Togo : L’indépendance de la justice à l’épreuve du juge constitutionnel

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Henry Ognan Dogo

« Le principe de la séparation des pouvoirs est inséparable de la protection des droits et libertés …La distribution organique du pouvoir entre plusieurs institutions et le contrôle que celles-ci s’exercent mutuellement a pour finalité de sauvegarder l’individu des atteintes à ses droits et libertés naturels et imprescriptibles » Abdoulaye SOMA, Agrégé des facultés de droit, Université Ouaga II.

Introduction

Garant du respect de l’ordre constitutionnel et régulateur du fonctionnement des institutions de la République, la Cour constitutionnelle est appelée à se prononcer sur la constitutionnalité des lois suite à sa saisine par des autorités limitativement énumérées. Saisie, elle peut s’exprimer à travers deux types d’actes à savoir un arrêt (décision) ou un avis. Ces deux actes qui ont certes la même nature juridique, n’ont pas forcément la même force juridique.

Par avis n°av-002/20 du 18 mars 2020, la cour constitutionnelle sur demande du président du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM), s’est prononcé sur la présidence du CSM. En vue de déceler sa nature et son éventuelle force juridique puis les implications d’une telle interprétation sur l’indépendance de la justice, nous nous proposons une analyse de cet avis.

Bien avant tout, il est nécessaire de s’interroger sur la convenance ou l’opportunité de la démarche du Président du CSM. N’ayant pas la compétence l’initiative des lois, prérogative concurremment réservée à l’exécutif et au législatif, pourquoi s’est-il senti obligé de saisir la Cour constitutionnelle sur cette question ? Même si la légalité de cette démarche échappe à la contestation en ce qu’elle est conforme à l’article 104 de la Constitution togolaise, elle ne saurait l’être quant à son opportunité. Néanmoins faudrait-il reconnaitre que pour toute personne avisée qui a une vision claire de la justice et soucieux de son fonctionnement idéal en tant que pouvoir constitutionnel de L’État, indépendant des deux autres (exécutif et judiciaire), la suppression de l’alinéa 2 de l’article 116 devrait inspirer une certaine crainte ou inquiétude à l’heure où la plupart des institutions de la République font face à une vague de réformes. Ainsi, le respect du sacro-saint principe de la séparation des trois pouvoirs constitutionnels de L’État posé par le « châtelain de la Brède » Montesquieu, la peur d’une éventuelle violation des dispositions constitutionnelles afférentes à l’aune d’une nouvelle loi organique portant organisation, composition, attributions et fonctionnement du Conseil Supérieur de la Magistrature, pourrait justifier une telle démarche.

En effet, semble exister depuis la révision constitutionnelle de mai 2019 qui supprimé l’alinéa 2 de l’article 116, une difficulté juridique sur la personnalité compétente pour présider le CSM. Alors que dans sa rédaction antérieure la Constitution faisait expressément du Président de la Cour suprême, Président du Conseil Supérieur de la Magistrature (article 116 al 2), elle est restée silencieuse sur cette question dans sa mouture actuelle par la suppression pure et simple de cette disposition sans aucune autre précision. D’où semble naître l’ambigüité juridique relative à l’autorité compétente devant présider cet organe. Aux termes des nouvelles dispositions de l’article 113 de la constitution, « Le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif. Les juges ne sont soumis dans l’exercice de leur fonction qu’à l’autorité de la loi. Le pouvoir judiciaire est garant des libertés individuelles et des droits fondamentaux des citoyens ».

L’article 115 de la constitution dispose que « Le Président de la République est garant de l’indépendance de la magistrature. Il veille à l’impartialité, au professionnalisme, à l’intégrité et à la dignité de la magistrature. Il est assisté à cet effet par le Conseil Supérieur de la Magistrature ».

La Cour devrait donner son avis sur une question fondamentale : celle de savoir si le Président de la République pouvait présider le Conseil Supérieur de la Magistrature face au silence de la Constitution sur cette question.

La question posée présente tout de même un grand intérêt dans la mesure où l’avis de la Cour permettrait d’éclairer le législateur en levant l’équivoque qui est supposé exister et qui résulte du silence du pouvoir constituant sur la présidence du CSM dans le cadre de la future loi organique portant organisation, composition, attributions et fonctionnement de ce dernier.

De son avis, la haute Cour en matière constitutionnelle estime qu’eu égard à la récente modification constitutionnelle, le Président de la République devrait présider le CSM. Dans le dispositif de son avis notamment à l’article 1er elle dit être d’avis que « Le président de la République, garant de l’indépendance de la justice, de l’impartialité, du professionnalisme, de la probité, de l’intégrité et de la dignité de la magistrature, préside le Conseil supérieur de la magistrature ». Cet avis peut se justifier dans une certaine mesure d’abord sous un angle de la crainte par le politique, du « gouvernement des juges » ; ensuite par la suppression de l’alinéa 2 de l’article 116 ; et enfin par l’expérimentation de cette pratique par certains pays de l’Afrique francophone. Cependant, l’on peut légitimement s’interroger, un CSM présidé tel que la Cour l’estime, pourrait-il répondre aux exigences d’édification et de consolidation d’une justice indépendante. Cette inquiétude justifie le caractère plus ou moins discutable de cet avis qui semble contraster avec les principes de la séparation des pouvoirs de l’indépendance de la justice dans la mesure où le CSM, organe chargé de gérer la carrière et la discipline des magistrats qui détiennent le pouvoir judiciaire, constitue la figure emblématique de la justice dans l’organisation des pouvoirs de L’État et surtout la « clef de voûte de l’indépendance de l’autorité judiciaire ».

