Le peuple togolais tient au retour à sa Constitution de 1992, votée à plus de 97% lors du référendum de septembre de la même année. C’est ce qui le fait descendre dans la rue depuis le 19 août dernier.
Deux mois après le début des manifestations qui mobilisent des centaines de milliers de gens dans la rue, le régime RPT/UNIR continue de faire du dilatoire. Pire, Faure Gnassingbé s’enferme dans un mutisme qui enlise davantage la crise politique. Après avoir organisé des contre-manifestations futiles, le régime s’est vu obligé d’interdire des manifestations de l’opposition. C’est dans cette atmosphère que les marches des 18 et 19 octobre ont été programmées par la coalition des 14 partis politiques de l’opposition.
Ce que les populations togolaises ont vécu le mercredi 18 octobre était prévisible. De façon arbitraire, le gouvernement a interdit les marches publiques pacifiques, en violation de la loi sur les manifestations au Togo. La décision a été dénoncée par les organisations de défense des droits de l’Homme et les partis politiques de l’opposition qui ont appelé le peuple à la résistance. C’est face à la situation déjà très tendue qu’est intervienue l’arrestation lundi nuit d’un imam à Sokodé, faisant basculer cette ville dans la violence.
Sokodé : Une arrestation de trop
Depuis le déclenchement des manifestations pour le retour à la Constitution de 1992, le régime RPT/UNIR nourrit une haine viscérale envers le Parti national panafricain (PNP) et son président Tikpi Atchadam qu’il traite de Jihadiste. Les cadres de ce parti, dont le président lui-même, sont harcelés, et d’autres arrêtés. Outre Dr Kossi Sama, Secrétaire général du PNP arrêté le 20 août dernier et qui croupit actuellement à la prison civile de Lomé, beaucoup d’autres militants de l’opposition sont aujourd’hui dans des centres de détention à travers le pays. Le lundi 16 octobre dernier, Al Hassan Mollah, imam proche du PNP, a été arrêté aux environs de 18 heures dans son domicile. A en croire le ministre de la Sécurité et de la Protection civile, Yark Damehame, l’Imam, à travers ses prédications, incitait la population à la violence. Un argument rejeté par les proches de ce dernier qui parlent d’une arrestation arbitraire. Du coup, les jeunes de Sokodé ont protesté contre cette interpellation qu’ils jugent de trop.
En quelques minutes, la ville de Sokodé a basculé dans la violence ce lundi soir jusqu’au lendemain. Routes barricadées, pneus brûlés, affrontements entre manifestants et forces de l’ordre appuyées par des militaires lourdement armés ; la ville était devenue un champ de bataille. Aux tirs de grenades lacrymogènes et des balles réelles, les jeunes répondaient avec des jets de pierres et des barricades. Plusieurs édifices publics ont été incendiés. Commencent alors des expéditions punitives dans toute la ville durant toute la nuit. Les militaires rentraient dans les maisons, tiraient et bastonnaient tous ceux qui s’y trouvaient. Les violences, cette nuit, ont fait 3 morts (deux militaires et un civil).
Ces violences ont atteint la capitale Lomé dans la même nuit de ce lundi. Dans le quartier Agoè, des jeunes ont barricadé les voies, des courses-poursuites avec les forces de l’ordre et les militaires se sont produites. Il y avait également eu des tirs de grenades lacrymogènes et des balles réelles. Dans la foulée, des individus non identifiés ont brûlé le siège du PNP et sont rentrés dans les maisons voisines en bastonnant les habitants. A en croire les riverains qui s’en sont sortis avec des blessures, ces individus ne sont autres que des militaires aidés par des gros bras qui tapaient sur tout ce qui bougeait. « Ce sont des soldats, parce qu’ils sont en treillis. Ils sont arrivés à bord de trois véhicules banalisés. Ils ont lancé des gaz lacrymogènes, ce sont des soldats. Toute la maison était remplie de fumée de gaz, mais comme c’est notre maison, nous avons réussi à frayer du chemin, en escaladant le mur. Ils savent très bien que là où ils ont mis le feu, nous ne pouvons pas sortir. Nous les avons bien vus. Ils étaient en treillis. Ils ont battu les gens dans la maison voisine. Ils ont même cassé la tête à un enfant dans cette maison. L’enfant se trouve actuellement au CHU Sylvanus Olympio », a confié la propriétaire de la maison où se trouve le siège du PNP. Et elle a ajouté : « C’est Dieu qui nous a sauvés hier. C’est aux environs de minuit que les forces de l’ordre ont débarqué ici. Ils ont commencé par lancer les gaz lacrymogènes. Ils avaient des bidons d’essence en mains. Ils ont défoncé nos portes. Ce qui s’est passé ici est grave. Ils nous demandaient de sortir. Mais, comme nous n’avons pas obtempéré, ils ont commencé par défoncer la porte sur nous. Ils ont versé de l’essence sur les chaises du PNP. Ils ont brûlé le siège du parti et les ateliers situés aux alentours. Ils voulaient investi le siège, mais le portail était bloqué. Donc, ils ont tout brûlé ici. Voilà ce qui s’est passé à Agoè-Orakis, au siège du PNP. Il faut que les gens viennent voir ce qui se passe ici. Comment on peut vivre comme ça dans un pays ? ». Le lendemain, toute la ville de Sokodé a été assiégée par des militaires visibles partout.
