La mauvaise qualité des fruits de nos jours est due en grande partie à la cueillette prématurée. Afin qu’ils mûrissent le plus rapidement possible, certains vendeurs et revendeurs n’hésitent pas à utiliser le carbure, un produit hautement toxique, finalement vendu aux consommateurs. Malheureusement, les services de contrôle sont désarmés face au problème.
Le carbure (de calcium, ndrl), encore appelé « pierre » par les commerçants de fruits, est un produit friable. Il a une odeur forte semblable à celle du souffre. Solide, sa couleur est identique à celle de la potasse. C’est ce qui est utilisé par bon nombre de commerçants pour précipiter la maturation des fruits. Alors qu’ils sont appréciés pour leurs éléments nutritifs indispensables à notre santé, ils sont de plus en plus impropres à la consommation. C’est le constat qui se dégage, au regard des conditions de leur mûrissement. Ces produits toxiques et dangereux sont en vente dans la ville de Lomé et ses environs. Une malheureuse situation qui perdure et qui n’émeut personne. Pas même les autorités politiques et sanitaires qui ont pourtant le devoir de garantir l’hygiène alimentaire.
Enquête dans un marché
Le vendredi 14 mai dernier, nous avons entrepris de faire un tour au marché de fruits de Hanoukopé, installé au bord de la route, comme il en existe partout ailleurs dans la capitale. Mais il garde une spécificité tout de même : la vente des fruits fait de lui un axe incontournable pour les touristes. Nous y sommes rendu afin d’avoir une idée sur l’utilisation du carbure dans le mûrissement des fruits. Ce jour-là, sous un soleil implacable, nous longions la rue principale donnant accès au marché. Sous des hangars étaient exposés des fruits. Un riverain du quartier interrogé sur l’utilisation du carbure pour mûrir les fruits estime qu’elle est actuellement en vogue. « Dans ce marché, les revendeurs, pour accélérer le processus de mûrissement de leurs marchandises, utilisent le carbure. Eux-mêmes ne peuvent pas vous le dire », confirme-t-il. Et d’ajouter :« Ce produit chimique dégage beaucoup de gaz toxique et nous qui sommes à côté du marché, nous n’arrivons pas à respirer la nuit ». Il précise d’ailleurs que les femmes « emballent des morceaux de carbure dans des chiffons mouillés et les déposent dans des récipients contenant des fruits non mûrs tout en les couvrant. Le carbure dégage alors de la chaleur qui garantit la maturité forcée. En fait, il reste à la surface des fruits avant de s’évaporer. Ce qui constitue un risque pour l’environnement ». Aucune des bonnes dames revendeuses rencontrées n’a pas voulu répondre à nos questions. Visiblement, elles sont conscientes du danger que représente leur formule de maturation des fruits. A force d’insister, l’une d’entre elles, du nom d’Irène (nom d’emprunt, Ndlr) a voulu répondre. Elle affirme n’avoir jamais utilisé ce produit. « Moi mes fruits sont des produits qui ne sont pas mûris par le carbure. Chez moi, c’est de l’original », tente-t-elle de convaincre.
La vente du carbure de calcium, un commerce florissant
La vente du carbure prospère à Lomé à cause de la demande régulière de ces femmes qui l’utilisent pour mûrir les fruits. « Par semaine, je peux faire un chiffre d’affaires de 180 000 FCFA. De 1000 F le Kg, il est passé à 1300 FCFA compte tenu de la demande très forte. Je fais beaucoup de stocks pour ne pas perdre mes clients qui en raffolent », affirme un gérant de boutique de matériaux de construction.
Outre les fruits, le carbure entre dans la fabrication de poudre pour les fusils traditionnels. Il est également une source d’énergie très importante pour les mécaniciens tôliers et menuisiers métalliques. Ses résidus, obtenus après utilisation, sont la plupart du temps récupérés par des gens qui l’associent à la chaux pour le badigeonnage.
