Togo : Les rites traditionnels de sortie d’enfant en voie de disparition…

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L’arrivée d’un nouveau-né dans une famille ou une communauté est généralement accueillie avec joie. D’ailleurs, dès l’annonce de la grossesse, chacun se prépare pour réserver un accueil chaleureux au nouvel être qui constitue un espoir pour la famille. Pour que cet enfant devienne une bonne personne demain, une richesse sur laquelle peut compter toute la famille ou la communauté, il faut, dès les premiers jours de sa venue au monde, des cérémonies pour invoquer des grâces sur sa vie, le confier aux ancêtres pour sa protection. Cependant, avec la modernisation, la pratique tend à disparaître, surtout avec l’arrivée de plusieurs religions qui proposent des rites basés sur la Bible aux couples chrétiens.

Togo : Les rites traditionnels de sortie d’enfant en voie de disparition…

La cérémonie de sortie d’un nouveau-né revêt une importance capitale dans les communautés, même jusqu’aujourd’hui. Elle varie d’une ethnie à une autre. Elle n’a rien à avoir avec le fétichisme, selon les gardiens des us et coutumes. L’objectif, c’est de bénir et présenter l’enfant au reste de la famille. Chez les Bè, par exemple, la cérémonie de sortie du nouveau-né est une croyance forte. « Tout couple qui a un enfant doit se soumettre à cette cérémonie. C’est très important chez nous. La cérémonie de sortie du nouveau-né permet d’invoquer les bonnes choses dans la vie de l’enfant. Si on ne le fait pas, l’enfant ne sera pas un homme accompli dans l’avenir. Il sera comme un bâtard à qui on n’a pas transmis les valeurs de notre famille et la protection des ancêtres », confie Tata Alowonou, chef d’une collectivité appartenant aux Bè. A en croire l’anthropologue Didier Apéto, chercheur à l’Université de Lomé, c’est un acte hautement significatif sur le plan social et spirituel. « C’est un grand processus du rite qui se déroule le jour de la sortie de l’enfant. Spirituellement, cette cérémonie signifie qu’on montre le nouveau-né à la nature et aux ancêtres de la famille. Ce sont ces derniers qui le purifient et lui confèrent la force nécessaire de bien accomplir la mission pour laquelle il est envoyé sur terre », indique-t-il. Comme nous l’avons déjà signalé, le Togo regorge de plusieurs ethnies dont les rites de sortie d’enfants diffèrent d’une à l’autre.

Chez les Péda

Les Péda restent attachés aux rites de sortie d’enfant. Chez eux, le processus est un compliqué, ce qui les amène à affirmer que l’enfant qui n’a pas bénéficié de ces rites a malheureusement toutes les chances de devenir un « tohossou» (un enfant qui n’a pas tous ses sens). Une conception battue en brèche aujourd’hui par des couples chrétiens, issus de l’ethnie Peda, qui se passent de ces rites (au nom de la modernité) pour des cérémonies religieuses.

Chez les Péda, disions-nous, dès qu’une femme met au monde un nouveau-né, une interdiction formelle lui est faite de mettre le nez dehors après 4 heures de l’après-midi jusqu’à la nouvelle lune. Histoire de cacher la femme et son nouveau-né aux mauvaises choses que porte l’ancienne lune. « Si elle doit nécessaire sortir la nuit pour ses besoins, elle est dans l’obligation de se couvrir d’un grand pagne et marcher tête baissée. C’est pour l’empêcher de regarder dans le ciel et voir l’ancienne lune. Ce qui pourrait porter préjudice à son enfant qui va subir la colère des ancêtres », nous confie Paul Messanvi, un Péda, cadre dans l’administration. Aussi la nouvelle maman n’a-t-elle pas le droit de regarder dans l’eau la nuit quand elle sort de sa chambre. « En le faisant, elle pourrait voir la lune à travers l’eau dans le sceau ou la bassine. Ce n’est pas bien pour elle et son enfant », ajoute-t-il. Pendant tout ce temps, le mari s’abstient de toucher sa femme, la mère du nouveau-né, pour ne pas attirer de mauvais sorts sur la famille. Dans certaines famille Péda, l’on va jusqu’à interdire à l’homme de toucher le lit sur lequel se couchent la femme et le bébé. «Parfois, on demande au mari de ne plus partager la chambre avec la femme et l’enfant. Si le couple vit dans une chambre-salon, le monsieur peut-être prié d’occuper le salon. Dans le cas contraire, il doit trouver asile (rire) chez un frère jusqu’au jour de la cérémonie de la sortie de l’enfant», souligne M. Messanvi. Dans tout ceci, ce sont les couples dont l’enfant est né quelques jours seulement avant la nouvelle lune, qui arrivent à s’en sortir sans trop de difficultés. Pour le reste, le fait de passer tous ces jours enfermés dans la chambre est une torture psychologique.