Un mercredi à Sokodé
C’est le premier jour des manifestations prévues par l’opposition. Les militaires postés un peu partout dans la ville n’ont pas permis à la population de se rassembler pour la marche. Pire, ils poursuivaient les gens jusqu’à leurs derniers retranchements. C’est ainsi qu’ils sont rentrés dans les maisons, bastonnant des vieilles personnes, des enfants, des femmes et des jeunes qui n’ont rien à voir avec les manifestations. Une répression aveugle qui a fait fuir beaucoup de personnes qui ont trouvé refuge dans la brousse. D’autres ont tout simplement traversé les frontières du Bénin ou du Ghana. « Je suis avec mes enfants dans la brousse. Nous ne pouvons pas supporter cette sauvagerie des militaires. Je ne sais pas où sont ma femme et mes autres enfants. Eux aussi, ils ont pris une autre direction. C’est depuis hier nuit qu’ils ont commencé ça. Ils lancent aussi des gaz lacrymogènes dans les maisons… », a confié un habitant de la ville. Il y a une terreur qui est installée à Sokodé. Cette répression a fait plusieurs blessés qui ont reçu la visite des organisations de défense des droits de l’Homme dans les centres de santé où ils sont admis.
Sokodé n’est pas la seule ville à être assiégée ce mercredi. A Bafilo, Kparatao, Mango et autres, la présence militaire a été forte. Le but, dissuader les populations à répondre à l’appel de la coalition de l’opposition pour les manifestations de rue. A Lomé, c’était le chaos.
Lomé, la résistance sous une pluie de balles réelles avec des morts
Mercredi tôt le matin, les forces de l’ordre, les militaires et des individus armés de machettes, de longs bâtons et autres armes blanches ont envahi les points de départ annoncés pour les marches auxquelles a appelé la coalition des 14 partis politiques de l’opposition. Bè-Gakpoto et Adéwui (carrefour CCP) ont été assiégés. Les manifestants qui observaient les mouvements de la machine à répression depuis le matin ont commencé par ériger des barricades. Peu après, la situation dégénéra.
Le quartier Bè méconnaissable
Même la sortie du chef canton de Bè, Togbui Louis MawukoAklassou IV, n’a pas réussi à calmer les jeunes qui ont résisté devant les forces de l’ordre et les militaires qui tiraient des grenades lacrymogènes et des balles réelles sur les manifestants. De Bè-Kpéhénou à Bè-Gakpoto en passant par Akodésséwa, Adakpamé et Bè-Kpota, les manifestants ont posé des barricades, brûlé des pneus et répondaient aux tirs des forces de l’ordre et des militaires par des jets de pierres. C’est lorsque les militaires n’arrivaient plus à contenir les manifestants qu’ils ont commencé par tirer des balles réelles sur ces derniers aux mains nues. Un enfant de 11 ans, élève au CEG Bè-Kpota a reçu une balle en plein cœur. Transporté à l’hôpital du 2e District appelé Blanc Blanc, il a succombé à ses blessures. Deux autres personnes, EklouKodjo, tapissier âgé de 24 ans et Ello Housman, 12 ans, élève au Complexe scolaire La Polyvalence, ont également reçu des balles, mais sont en vie. Dans l’après-midi de ce mercredi, les militaires ont fait irruption dans ce centre de santé et bastonné tous ceux qui s’y trouvaient. Des gens s’en sont sortis avec des blessures. La bastonnade a continué dans le quartier jusque très tard dans la soirée.
Adéwui, Atikoumé et Agoè terrorisés par des individus armés non identifiés
Comme à Bè, plusieurs autres quartiers étaient à feu et à sang ce mercredi. Déjà très tôt le matin, des individus non identifiés, mais armés de machettes, de longs bâtons et de fusils passaient à tabac tous ceux qui s’aventuraient dans les zones d’Adéwui et de Gbossimé. A Agoè et Atikoumé, ils sont même rentrés dans les maisons, ont bastonné les habitants, y laissant des blessés graves. Ces individus, à bord des véhicules 4X4, roulaient à vive allure sur les manifestants.
Toutefois, ces intimidations n’ont pas freiné l’ardeur des jeunes qui répondaient avec des jets de pierres, des barricades et des pneus brûlés. A Atikoumé, un manifestant a été tué par balle et plusieurs autres blessés dont des cas graves. Il en est de même dans les autres quartiers environnants.
Les affrontements ont fait, selon le bilan officiel, 4 morts et plusieurs blessés. Une soixantaine de manifestants ont été arrêtés. Ces affrontements se sont poursuivis hier dans la journée avec des tirs à balles sur des manifestants dans plusieurs quartiers de la capitale, avec des descentes musclées dans des maisons
Source : L’Alternative No.650 du 20 octobre 2017
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