En rapport avec ce qui précède nous analyserons tour à tour le caractère non authentique de cette interprétation constitutionnelle (I) et la portée juridique de cet avis de la Cour constitutionnelle (II).

I- Une Interprétation Constitutionnelle Non Authentique

La saisine de la Cour constitutionnelle pour avis vise à rechercher et obtenir une interprétation authentique et sincère de la Constitution. Cependant, en raison des multiples interprétations possibles il arrive parfois que les juges constitutionnels adoptent une interprétation dénuée de toute sincérité lui ôtant ainsi son caractère juridictionnel. Le présent avis de la Cour semble résulter d’une interprétation aux allures politiques de la Constitution (A) en ce que l’avis auquel elle a abouti vient prendre le contrepied des principes de la séparation des pouvoirs et de l’indépendance de la justice (B).

A- Une interprétation constitutionnelle aux allures politiques

L’application d’un texte de loi surtout lorsqu’il est nouvellement adopté n’est pas toujours aisée en raison d’éventuelles énigmes qu’il peut comporter. C’est une réalité connue de tous les techniciens du droit que Bernard BAUFUME formule par la phrase suivante : « les juristes savent que la première application d’un texte est une épreuve redoutable : les contradictions, les insuffisances, les lacunes apparaissent alors au grand jour et viennent ajouter à la perplexité du praticien chargé, tout à la fois de régler un cas d’espèce et de créer un précédent ». Cette affirmation vaut également, voire plus pour les textes constitutionnels qui consacrent et proclament des principes et des valeurs. Ce sont des réalités intrinsèquement liées à la formulation des textes juridiques en général. En effet, dans l’exercice de leurs missions, les autorités publiques peuvent être confrontées à des dispositions constitutionnelles équivoques, insuffisantes et imprécises surtout lorsque le pouvoir constituant se borne à établir des dispositions pratiques applicables à des situations concrètes, omet volontairement ou involontairement de régler d’autres situations concrètes. D’où la nécessité de l’interprétation qui est une « tâche naturelle du juge », en vue de cerner leur réelle signification. L’interprétation est un exercice qui consiste donc à rechercher ce que le texte ordonne ou permet c’est-à-dire « la norme qu’il exprime ».

Parlant de l’interprétation, il faut dire que plusieurs acteurs (politiques, professionnels du droit, etc.) peuvent être amenés à appliquer et à se livrer donc à une interprétation de la Constitution créant ainsi un risque d’interprétations divergentes qui certainement préjudicient à la cohérence de l’ordre constitutionnel. Face à cette dispersion d’interprétations, la solution retenue est que l’interprétation juridictionnelle l’emporte sur « l’interprétation politique » souvent « fantaisiste » . C’est dans cet ordre d’idée que Francis Delpérée conseille au juge constitutionnel que « plutôt que de recourir à des argumentation d’ordre politique sujettes à discussion, n’est-il plus simple » pour le juge constitutionnel « de trouver dans le texte constitutionnel lui-même le fondement d’une solution correcte fondée en droit ? ». C’est dire que la mission « d’interprète authentique » de la Constitution relève la compétence exclusive du juge constitutionnel. Il n’échappera donc à personne qu’il lui revient la mission de livrer le vrai sens du contenu de la loi fondamentale à travers une interprétation conforme à l’esprit de ce texte. C’est fort de cela que le président du CSM du Togo s’est adressé à la Cour constitutionnelle le 02 mars 2020 pour obtenir la signification réelle du silence de la nouvelle Constitution issue de la récente révision, sur l’autorité devant présider le Conseil Supérieur de la Magistrature, contrairement à l’ancienne qui disposait clairement en son article 116 al 2 qu’« il est présidé par le président de la Cour suprême ».

Le juge constitutionnel va donc dans le cadre de cette mission faire appel à toutes les virtualités du raisonnement, de l’analyse et de la synthèse pour rechercher l’intention originelle des auteurs de la Constitution et dévoiler l’esprit de la règle. Pour en dégager à travers plusieurs dispositions éparses le sens originel la Constitution, l’interprète constitutionnel doit faire preuve de « vérité » et de « loyalisme » à l’égard du texte constitutionnel. Henri BATIFFOL écrit à ce propos et à juste titre qu’« au souci de la vérité » doit se joindre « celui du loyalisme :…devoir fondamental de ceux qui parlent au nom de L’État ».

Cependant les risques d’instrumentalisation à des fins politiques, partisanes voire personnelles dénuées de tout caractère d’intérêt général sont souvent de nature à dénaturer considérablement cette mission d’interprète authentique du juge constitutionnel et par voie de conséquence altérer sa fonction pacificatrice de garant des droits fondamentaux de la personne humaine, des libertés publiques et surtout, de « Tour de contrôle des pouvoirs publics ». Ce poids militantiste en Afrique comme ailleurs, fait que le juge constitutionnel peut parfois être attentif à ce que veut le pouvoir politique ou à ce que lui-même veut au détriment des valeurs démocratiques et de l’Etat de droit. Ainsi, comme l’affirment Francis HAMON et Céline WIENER, « la Constitution est reproduite et revue » par le juge constitutionnel qui, dans certains cas donne « de la Constitution une interprétation si personnelle qu’elle paraît refléter autant leurs vues propres que celle des constituants ». Cette affirmation se rapproche de celle de Christian E. TRIMUA qui estime que l’objet de la Constitution dans les États africains francophones est souvent ignoré ou volontairement écarté car taxé d’être inapproprié. Toujours affirme-t-il que sont souvent générées « de nouvelles normes constitutionnelles par une entreprise constitutionnelle ou volontaire, modifiant, contrariant, voire même vidant le texte constitutionnel …de sa substance pour la remplacer par une idée de la constitution qui refléterait les spécificités… souhaitées par ses auteurs ».