Le premier jour de l’apparition de la nouvelle lune, commence la série de rites de sortie de l’enfant. C’est le jour de la présentation de la femme à la nouvelle lune. L’une des belles-sœurs (elle ne doit pas être dans ses périodes de menstruation) de la nouvelle maman (pagne noué autour de la taille) la tient par la main et la fait sortir sept (7) fois de la chambre en la montrant à la lune. Le même rituel se fait également avec l’enfant (toujours porté par la belle-sœur) qui est montré à la lune pendant 7 fois. C’est pour montrer la femme aux ancêtres pour les remercier d’avoir veillé sur elle pendant sa grossesse et durant le temps de l’accouchement. Pendant ces allers et retours de la femme et sa belle-sœur et de cette dernière et le bébé, le reste de la famille, en spectateur, émet des cris pour manifester leur joie de voir la maman et son nouveau-né dehors. Ce rituel ouvre la porte de l’extérieur à la femme et à l’enfant. Ils peuvent rester dehors, même dans la nuit. Mais le mari n’a pas encore le droit de toucher à sa femme. Ceci ne peut être possible qu’après la grande cérémonie de sortie de l’enfant qui se déroule quelques jours après la découverte de la nouvelle lune.

Le jour de la grande cérémonie, on invite parents et amis. C’est une sorte de fête au cours de laquelle on prépare différentes sortes de mets qu’on donne d’abord aux ancêtres (en signe de sacrifice pour la famille du nouveau-né), un rite spécifique aux Péda, ensuite aux invités qui s’en régalent. C’est au cours de cette cérémonie que le rite qui permet à l’homme de toucher de nouveau sa femme, est fait. La femme et un de ses beaux-frères sont mis à genou face à face. Au moins trois plats sont disposés devant eux. Le beau-frère prend la nourriture dans chaque plat qu’il porte à la bouche de sa belle-sœur. Il doit compter jusqu’à sept (7) avant de la mettre dans la bouche de la femme. Cette dernière fait la même chose pour son beau-frère. Ensuite, le mari vient se mettre en face de sa femme. La plus âgée d’entre ses sœurs prend ses deux bras qu’elle met sur les épaules de la femme, en comptant jusqu’à sept (7). Les deux bras de la femme sont également posés sur les épaules du mari par le même rite. On leur demande enfin de s’embrasser pour montrer à tout le monde que le couple peut reprendre leur intimité. Chants et danses terminent la cérémonie. Le lendemain, très tôt le matin, on simule le départ au champ de la femme. Le mari, dans un accoutrement de chasseur, tue une bête pour montrer sa capacité à défendre sa femme dans n’importe quelle situation. Des pièces de monnaie sont jetées aux enfants qui les ramassent avec joie. Ce rite témoigne aussi de la capacité du mari à prendre soin de sa famille, sur le plan financier. « C’est pourquoi on dit que nous, les Péda, nous sommes riches », dit fièrement Paul Messanvi.

Si les rites de sortie d’enfant chez les Péda sont complexes et prennent du temps, ce n’est pas le cas dans les autres ethnies que nous avons rencontrées. Tout est fait au 4e jour pour les uns, au 7e pour les autres, ou encore au 8e.

Chez les Ewé, Guins ou Mina par exemple

Très tôt le matin à 4 heures, les familles des deux côtés se réunissent au domicile du couple ayant annoncé la naissance de leur enfant. La nuit du 7e au 8e jour, on remplit une calebasse d’eau qu’on expose à la rosée matinale sur la cour de la maison et on y ajoute certaines herbes spéciales très douces de la lune, notamment « aflatovi » ou «kpatima», symbole de l’abondance, de la reproduction. L’eau préparée est une bénédiction divine plus grande que la pluie pour purifier l’enfant. Avant le rite de sortie, on procède à une libation pour invoquer la bienveillance des ancêtres. Celui qui est choisi pour faire sortir l’enfant doit être natif du même jour que lui et de bonne moralité. Il ne doit pas toucher le sel, l’alcool, ni avoir de rapport sexuel. Après toutes les conditions requises, il fait des allers et retours de la chambre à l’extérieur avec l’enfant dans ses bras pendant 6 fois. Au bout de la sixième entrée, il attend un signal qui n’est autre que le lancer de l’eau préparée sur le toit. Enfin, il sort la septième fois, le bébé en avant exposé à la chute de l’eau sur son corps nu. Le nouveau né crie comme au premier jour de sa naissance. L’enfant purifié se réveille ainsi à la lumière du jour, aux forces et aux lois de la nature. A partir de ce moment-là, il ne porte plus les souillures de ses parents ou de ses ancêtres. Et s’en suit la fête.

