiennent, d’autres sont venus les acheter pour y vivre et on se réveille un jour avec des gendarmes devant nos portes et des inscriptions sur nos murs », relate un habitant.
A l’en croire, et comme l’ont souligné d’autres sources, ce rassemblement était pacifique, puisque les gens n’avaient rien sur eux qui puisse être assimilé à des objets dangereux. « Nous étions là quand les forces de l’ordre nous ont demandé de partir », poursuit la source. Pour pousser les populations à exécuter cet ordre, des grenades lacrymogènes auraient été lancés dans la foule, provoquant sa dispersion. S’ensuivent alors les courses-poursuites.
Tout ce qui bougeait était pris pour cible et très rapidement, les premières arrestations ont été enregistrées, même dans les rangs de ceux qui avaient quitté le rassemblement avant sa dispersion. C’est ainsi qu’un groupe de jeunes a été arrêté. « Nous étions devant la maison d’un frère quand nous avons vu les gendarmes approcher. Nous avons alors quitté la route de peur d’être pris pour les jeunes qui lançaient les cailloux. Ils nous ont dit de les suivre pour un contrôle d’identité », relate une autre source.
Cette invitation était en fait un piège qui allait se refermer sur ces jeunes. « Nous les avons suivis sur près de 500 mètres. Et arrivés sur le terrain où se trouvait une meute de soldats, ils se sont rués sur nous et ont commencé par nous taper. Les coups venaient de partout et atteignaient toutes les parties du corps. Ils nous donnaient les coups sur la tête, le dos, les pieds, sans distinction. J’en suis sorti avec des ecchymoses un peu partout », décrit-elle.
Ce jour-là, au moins une quinzaine de personnes ont été arrêtées, battues et envoyées au Commissariat de Djagblé. C’est le début du calvaire pour certaines d’entre elles. Quelques heures après, le groupe a été conduit à la Direction centrale de la Police judiciaire (DCPJ) puis à la Direction générale de la Police nationale (DGPN) où il a passé sa première nuit de détention. « Le lendemain de leur arrestation, soit le mercredi 22 août, 6 d’entre eux ont été libérés. Le jeudi, quatre autres ont recouvré la liberté. Il restait alors 5 personnes en détention », précise un jeune.
Pour obtenir leur libération, ces personnes ont eu recours à des proches qui ont contacté d’autres proches et ainsi de suite. « Mon frère m’a appelé disant qu’il a été arrêté. C’est deux jours après que j’ai pu rentrer en contact avec quelqu’un qui a facilité sa libération. Qu’il rende grâce à Dieu », poursuit notre interlocuteur.
Malheureusement, les 5 personnes restantes ont été déférées à la prison civile de Lomé. Leur faute, ne pas connaître quelqu’un qui a des relations dans le sérail pour plaider leur cause. Il s’agit, selon nos sources, d’Agamakou Ayawo, Kombaté L., Vignon Koffi (un vieillard), Ametonhanou Mawouli et Séwavi Pierre. Les deux derniers de la liste sont des maçons et étaient dans la localité pour exécuter des travaux pour le compte de leur client.
Ce que l’on déplore, outre les violences et la détention, c’est que les affaires personnelles qu’avaient la quinzaine de personnes d’arrêtées n’ont plus été rendues. Téléphones portables, argent, tout a disparu.
Tino Kossi + G.A
Source : Liberté
27Avril.com