Togo : L’Illégitime Fruit de l’Illégal

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Togo : L’Illégitime Fruit de l’Illégal

Dans une république qui a choisi la démocratie élective, le Chef de l’État est élu. Faire un coup d’état pour devenir chef de l’état est illégal. Le chef de l’état qui est issu d’un coup d’état est illégitime. Dans un État de droit, le magistrat et le militaire n’ont pas le droit de prendre parti ni, à plus forte raison, de créer un parti politique. Créer un parti quand on est magistrat ou militaire en exercice est illégal. Un parti politique né de la volonté d’un magistrat ou d’un militaire est illégitime. Quand un acte est légal, son fruit est légitime. Quand l’acte est illégal, son fruit est illégitime. Le pouvoir du Togo est illégitime depuis 55 ans. Né d’un acte illégal, il se renouvelle constamment à l’aide d’actes illégaux. En voici quelques-uns :

1) 13 janvier 1963 : premier coup d’état militaire d’Afrique

Depuis 1958, le Togo était dirigé par un régime légitimé par un vote populaire supervisé par la Société des Nations, futur ONU. Un groupe de soldats ayant servi sous des drapeaux étrangers et sous de fausses identités rentrent au Togo, leur pays d’origine. Manipulé par une puissance, le groupe assassine le président de la république en exercice et s’empare du pouvoir d’Etat le 13 janvier 1963. A la tête du groupe, un certain sergent-chef Etienne Eyadéma. Décidé de garder le pouvoir mais non préparé à le gérer par lui-même, le groupe des putschistes passe la main, provisoirement, aux politiciens qui se sont battus naguère contre l’indépendance.

2) 13 janvier 1967 : prise en main directe du pouvoir par l’Armée.

Se sentant suffisamment formé pour assurer le rôle de chef de l’Etat, le sergent-chef Etienne Eyadéma, entretemps élevé au grade de lieutenant-colonel et toujours chef d’état-major de l’Armée togolaise, renverse le gouvernement civil en 1967, précisément le 13 janvier, date anniversaire très significative. C’est un acte illégal. Son fruit, la prise en main de la république par l’Armée avec, à sa tête, son chef d’état-major, est illégitime.

3) 30 août 1969 : création du RPT

Le 30 août 1969, le Général Etienne Eyadéma, Président de la République, mais militaire en activité, supervisant à l’occasion des exercices militaires sur le terrain, se rend à Kpalimé, à quelques kilomètres de Lomé, pour y annoncer la création par lui d’un parti politique, le Rassemblement du peuple togolais (RPT). Un militaire vient de commettre un acte illégal, créer un parti. Dès sa naissance le RPT est frappé du sceau de l’illégitimité.

4) Coup de force du 3 décembre 1991

Après avoir subi une vingtaine d’années de régime tyrannique de parti unique, le peuple se soulève en 1990 et obtient l’ouverture d’une conférence nationale souveraine (CNS) qui réinstaure le multipartisme. Pour préparer l’avènement d’une nouvelle république, la CNS nomme un Gouvernement de transition pendant qu’elle rédige une nouvelle constitution. Le pouvoir militaire est en veilleuse. Décidée à reprendre les rênes, l’Armée organise une attaque contre le Gouvernement de transition ; le 3 décembre 1991 elle attaque à l’arme lourde la garde républicaine chargée de protéger le siège du Premier ministre. Au sortir de ce coup de force qui a coûté la perte de dizaines de vies humaines, le Premier ministre ne prend plus ses instructions auprès de la CNS mais auprès du Général Eyadéma. Coup de force illégal, la reprise en main du pouvoir par le dictateur illégitime.