Il ressort de ces présentations que les cérémonies de sortie de nouveau-nés revêtent d’une grande importance dans ces ethnies. Que ce soit chez les Péda, les Guins, les Mina, les Ewé ou les autres, elles revêtent des valeurs culturelles et traditionnelles qui impriment la marque de l’ethnie partout elles se déroulent. Mais aujourd’hui, ces rites tendent à disparaître par l’effet de la modernisation et l’avènement du christianisme, avec la naissance des églises çà et là.

Modernisation des rites de sortie d’enfant

La cérémonie sortie de l’enfant ne se s’observe plus aujourd’hui comme avant. Les rites ont subi de grandes modifications par le fait de la progression du christianisme. Beaucoup de couples chrétiens préfèrent confier leur nouveau-né aux religieux, avec les cérémonies qui se déroulent plus dans les églises que dans les maisons. En lieu et place des calebasses, des herbes et autres matériels traditionnels qu’utilisent les parents dans le temps, on recourt à la Bible, aux bâtons de bougie et à des chants religieux pour ce faire. La plupart de ces couples rompent avec ces rituels traditionnels qu’ils assimilent à des pratiques vodou, du fétichisme. Ce qui est en contradiction avec les principes du christianisme.

Dans l’Eglise catholique par exemple, ces cérémonies se déroulent dans les chapelles, en présence du prêtre. Elles se résument à des prières et chants. On demande parfois des messes à cet effet. Parfois, des couples profitent de l’occasion pour faire baptiser en même temps le nouveau-né, pour le débarrasser du péché originel, selon les rites de l’Eglise catholique. Il faut noter que la perte de l’essence même des rites de sortie d’enfant sur le plan traditionnel se manifeste beaucoup plus dans les villes, surtout dans la capitale, Lomé. Dans les villages et autres coins reculés, la tradition est encore respectée, parce que plus proches des anciens qui conservent les pratiques des ancêtres.

Toutefois, on remarque que certains couples chrétiens ne se départissent par de la tradition. Ils finissent par accepter les deux rites.

Le syncrétisme dans les rites de sortie d’enfant

« Les couples qui sont des chrétiens, malgré la cérémonie religieuse, continuent toujours par faire celle de la tradition en famille », c’est le constat de Didier Apéto, l’anthropologue. Pour ces couples, il n’est pas question de laisser tomber ces cérémonies qui mettent en valeur les richesses culturelles et traditionnelles de nos pays. « Nous avons des valeurs et des richesses culturelles avant l’arrivée du christianisme. Aujourd’hui, il nous est demandé de penser à la façon d’allier les rites chrétiens et ceux de chez nous. C’est d’ailleurs ce que ceux qui nous ont apporté le christianisme recherchent chez nous. Moi je veux pouvoir montrer et expliquer à mes enfants leur origine et ce qui se fait chez nous, dans notre ethnie. Et je dois le commencer par les rites qu’ils méritent dès leurs premiers jours sur la terre. Cela n’enlève en rien ma chrétienneté », se justifie Paul Messanvi. Pour lui comme pour beaucoup de chrétiens rencontrés dans le cadre de cette enquête, ces rites n’ont rien à voir avec le fétichisme, ni le vodou. « C’est une reconnaissance à l’endroit des ancêtres dont nous perpétuons la lignée », avance-t-il. A l’en croire, pour que l’Afrique en général et le Togo en particulier puissent affirmer leur identité à travers la multitude des cultures dans le monde, il faut perpétuer ces rites et permettre à la génération future de ne pas perdre ses racines.

Quoi qu’il en soit, chacun pourra apprécier les cérémonies et rites qui conviennent à ses progénitures, selon bien sûr les ethnies. Néanmoins, il est à noter qu’au-delà de ces considérations traditionnelles ou chrétiennes sur rites de sortie du nouveau-né, c’est l’éducation qu’aura reçue cet enfant qui déterminera sa place dans la société et ce qu’il sera dans l’avenir. C’est donc sur ce plan que les parents sont beaucoup attendus. Une chose est de faire un enfant, une autre est de faire de lui une arme dont a besoin la société pour son développement et son épanouissement.

Source : L’Alternative No.612 du 12 mai 2017

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