Pour Francis Delpérée, l’interprétation politique de la constitution vise à rechercher non ce qui doit se faire mais ce qui se fait ; elle se fait donc contre les sens de textes, c’est alors le sens des pratiques qui est appelé à prévaloir et « il y va donc de soi que cette interprétation vide les textes constitutionnels de leur contenu et de leur utilité ».

Pour illustrer ces interprétations aux allures partisanes et politiques, il importe de donner l’exemple le plus frappant de la Cour constitutionnelle du Bénin. En effet, saisie pour se prononcer sur la conformité à la Constitution des dispositions supprimant le droit de grève pour une catégorie de fonctionnaires, les sages de la Cour ont estimé par décision DCC 18-003 du 18 janvier 2018 que « le droit de grève est un droit fondamental auquel le législateur ordinaire ne peut porter atteinte ; mais il ne peut dans le cadre d’une loi qu’en tracer les limites. Et que par conséquence la suppression totale du droit de grève est anticonstitutionnelle ». Curieusement, cinq mois après, par une autre décision en date du 28 juin 2018, la même Cour, cette fois ci présidée par Me Joseph DJOGBENOU par une alchimie de recours en interprétation de la décision de la Cour Theodore HOLO, se prononce d’office et déclare conformes à la Constitution les mêmes dispositions du statut général de la fonction publique et de celui de la magistrature supprimant le droit de grève.Selon cette nouvelle interprétation, « les fonctions de défense, de sécurité, de justice et de santé des personnes dévolues à l’État ne sauraient souffrir dans leur exercice d’aucune interruption » et que les agents de l’Etat opérant dans ces secteurs « ne peuvent exercer le droit de grève » et ce, au nom de « l’intérêt général » et de la « protection des citoyens ». Face à ces deux interprétations divergentes de la même Cour autrement présidée, la première semble plus authentique que la seconde qui reste une interprétation partisane donc politique. En effet, à l’époque, le gouvernement béninois faisait face à une série de grèves intempestives dans le secteur public notamment celui de la justice auxquelles il peinait à trouver la solution.

C’est ainsi qu’il entreprît de modifier les statuts de la fonction publique et de la magistrature en vue de supprimer purement et simplement le droit de grève à certaines catégories d’agents publics. Ces projets d’amendements ont été défendus par Me Joseph DJOGBENOU lui-même ministre de la justice à l’époque. La Cour constitutionnelle ayant censuré ces dispositions en raison de leur caractère anticonstitutionnel, le gouvernement s’était retrouvé le dos au mur et comme il fallait vaille que vaille aller au bout du projet, Me Joseph DJOGBENOU sera débarqué de son poste ministériel pour être nommé président de la Cour constitutionnelle. En mission commandée, il opéra donc le coup de force juridique pour assouvir les désirs du pouvoir politique au détriment des droits fondamentaux et des libertés publiques des citoyens. Face à cette situation, Persis Lionel Essono Ondo s’indigne profondément quand il affirme qu’« au regard de l’activisme politique des Cours constitutionnelles africaines depuis les années 1991, l’on peut être tenté de dire que certaines constitutions africaines tombent dans la catégorie des constitutions sémantiques c’est-à-dire de service, qui servirait de caution juridique » au pouvoir politique.

Dans le présent cas, pour parvenir à son avis suite à la demande du Président du CSM, et qui semble ne pas refléter l’intention réelle du constituant, les sages de la Cour constitutionnelle auraient procédé à l’interprétation du silence de celui-ci sur l’autorité qui doit présider le CSM. En effet, selon Jacques Meunier, parlant des techniques d’interprétation inventées par François Luchaire, l’une des règles d’interprétation issues de la « dogmatique complète de l’interprétation de la constitution » est que « toutes les dispositions d’un texte s’interprètent les unes par rapport aux autres, donnant à chacune le sens qui résulte du texte entier ».

Dans ce contexte chaque mot compte en vue de déceler exactement si les différentes dispositions éparses s’acceptent ou se rejettent. Ainsi, sur la base de cette technique d’interprétation des textes juridiques et pour mieux cerner le sens réel c’est-à-dire de quelle personnalité le constituant a entendu par son silence faire président du CSM, ce silence du constituant doit être confronté comme l’aurait fait la Cour aux dispositions des articles 113 et 115 de la Constitution.

Ces dispositions consacrent d’une part l’indépendance du pouvoir judiciaire vis-à-vis des pouvoirs législatif et exécutif, et d’autre part le Président de la République comme le garant de l’indépendance de la magistrature tout en étant assisté dans ce rôle par le CSM. Certes, confronté avec les alinéas 1 et 2 de l’article 115 de la constitution, ce silence semble laisser penser a priori que ne devrait être président du CSM que le Président la République. Cependant, l’intervention de l’alinéa 3 qui fait du CSM « l’assistant » du Président de la République dans son rôle de garant « de l’indépendance des juges dans l’exercice de leurs fonctions, et au respect par eux, de la loi » et le principe de la séparation des pouvoirs consacré à l’article 133 vient tout changer.

