Le Togo, on le dira aussi longtemps que l’occasion nous le permettra, est malade. Il n’est pas simplement malade, il est à un stade grabataire. Les faits crèvent les yeux, c’est juste un constat que le bon sens peut faire. Du père en fils, puisque toute bâtisse mal posée s’implose, le régime RPT-UNIR est en implosion, il s’implose de ses propres méthodes.
Le père s’en est allé, le fils, lui, il est présentement nostalgique d’une puissance perdue à l’ombre d’une mission restauratrice érodée par les habitudes de la maison. On ne restaure que ce qui a déraillé et le fils est conscient que le règne du père, si à l’entame avait un engagement politique noble, a déraillé au crépuscule. Ce n’est pas un hasard si le « prince héritier » s’en est très vite désolidarisé : « lui c’est lui, moi c’est moi». Dommage, rien ne change malgré tout. Le pays que le père a mis en genoux, le fils l’a couché par terre et le miracle tant convoité s’éloigne. Dans un environnement ressauté, fade et miséreux, monsieur Faure Gnassingbé est conscient de la déconfiture mais il tient les câbles en comptant sur les divisions des réseaux et en entretenant le désordre qui a embrassé tous les secteurs.
Fenêtre sur un passé glorieux
Dans un monde où tout bouge, les méthodes qui n’évoluent pas meurent. En termes de développement, le temps s’est arrêté depuis un moment au Togo. Le temps s’est arrêté depuis que feu Eyadema, du haut d’un orgueil, née des mouvements du vent de l’Est, s’est résolu à se servir plutôt que de servir son peuple, tel qu’il a si bien commencé. Inutile de vous rappeler que, à un moment du règne du père, bien que ce fût une dictature, le crime économique était reconnu comme tel et puni à la hauteur de l’offense.
Nous avions connu des exilés avec des motifs aussi légers que pardonnables. Les uns ont été obligés de se masquer en turban de touareg pour traverser les frontières et embrasser l’exil parce qu’un 800 000 CFA a disparu de la gestion, les autres ont fait la prison parce qu’ils ont obtenu des prêts que Lomé II estimait trop colossaux. Entre autres exemples, le cas de Donou qui avait consenti un prêt régulier de 90 millions de nos francs, en accord avec le Conseil d’Administration de la Caisse Nationale de Crédit Agricole (CNCA), pour développer ses activités aurifères et le cas Ali Kpowou qui, pour sa part, a sollicité la même caisse pour des fins agropastorales. La liste est longue, les uns mourront en détention, les autres en sortiront démolis, les plus chanceux en exile. Comme pour donner l’exemple, c’était la modestie dans les dépenses publiques au sommet. Les témoins de la belle époque renseignent qu’il n’est pas rare que, de retour des voyages officiels, le reliquat des dépenses de monsieur le président soit reversé au trésor public.
Mais, les dictatures, commencent toujours avec des personnalités mornes, des gestionnaires dépassionnés qui ne donnent pas dans le spectacle, des individus avec lesquels la mise en scène médiatique du moi est limitée. Dans les premiers moments d’Etienne Eyadema, ce n’était pas pour ironiser que le Togo était appeler « la Suisse d’Afrique ». On y voyait un petit mérite qui s’y apparentait et Eyadema en était particulièrement fier quand il capitalisait que, les banques togolaises, déjà à l’époque, étaient une destination sûre pour les capitaux dans la sous-région. Un autre constat à l’époque était que, en Haute Volta, actuel Burkina-Faso, un couple aisé qui ne vient pas finir sa lune de miel par une promenade au grand marché de Lomé, n’a pas fait un mariage réussi. Aussi, à Cotonou, un jeune viveur qui n’est pas venu passer son week-end à Lomé, n’a pas bien fini sa semaine.
Arrive alors le vent de l’Est à une période où, pour celui qui se faisait appeler le « Timonier national », tout était placide comme une barque sur un fleuve tranquille. Avec son système, Eyadema a plié mais il a refusé de rompre, instinct de conservation oblige. Au moment où le nouvel ordre prônait une gestion participative et au mieux, un partage du pouvoir, l’occasion est venue de verrouiller l’entourage pour reprendre la main. Une nouvelle race a pris place, ou du moins le système a changé sa vision de la chose publique.