5) Coup d’état constitutionnel de 2002

La CNS achève la rédaction du Projet de constitution qui devra être soumis à référendum le 27 septembre 1992. Pour ne pas se mettre en marge du consensus général, Eyadéma appelle à voter le Projet. La Constitution est votée à 97,4%. Elle est promulguée le 14 octobre 1992. Mais, coup de théâtre : le RPT qui a participé à la rédaction de la Constitution et à sa finalisation avant d’appeler à la voter, le même RPT remet en cause cette Constitution sous prétexte qu’elle « avait été adoptée dans la précipitation et la confusion ». Alors, le 31 décembre 2002, l’Assemblée nationale où il est majoritaire le RPT révise la Constitution de 1992 en effaçant les contraintes qui empêcheraient Eyadéma de régner à vie, notamment la disposition qui dit que « en aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux mandats ». Le coup est illégal parce que L’Assemblée n’est autorisée à modifier une constitution que sur des points mineurs. Or la disposition limitant les mandats présidentiels est des dispositions majeures de la Constitution 1992. Acte illégal, son fruit, l’autorisation à Eyadéma à se présenter indéfiniment, illégitime.

6) Trois coups d’état en 24h pour Faure

Le 5 février 2005, un nouveau mandat à peine entamé, Eyadéma meurt. La Constitution en vigueur, celle de 2002, prévoit qu’en cas de vacance de pouvoir, le Président de l’Assemblée nationale assume l’intérim et organise les élections pour le choix d’un nouveau président de la république. Ce jour-là le Président de l’Assemblée était hors du pays. Mis au courant, il se précipite pour venir occuper le fauteuil prévu pour lui. Mais l’Armée togolaise ferme les frontières au seul vol emprunté par l’intérimaire constitutionnel. Il est bloqué à Cotonou le temps que se termine une série de trois coups d’état commencée à Lomé.

Premier coup d’état, il est militaire : l’état-major au complet convoque un des fils d’Eyadéma, Faure, l’installe dans un fauteuil, le reconnaît comme Président de la République et lui prête un serment d’allégeance.

Deuxième coup d’état, il est constitutionnel. Des amis extérieurs du régime sont pour Faure mais contre la façon dont les militaires s’y prennent pour l’introniser. Ils leur conseillent le scénario suivant : Faure doit d’abord être élu président de l’Assemblée ; heureusement il a été élu député, mais comme il a cédé sa place à son suppléant pour être ministre, il lui faut démissionner de son poste de ministre avant de récupérer celui de député ; cela fait, l’Assemblée devra se réunir pour constater la vacance de sa présidence, puis lancer un appel à candidature pour élire un nouveau président ; le RPT, parti majoritaire à l’Hémicycle, ne devra présenter qu’un candidat, Faure. Dès qu’il sera élu, il sera investi automatiquement du titre de Président de la république par intérim. Ce scénario a été exécuté en moins de 24h. Contorsions illégales, président par intérim illégitime.

Le troisième coup d’état est institutionnel et personnel. Quand il a appris la nouvelle du décès, le Président de l’Assemblée n’a pas eu du mal à trouver immédiatement un vol pour Lomé. C’est l’Armée qui l’a intentionnellement bloqué à Cotonou en lui fermant les frontières de son pays. Par cet acte illégal elle a commis un coup d’état contre une institution, l’Assemblée nationale, et contre la personne de son Président, ce qui rend le nouveau président de l’Assemblée illégitime.

Epilogue

Togo : L’Illégitime Fruit de l’Illégal

Depuis 1963, aucun acte majeur qui fonde le pouvoir togolais n’a été légal, d’où un régime cinquantenaire tout entier illégitime : l’Armée a déserté les casernes pour s’installer à la Présidence, dans les ministères et dans les grandes sociétés de l’Etat. Elle s’est dotée d’un parti politique, le RPT/UNIR, et s’est même permis de créer en son sein des partis satellites qu’elle affuble du titre de partis centristes. En réalité les douces appellations de « parti au pouvoir » et « partis d’opposition » qui sont l’apanage d’un Etat de droit n’ont pas encore leur droit de cité au Togo. Ici, il existe des partis illégitimes (le RPT/UNIR et ses satellites) et des partis légitimes (les actuels partis de la Coalition). Le but de la lutte du peuple est l’élimination de l’illégitimité politique sous toutes ses formes au Togo.

Zakari Tchagbale

27Avril.com