En effet, le constituant ne peut consacrer une valeur ou un principe fondamental dans sa lettre et en même temps avoir le sens contraire dans son esprit. Il ne peut donc pas consacrer la séparation des pouvoirs et l’indépendance de la justice – qui est un principe fondamental de la démocratie et de L’État de droit- et en même temps vouloir que l’organe qui est sensé gérer les détenteurs du pouvoir judiciaire soit présidé par le Président de la République qui de surcroit est titulaire du pouvoir exécutif, lequel pouvoir est qualifié d’ailleurs par Joseph DJOGBENOU comme le principal concurrent du pouvoir judiciaire. C’est pourquoi après avoir supprimé l’alinéa 2 de l’article 116, il n’a pas voulu le remplacer par un autre désignant clairement le chef de L’État comme tel. En plus d’ailleurs, si telle était la réelle intention du constituant, l’incise selon laquelle « il est assisté à cet effet par le Conseil Supérieur de la Magistrature » aurait été également supprimée. Car au fond, il est tout aussi incompréhensible qu’anormal, nous semble t- il que l’on puisse être « assisté » par un organe dans l’exercice d’une fonction et en même temps présider ce même organe. Il est vrai que, comme le pensent certains, dans d’autres pays où le Président de la République préside le CSM, cette phrase figure dans la Constitution ; d’où l’impérieuse nécessité ou l’intérêt de mener une véritable réflexion sur ce contraste.

On infère immédiatement de ce qui précède que le constituant n’a, à aucun moment voulu faire du Président de la République, Président du CSM mais il a juste voulu laisser à la loi organique le soin de se charger des règles relatives à l’organisation, aux attributions et au fonctionnement du CSM et dans le même cadre, désigner dans le strict respect du principe de l’indépendance du pouvoir judiciaire vis-à-vis des deux autres pouvoirs constitutionnels, la personnalité à même de le présider. Ce qui permet de dire que la teneur de l’avis de la Cour résulte d’une interprétation qui ne reflète pas l’intention originelle du constituant car elle est manifestement en déphasage avec les principes à valeur constitutionnelle de la séparation des pouvoirs et de l’indépendance de la justice.

B- Une interprétation constitutionnelle violant les sacro-saints principes de la séparation des pouvoirs de l’Etat et de l’indépendance de la justice.

L’indépendance de la justice est consacrée et strictement protégée sur le fondement de la séparation des pouvoirs quand sont en cause les libertés individuelles. Pour le professeur NAHM-TCHOUGLI Mipamb Guy, il s’agit de « l’autonomie du pouvoir judiciaire comme gardien de l’Etat de droit » à l’égard des autres pouvoirs constitutionnels de l’Etat. Cette indépendance de la justice dont la protection relève du CSM est assortie des mécanismes constitutionnels qui servent de contrepoids à l’exercice de chaque pouvoir.

En effet, Montesquieu, Baron de la Brède, Président à Mortier du Parlement de Bordeaux a, par sa théorie sur la séparation des pouvoirs, distingué trois fonctions sociales essentielles dans l’Etat. Par un exercice de contraction de cette théorie de Montesquieu sans toutefois travestir son sens originel, l’on peut la résumer par la formule proposée par le Professeur Koffi Ahadzi-Nonou en ces termes : « Au sein de l’État, et afin que tout despotisme soit écarté, devraient fonctionner trois pouvoirs confiés à des personnes ou à des corps distincts : exécutif, législatif et judiciaire. Ces pouvoirs doivent être rigoureusement “séparés” afin que la même personne ou le même corps qui fait la loi ne puisse l’exécuter ou rendre la justice ». Considéré comme un « véritable dogme du libéralisme politique », cette théorie est devenue pour les constitutionnalistes du monde le critère d’appréciation du degré de liberté dans un pays et détermine la nature de son régime. Certes, cette séparation qui n’est pas tranchée ou étanche ; elle admet une certaine atténuation qui permet une collaboration entre les pouvoirs indispensables à la vie politique harmonieuse de la nation, n’est guère synonyme de l’inféodation de l’un quelconque des pouvoirs par un autre car, « tout serait perdu si le même homme ou le même corps des principaux exerçait les trois pouvoirs ». Ainsi, selon Montesquieu « il n’y a point encore de liberté, si la puissance de juger n’est pas séparée de la puissance législative et de l’exécutrice. Si elle est jointe à la puissance législative, le pouvoir sur la vie et la liberté des citoyens serait arbitraire, car le juge serait législateur. Si elle est jointe à la puissance exécutrice, le juge aurait force d’un oppresseur ». S’appuyant sur ce patrimoine doctrinal, Maurice Ahanhanzo-Glèlè, dès 1982, professait sa foi en la démocratie en appelant à la rationalisation du pouvoir politique.

La démocratie, écrit-il, « étant une conquête quotidienne, et un état d’esprit, il faudrait travailler à l’avènement de son règne afin de supprimer la monocratie, pour plus de liberté, de participation et de contrôle du pouvoir. Il faut que le pouvoir arrête le pouvoir et que l’homme soit le remède à l’homme ».