Des inconditionnels ont formaté Eyadema à l’idée qu’il est temps qu’il se serve plutôt que de continuer à servir un peuple « ingrat » qui n’hésite pas à lui remercier en monnaie de singe en sabotant les acquis de sa gestion publique. Et pourtant, la démocratie, partout où elle s’est invitée, les infrastructures publiques ont fait les frais des rancunes cumulées. Bonjour les dégâts, le crime économique n’en est plus un. Ici naissent les laides habitudes, Lomé II peut demander à telle ou telle autre société d’Etat d’apporter tel ou tel liquidité pour les besoins non-budgétisés et surtout de propagande politique. Chaque régie financière avait une sorte de caisse noire pour alimenter les imprévisions du pouvoir. Après Eyadema, cette vilaine habitude, qui ouvre les vannes des détournements, a résisté au temps.
Les sociétés d’Etat, déjà souffrantes de la propagande politique, commencent à tomber l’une derrière l’autre. Contrairement aux dictatures militaires comme celle de feu Kérékou du Bénin, celle d’Eyadéma a résisté au vent de l’Est. Mieux, Gnassingbé premier devient un des plus anciens de sa race, et il est consulté comme tel. Avec une telle image, à un moment où Lomé II est devenu un robinet financier, les succès diplomatiques se relaient. La maladie du pouvoir se déclenche souvent après un grand succès suivi d’une ascension irrésistible. Celle d’Eyadema a alors commencé, son fils en aura pour héritage.
Appauvrir pour régner, le plus laid des instruments d’un pouvoir à vie
Il n’est plus seulement question de résister à la fronde de la démocratie, il faut ancrer le pouvoir dans la durée. Au-delà des crimes économiques, les crimes de sang ne sont plus rares. Tout ce qui contribue à maintenir le système était expérimenté parfois même par des réseaux qui se réclament d’Eyadema sans son aval. C’est le cas des enlèvements et crimes crapuleux. Les exemples les plus éloquents seront les œuvres de Yoma Djouwa avec sa brigade rouge. Il finira par être mis hors d’état de nuire sous les ordres d’Eyadema lui-même. Bref, les méthodes pour réaliser le pouvoir à vie étaient variées d’un réseau à l’autre parfois contre l’ordre établi. A l’époque il fallait terroriser le peuple pour garder le pouvoir.
De nos jours, appauvrir un peuple pour le rendre vulnérable, c’est une devise. L’exemple le plus élémentaire qui revient dans nos analyses est celui des salaires. A la naissance de la zone franche industrielle, les opérateurs économiques étrangers qui s’installaient étaient venus avec des grilles salariales alléchantes inspirées des autres pays où ils opèrent déjà. Mais ce sont les dirigeants qui leur feront savoir qu’avec de tels salaires, ils y a risque de déclencher une vague de revendications dans l’administration et avec les autres agents de l’Etat. Depuis, les différentes structures de zones franches sont devenues des pôles d’exploitation des Togolais.
On se rappelle encore notre vie d’étudiant. On était en l’an 2000, suite à une revendication acerbe, Eyadema a dû demander qu’on nous verse 4 mois d’arriérés de bourse, chaque boursier se retrouvait alors avec 85.000 CFA. Mais l’un des idéologues du régime, a renchéri du Balcon de Lomé II qu’ « avec un tel rappel de bourse nous seront incontrôlables ». Finalement, un seul mois sera versé. Appauvrir les masses pour les garder dociles fait partie des stratégies de la gouvernance à vie et cette vile méthode s’est le plus rependue dans le monde des affaires.