Un danger pour les populations
Le jour de notre reportage, un client venu s’approvisionner, lui aussi, regrette qu’aujourd’hui les fruits mis en vente ne soient plus naturels. Il souligne que « les services de contrôle sont impuissants face au problème ». « Devant ce phénomène d’utilisation du carbure, les fruits sont dénaturés et fades à cause de carbure. Ils n’ont plus de goût. Cela a des impacts négatifs sur la santé», dit-il.
En réalité, quand les fruits mûrissent, de nombreux changements biochimiques se produisent. Les plus évidents sont la couleur, l’arôme et la fermeté du fruit. Légal dans de nombreux pays, l’usage du carbure de calcium (Cac2) est autorisé pour accélérer le processus de maturation. Cela permet aux producteurs de choisir les fruits mûrs plus rapidement et de les gérer quand ils sont verts et moins sensibles aux meurtrissures ou aux dommages. Le carbure de calcium se combine avec l’humidité de l’air pour libérer un gaz appelé acétylène produit lors de la maturation. Le calcium contient de l’arsenic et le phosphore qui peuvent être mortels pour les humains et les animaux. C’est un produit à utiliser avec toutes les précautions possibles. Ce qui n’est pas le cas chez nous. Plusieurs risques graves pour la santé sont énoncés par les spécialistes. Il existe des « risques cancérogènes. Les symptômes d’intoxication sont des le vomissement, la diarrhée, l’engourdissement, les maux de tête et l’étourdissement », renseigne Dr Biova Agbemebio du CHU Sylvanus Olympio.
Quel contrôle pour les fruits que nous consommons ?
La région des Plateaux est réputée pour ses énormes potentialités agricoles au Togo. Sous l’effet conjugué de la richesse de ses sols, d’une bonne pluviométrie et d’un climat favorable, cette partie du Togo connaît chaque année une abondance en produits fruitiers, notamment dans l’Amou, le Kpélé, le Kloto, l’Agou…Et ce n’est nullement un fait du hasard quand on présente cette région comme le grenier fruitier de notre pays, avec ses innombrables vergers qui s’étendent à perte de vue. Des bananes, des oranges, des papayes, des mangues … constituent l’essentiel des produits fruitiers dans les Plateaux.
Des fruits qui inondent périodiquement les marchés de Lomé et qui, de ce fait, attirent de nombreux clients pour des besoins de consommation. Seulement il y a un problème avec certaines habitudes qui commencent par s’installer sur les marchés. La recherche du gain facile amène certains acteurs à faire usage de substances chimiques pour le mûrissement des fruits.
Commentant les difficultés liées au contrôle, un responsable du service d’hygiène dans la préfecture d’Agou, qui a requis l’anonymat, nous étonne par son interrogation. « Les agents contrôlent. Mais quel contrôle font-ils ? », nous lance-t-il. Il donne avec force détails les difficultés qu’ils rencontrent dans leur travail. « Le contrôle est visuel. On travaille avec les mains vides. Pas de prélèvement sur les produits périssables. Les propriétaires des fruits, eux-mêmes sont conscients de notre manque d’équipement. Souvent même, si on a envie de sortir, on ne peut pas le faire à cause du manque de moyens de transport. Or la présence des agents sur le terrain est dissuasive. Si le contrôle était fait avec des équipements appropriés conformément aux textes, les fruits doivent être suivis jusque dans les champs et aussi de leur transport vers Lomé. C’est à cause du contrôle visuel que le marché est inondé de produits de mauvaise qualité. Par manque de personnel, on ne peut aller vers les femmes. Mieux, il faut être accompagné par les forces de l’ordre, sinon on peut vous agresser. Rien ne vaut un contrôle de rigueur bien structuré et organisé pour le bien-être de la population », dit-il.
C’est donc le lieu d’interpeller les autorités, notamment les services d’hygiène afin qu’ils interdissent ces pratiques qui mettent en danger la santé de consommateurs. Les associations des consommateurs doivent également s’insurger contre ce phénomène. C’est une question de santé publique.
Source : L’Alternative No.617 du 02 juin 2017
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