Mieux, une partie de la doctrine s’accorde à dire que du fait du phénomène de la majorité dans les démocraties modernes contemporaines, instaurant une certaine collaboration ou complicité entre l’exécutif et le législatif, la seule règle qui subsiste « de la séparation des pouvoirs », c’est le principe de l’indépendance du pouvoir judiciaire. Cette position rejoint le principe de la séparation des pouvoirs « à la française » qui se circonscrit d’ailleurs selon le conseil constitutionnel aux rapports entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir exécutif qu’il faut absolument respecter car elle est indispensable à la protection des libertés et des droits fondamentaux des citoyens. Dans ce schéma, placer le pouvoir judiciaire sous le joug du pouvoir exécutif équivaudrait à la neutralisation du principe de la séparation des pouvoirs et à une absence de constitution (article 16 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen de 1789) ouvrant la voie à tout mal. Car « la cause du mal », dit Turgot, « vient de ce que votre nation n’a point de constitution ».

L’indépendance du pouvoir judiciaire, corollaire de la séparation des trois pouvoirs constitutionnels de l’État loin d’être un privilège octroyé au bénéfice des magistrats, est un droit reconnu à chaque citoyen de bénéficier d’un pouvoir judiciaire indépendant (et considéré comme tel) des pouvoirs législatif et exécutif. Il est constitué pour sauvegarder la liberté et les droits des citoyens dans le cadre de l’État de droit. C’est d’ailleurs un droit fondamental du citoyen ; et les déclarations d’inconstitutionnalité d’actes jugés attentatoires aux droits et libertés individuelles pour motif de violation de la séparation des pouvoirs ressortent de plus en plus fréquemment dans la jurisprudence des juridictions constitutionnelles contemporaines. Le Conseil Supérieur de la Magistrature qui est l’instance chargée d’assurer la gestion de carrière et la discipline des magistrats détenteurs du pouvoir judiciaire, doit nécessairement être indépendant du point de vue aussi bien institutionnel que fonctionnel. Ainsi, les règles d’organisation et de fonctionnement de cet organe doivent répondre aux exigences de cette indépendance de sorte que les personnalités qui y siègent ne soient ni les autorités politiques appartenant aux autres pouvoirs constitutionnels de l’Etat, ni directement désignées par elles pour éviter qu’il ne prenne une allure politico-partisane.

La République Démocratique du Congo l’a si bien compris qu’à travers sa nouvelle constitution du 18 février 2006 elle a réaffirmé à son article 152 l’indépendance du pouvoir judiciaire dont les membres sont gérés par un Conseil Supérieur de la Magistrature désormais composé des seuls magistrats. Dans cette logique, envisager que la présidence du CSM soit assurée par le Président de la République alors qu’il est le chef de l’exécutif ne répond donc pas aux exigences d’indépendance de la justice. C’est en quelque sorte le dernier palier franchi dans la violation des principes de la séparation des pouvoirs et de l’indépendance du pouvoir judiciaire. Par cette éventualité en effet, C’est toute la problématique de la présence des membres de l’exécutif au sein de cet organe et son impact sur l’indépendance de l’institution judiciaire qui est posée et à laquelle aussi bien la doctrine que certaines personnalités politiques se sont toujours opposées.

Sur cette problématique l’ancien Premier Ministre Français Edouard BALLADUR estime que pour restaurer l’indépendance du CSM vis-à-vis de l’exécutif, il faut que « sa présidence soit retirée au Président de la République pour être confiée à une personnalité élue en son sein par ledit conseil ». Mieux, Pierre Lyon Caen s’interroge à juste titre que « comment celui qui dirige l’exécutif pourrait-il protéger le judiciaire des empiètements que le premier à tendance, par la nature des choses, à exercer sur le second ? ». Cette interrogation de Pierre Lyon Caen véhicule clairement l’idée selon laquelle la véritable menace de l’indépendance de la justice c’est l’exécutif que le Professeur Joseph DJOGBENOU qualifie d’ailleurs de véritable « concurrent » du pouvoir judiciaire ; celui-ci étant toujours tenté d’affirmer son emprise sur ce dernier. Et face à une telle menace ou concurrence, le seul et véritable rempart c’est le CSM. C’est ainsi qu’à la faveur de la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République, le Président de la République ne préside plus le CSM car cette situation « semblait permettre au chef de l’État d’exercer une influence excessive sur l’autorité judiciaire ». Le Conseil Supérieur de la Magistrature en France est présidé depuis cette révision par le premier président de la Cour de cassation (article 65 al 8 de la Constitution Française).

De même au Congo Brazzaville, concernant la présence des membres de l’exécutif au sein du CSM, la Cour suprême avait estimé que « l’intrusion du Garde des sceaux, ministre de la justice dans sa composition, est incompatible eu égard à son statut de membre de gouvernement en exercice, avec les principes de la séparation des pouvoirs et de l’indépendance du pouvoir judiciaire ». Et depuis la loi n°24 du 20 août 1992 modifiée par la loi n°29/94 du 18 octobre 1994, le ministre de la justice n’en fait plus partie. La même réforme a été opérée en République Démocratique du Congo en 2005 par l’exclusion de Garde des sceaux, ministre de la justice du CSM.