Un environnement des affaires qui limite l’ambition
Les hommes d’affaires ne sont plus dans le besoin, mais il faut bien que le pouvoir politique encadre leurs ambitions. Du père en fils, l’environnement des affaires est conditionné. Il faut être un acquis au régime en place pour avoir une certaine fortune sur un compte bancaire. Le secret bancaire a disparu. Le Togolais n’est pas aussi nul que ça en affaire. Si l’environnement était tolérant, le périmètre des milliardaires et des gens qui se sont enrichis loin du monde politique, pouvait être bien considérable. On pouvait avoir des hommes et femmes d’affaires dont la fortune découle de la sueur saine de leur front plissé par le travail personnel, loin de la politique ou de l’environnement immédiat des dirigeants. Mais ils sont nombreux, ces hommes d’affaires qui se sont réveillés un petit matin avec de rocambolesques accusations de trafic, souvent de drogue ou d’armes. Par la magie des opérations barbouzes, d’honnêtes citoyens se retrouvent souvent avec des marchandises indésirables soit, à leur domicile soit dans leur bagage lors d’un voyage. Le temps de se rendre compte, ils sont encerclés pour des perquisitions qui finissent toujours par porter des fruits. Les plus chanceux traversent les frontières, les moins chanceux passent par la case de prison avant de s’exiler, s’ils sont récupérables.
L’environnement béninois
Nos investigations ont permis de découvrir, à la lecture des informations données par Pierre d’Alcantara Zocli, entre-temps président du Comité Spécial Transitoire de la CCIB, la Chambre de Commerce et d’Industrie du Bénin, qu’ « Il y a plus de 230 milliardaires au Bénin». Malheureusement, en dehors de quelques-uns dont la joie de proclamer leur richesse est irrépressible, la plupart d’entre eux se cachent, sont discrets, font même les morts. Certes, tous ces riches hommes et femmes au Bénin ne sont pas des créateurs géniaux avec des marques d’originalité créatrice dans l’expansion industrielle, commerciale ou entrepreneuriale. Certains y sont parvenus par la remorque de l’État. En termes de richesses naturelles le Bénin n’est pas mieux loti que notre pays. Dans certains pays africains, il y a des ressources comme le pétrole, le diamant, le café ou le cacao sur lesquelles les hommes d’affaires ont fait mains basses pour prétendre s’appeler Dangote ou autre chose. Mais un voisin pauvre comme le Bénin, dépourvus de matières premières, a eu de quoi fabriquer 230 milliardaires enregistrés à la chambre du commerce depuis 2012. Que dire du Togo?
Le Togo c’est 56.600km2 pour environ 7 millions d’âmes; le Bénin c’est 112.622 Km2 pour 10 millions habitant en 2013. D’abord presque la moitié du voisin béninois, il regorge de la quatrième extraction de phosphate du monde, une des plus grands gisements de calcaire, il dispose du fer, l’or n’est plus une matière rare, selon les rapports de l’ITIE, le café, le cacao, le coton et les fruits ne sont pas indésirables pour les riches terres, l’unique port en eaux profondes de la sous-région est togolais. Bref, le Togo est de loin plus riche que le Bénin en ressources naturelles industrielles et de rentes. Mais au Togo, si on veut voir un milliardaire, il appartient bien au syndicat des travailleurs de la gestion de l’État, donc de la politique, tous se sont rabattus sur le verger de l’État pour fleurir.
La pêche est désormais très maigre, tous les maillons clés de la gestion publique sont tombés, mais les requins, les barracudas et les bélougas de la pêche publique existent bien sauf qu’ils sont invisibles, peut-être sont-ils reconnaissables par la misère qu’ils rependent dans leur entourage. Eux-mêmes sont malheureux dans leur fortune comme si c’était un bien acquis par des pratiques sorcières. Comment de tels riches peuvent-ils combattre le chômage ? Contrairement au Bénin, au Togo, en dehors des étrangers dont on est sûr qu’ils n’auront pas d’ambitions politiques, les fils du pays qui émergent financièrement sans être dans l’orbite politique du pouvoir sont étouffés dans l’œuf. Pour une race au pouvoir qui pense que c’est un droit divin pour elle de diriger, pour éviter une concurrence politique et conserver son droit divin, elle se paie le vilain plaisir d’étouffer les talents dans le monde des affaires. On ne fait que la promotion du cercle fermé, ceux dont on est sûr qu’ils ne seront pas tentés par le fruit interdit, le pouvoir. Du coup, toute synergie parallèle est découragée.
27Avril.com