Dénonçant la situation dans les autres pays d’Afrique francophone (Congo, Burkina Fasso, Gabon etc…), dans lesquels le Président de la République est membre et préside le CSM, Telesphore KAVUNDJA NANENO citant le Togo en référence en terme d’indépendance du CSM dit : « Par contre au Togo, cet organe est présidé par le président de la Cour Suprême et, ce qui est frappant le Président de la République n’en est pas membre, d’où la consolidation de son indépendance ». Cette affirmation permet de dire que le schéma normatif actuel du Togo, institué par la loi organique n° 97-04 du 06 mars 1997 force l’admiration et les autres pays devraient s’efforcer de s’en inspirer surtout que la France dont tous les pays d’Afrique francophone ont hérité la tradition et l’expression juridique a rompu avec ce travers depuis 2008.

Il est donc clair que même si une réforme du CSM actuel paraît opportune, celle-ci doit viser à renforcer son indépendance et celle de la justice et non à l’affaiblir plus qu’elle ne l’était. L’évidence c’est qu’eu égard au risque d’instrumentalisation politique à outrance des institutions dans les États africains, l’on ne saurait admettre l’envahissement du CSM par les membres des autres pouvoirs, du fait de la grande influence qu’ils pourraient exercer sur cet organe qui verrait son indépendance voire celle des magistrats, considérablement affectée. Une telle démarche serait synonyme d’un véritable recul démocratique séculaire car, en réalité, en ce XXIème siècle la présence de personnalités politiques issues des autres pouvoirs au sein du Conseil Supérieur de la Magistrature ne devrait pas se justifier dans un régime démocratique.
Dans ces conditions il est important de s’interroger sur l’incidence que cet avis de la Cour constitutionnelle pourrait avoir sur les pouvoirs publics en analysant sa portée juridique.

II- La Portée Juridique De L’Avis De La Cour Constitutionnelle

Donné par la Cour constitutionnelle suite à la saisine du président du CSM, l’avis n°av-002/20 du 18 mars 2020 qui est une sorte de contrôle de constitutionnalité préventif (A) de la loi organique à venir portant organisation, composition, attributions et fonctionnement du CSM, reste tout de même un acte à effet juridique très relatif (B).

A- Un contrôle de constitutionnalité en amont du texte en cours d’élaboration

Les cas sur lesquels le juge constitutionnel s’est toujours prononcé sont liés à l’application ou à l’interprétation de la Constitution. Très souvent les différentes positions prises par les juges constitutionnels dans leurs avis sont de nature à relativiser certaines réactions hostiles comme celles qui ont tendance à affirmer que : « ce n’est qu’un avis ». Ainsi, si au sujet de certaines demandes d’avis, le raisonnement du juge constitutionnel révèle qu’il statue essentiellement sur l’éventuelle conformité d’un acte à la Constitution, c’est qu’il fait de sa consultation un contrôle de constitutionnalité à peine déguisé.

Présenté comme l’une des prouesses en matière de la construction démocratique en Afrique francophone, le contrôle de constitutionnalité a fait l’objet de beaucoup de travaux par la doctrine constitutionnaliste de cette région d’Afrique. Pour Djibrihina OUEDRAOGO, la procédure de consultation ou d’avis permet au juge constitutionnel de « se prononcer à titre préventif sur la conformité à la Constitution d’un acte normatif en cours d’élaboration ». C’est ainsi que l’on assiste au lendemain des révisions constitutionnelles à une récurrence des sollicitations des avis des sages de la Cour constitutionnelle sur les projets d’ordonnance, les projets et propositions de lois organiques etc. Tous ces cas de saisine vont donc permettre au juge constitutionnel d’exercer un contrôle de la conformité des actes en cause à la Constitution. Et la Cour constitutionnelle le fait très souvent « aussi bien sur le projet d’acte à titre préventif que sur certains actes juridiques déjà en vigueur, opérant, par voie de conséquence un contrôle a posteriori à peine déguisé ».

A titre illustratif, sur le projet d’ordonnance déterminant les conditions de la mise en œuvre des conditions de l’état d’urgence au Togo suite à la pandémie du COVID 19, la Cour constitutionnelle du Togo a par avis n° AV-003/20 du 08 avril 2020 notamment à son article 2 affirmé que : « Les dispositions du projet d’ordonnance déterminant les conditions de mise en œuvre de l’état d’urgence sont conformes à la Constitution ». Cette réponse donnée par la cour est révélatrice des questions successives que les juges se sont posées. En effet, saisie par le Premier Ministre par lettre référencée le 041/PM/SGG/2020 et datée du 02 avril 2020, la Cour avant d’émettre son opinion telle qu’énoncée ci-dessus se serait posé quatre questions à savoir : est-ce qu’une loi d’habilitation autorisant le gouvernement à légiférer par ordonnance a été adoptée par le parlement ? Est-ce que l’habilitation a été donnée dans l’une des matières relevant du domaine de la loi ? Est-ce que le projet d’ordonnance a été pris dans la durée de validité de l’habilitation ? Est-ce que au regard de son objet, ce projet se rapporte à l’une des matières limitativement énumérées dans la loi d’habilitation ? C’est donc en fonction de la réponse positive donnée à chaque question que la Cour a été d’avis que les dispositions du projet d’ordonnance déterminant les conditions de mise en œuvre de l’état d’urgence sont conformes à la Constitution. Elle aurait pu dire qu’elle est d’avis que ce projet d’ordonnance n’est pas conforme à la Constitution si les réponses à ces questions étaient allées dans un sens négatif. C’est le cas de l’avis N°001-2001/CC du 08 mars 2001 par lequel le juge constitutionnel nigérien a estimé que « le projet d’ordonnance portant création d’un établissement public à caractère professionnel (…) n’est pas conforme à l’article 87 de la constitution » parce qu’il « ne relève pas des domaines prévus par la loi d’habilitation ».

Il parait donc évident à partir de ces exemples que c’est uniquement sur le terrain de la conformité à la constitution que les juges constitutionnels se placent pour examiner les différentes questions soumises à leur examen. C’est donc une manière de s’assurer de la conformité des projets de lois à la Constitution et essayer « d’étouffer dans l’œuf » toute velléité de les incorporer dans l’ordonnancement juridique s’ils sont réellement contraires à la Constitution. Dans le cas d’espèce de la saisine du président du CSM, la Cour constitutionnelle se serait d’abord livrée à un exercice similaire en se posant la question de savoir s’il ressort du sens des dispositions constitutionnelles issues de la nouvelle loi constitutionnelle du 15 mai 2019, la possibilité ou non pour le Président de la République de présider le Conseil Supérieur de la Magistrature. Les sages de la Cour disent être d’avis que « Le président de la République, garant de l’indépendance de la justice, de l’impartialité, de la probité, de l’intégrité et de la magistrature, préside le conseil supérieur de la magistrature ». Selon eux, c’est ce qui ressort du sens de la loi fondamentale donc de l’esprit des dispositions constitutionnelles examinées. Bref c’est ce qui est conforme à la Constitution. Toute porte donc à croire que par cet exercice, la Cour constitutionnelle a exercé à titre préventif un contrôle de constitutionnalité de la future loi organique portant organisation, fonctionnement et attributions du CSM.

Au vu de tout ce qui précède et surtout de l’importance des demandes d’avis dans les jeunes démocraties africaines, l’on peut estimer qu’il doit être admis que l’acte (Décision/Arrêt ou Avis) par lequel la Cour constitutionnelle émet son opinion ne doit pas être l’unique critère qui détermine la force juridique de celle-ci. En plus de ce critère, et pour que ce que la Cour écrit fasse loi comme l’énonce clairement la devise de la Cour constitutionnelle togolaise « Lex est quod notamus », l’opinion émise doit nécessairement résulter d’une interprétation permettant d’avoir le sens originel ou authentique de la loi fondamentale et ce, surtout du fait du caractère très relatif de ses avis.

B- Un acte à effet juridique très relatif

Pour mieux cerner les éventuels effets juridiques de l’avis de la Cour, il importe de le passer au spectre du régime juridique des avis. Il faut noter que les avis se rencontrent dans toutes les matières du droit ; mais ils sont beaucoup plus émis, conceptualisés et utilisés en droit administratif. L’avis est entendu de façon générale comme une opinion ou une réponse donnée suite à une consultation. L’avis qui s’apparente très souvent à un conseil ou à une recommandation est un terme juridique qui s’applique dans toutes les branches du droit, au résultat de consultations qu’elles soient facultatives ou obligatoires selon les cas, demandées à divers organes (personnes, commissions, juridictions etc.) et qui, rarement ont un caractère obligatoire. L’avis est donc en droit administratif un terme générique donné à tous les actes émis par les organes administratifs dans l’exercice de leur fonction consultative et suppose une demande préalable venant d’une autorité en vue d’éclairer celle-ci dans la prise d’une décision à venir. Ainsi, comme acte préliminaire en prélude d’une décision, « c’est un acte juridique qui n’est en principe pas normateur, mais considéré comme un acte de la procédure ».

En outre, une classification spécifique des avis permet de déceler leur valeur juridique. D’abord il y’a l’avis conforme qui fait obligation à l’administration non seulement de le prendre mais aussi de le suivre ; ensuite l’avis obligatoire correspondant à la seule obligation de consulter mais qui laisse à l’autorité demanderesse la liberté de décider ; enfin l’avis facultatif ou simple donnant la possibilité à l’autorité de s’en éclairer sans y être contrainte. Ce régime juridique est bien transposable en matière constitutionnelle et donc au cas d’espèce. En effet, si la possibilité pour la Cour constitutionnelle d’émettre des avis ne souffre d’aucune contestation (articles 104 et 105 de la Constitution), une telle certitude tant à s’éloigner dès que l’on s’intéresse à leur effet et à leur autorité.

A ce propos, il est soutenu par la doctrine que « l’avis est requis non pas pour se soumettre à la volonté de celui qui l’émet mais pour s’enrichir de sa pensée, à la rigueur pour se laisser séduire par elle ». Il s’y ajoute qu’« il y a dans l’idée de se conformer à un avis une contradiction dans les termes ». Une telle position doctrinale est similaire à celle défendue sur l’autorité de l’avis du juge constitutionnel. Selon Martin BLEOU, « le propre et le mérite de la consultation c’est d’éclairer sans imposer ». Abondant dans le même sens, Abdoulaye SOMA affirme que « dans l’exercice de sa fonction consultative, le juge constitutionnel est un conseiller technique à la fois du pouvoir législatif et surtout du pouvoir exécutif ». Logiquement, ses avis même si leur réquisition est dans certains cas obligatoire, ont dans tous les cas un caractère non-conforme, ils sont consultatifs et ne sauraient à aucune condition lier l’exécutif ou le législatif.

En l’espèce, l’avis demandé par le président du Conseil Supérieur de la Magistrature le 02 mars 2020 fait partie de la catégorie des avis facultatifs. L’article 104 al 6 de la Constitution togolaise dispose en des termes clairs que « la cour constitutionnelle peut être saisie d’une demande d’avis sur les sens des dispositions constitutionnelles… », par des autorités dont le Président du Conseil Supérieur de la Magistrature. C’est sur la base de cette disposition que suite à la suppression de l’ancien alinéa 2 de l’article 116 de la Constitution faisant du président de la Cour suprême président de droit du CSM, le Président de cette institution a sollicité l’éclairage des sages de la haute Cour en matière constitutionnelle sur la question de l’autorité qui devrait désormais la présider. Le caractère facultatif de cette demande d’avis résulte de l’utilisation du verbe « pouvoir » notamment dans l’incise « la cour constitutionnelle peut… ». Et naturellement l’avis qui en résulte n’est rien d’autre qu’un conseil que l’on est libre de suivre ou non. Toujours dans ce sens le professeur Adama KPODAR à propos de l’avis N°AV 004/98 donné par la Cour constitutionnelle togolaise au Premier Ministre le 24 décembre 1998 dit que « … bien qu’étant un acte juridique, n’a pas de valeur juridique ». La même Cour a reconnu l’absence d’effet juridique de cet avis en considérant très clairement dans sa décision N°C 001/99 du 05 mars 1999 que « Le Premier Ministre demandeur et destinataire de l’avis du 24 décembre 1998, a, a priori obtenu l’éclairage désiré ».

Par ailleurs le style d’un juge peut être aussi révélateur d’une posture claire ou subtile de négation-admission de l’autorité de son avis. Sur la réelle portée de ses avis et suite à un avis donné au Président de la République sur la question de la révision constitutionnelle, la Cour constitutionnelle du Mali dans un arrêt rendu les 11 et 12 décembre 2001 affirme que « l’avis… de la cour constitutionnelle délivré en application de l’article 41 de la constitution est, comme tout avis non déclaré contraignant, un avis qui ne lie pas son destinataire… ». En l’espèce, sur la demande d’avis du président du CSM, la Cour constitutionnelle a bien utilisé l’expression « est d’avis » et non le terme « décide » qui par contre est nimbé d’effet juridique. Aussi, le ton employé par le juge dans le cinquième considérant de sa motivation est un indicateur pertinent pour apprécier la portée juridique de son avis. Quand la Cour dit dans sa motivation que « …le constituant a voulu, sans le dire expressément, donner la possibilité au président de la République, de présider le Conseil Supérieur de la Magistrature », elle n’a pas voulu installer le demandeur d’avis encore moins les autres pouvoirs dans une situation de compétence liée. En gros, cet avis ne s’impose pas.

Conclusion

En tout état de cause, la fonction consultative est une réalité juridique et juridictionnelle à laquelle le juge constitutionnel togolais n’échappe pas. Celle-ci lui permet en effet, d’assurer à travers l’interprétation constitutionnelle qu’elle donne, sa fonction de « Tour de contrôle » des trois pouvoirs constitutionnels de L’État pour qu’aucun des pouvoirs ne quitte sa trajectoire pour se retrouver sur une autre destinée à un autre et ce, dans le strict respect des valeurs démocratiques consacrées par la loi fondamentale. Cependant, l’on devrait veiller à ce que cette noble mission du juge constitutionnel soit à l’abri du poids de l’instrumentalisation et du militantisme politique, qui le détourne certainement de son but d’intérêt général au profit des dérives partisanes.Ainsi, dans le cas d’espèce même si de par sa nature juridique, l’avis rendu le 18 mars 2020 sur demande du président de CSM n’a aucun effet juridique contraignant, il n’en demeure pas moins que celui-ci risque de donner le signal d’une réforme qui marquera à coup sûr une rupture avec la loi actuelle, laquelle loi est plus protectrice et respectueuse de l’indépendance de la justice et du principe de la séparation des pouvoirs. Car au fond, donner la possibilité au Président de la République de présider le CSM est synonyme selon Montesquieu de jonction « de la puissance de juger » à la « puissance exécutrice », et de ce fait, le juge qui, perdrait son manteau de protecteur des droits et libertés des citoyens, aurait désormais « force d’un oppresseur ». Une telle réforme en réalité ne saurait se justifier en ce 21ème siècle où certains pays ayant vécu ce travers l’ont abandonné à travers des réformes dont d’autres pourraient bien volontiers s’en inspirer pour le bien de la démocratie et de L’État de droit parce que comme l’affirme Francis DELPEREE, l’interprétation constitutionnelle, parce qu’elle est l’interprétation de la Constitution et parce qu’elle est l’interprétation selon la Constitution, est seule capable de donner à l’Etat son vrai visage.

Tout compte fait, si d’aventure par mégarde ou par inattention la loi organique sur le CSM venait à placer la justice sous le joug de l’exécutif, ce serait un véritable recul démocratique. Il faudra alors que force reste à l’indépendance du magistrat, mieux du juge dans toute sa rigueur. Car le peuple au nom duquel les magistrats décident ne saurait leur pardonner d’avoir renoncé à leur indépendance. Il faudra alors combattre l’invasion de l’institution judiciaire par l’exécutif pour une indépendance individuelle effective du magistrat. Tel est l’espoir.

Par Henry Ognan Dogo,
Magistrat du Ministère public,
Porte –parole de l’Union Syndicale des Magistrats du Togo (USYMAT)

Source : 27Avril.com

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