Togo : La Théâtralisation de la République

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Togo : La Théâtralisation de la République

Ils sont nombreux qui s’exclameront encore, « d’où le rendez-vous sort-t-il encore avec ses titres ». Pour les uns, un plaisantin qui fait dans l’exagération, pour les autres un rêveur qui croit en un changement impossible. Au sommet des sommets même, un tout puissant, après avoir parcouru un écrit où nous émettions des réserves sur les compétences intellectuelles qui lui sont attribuées, faisait une remarque : « ce journal quand on finit de le lire, on ne sait pas ce qu’il cherche ». Oui, chaque rédaction a une ligne éditoriale, une conviction, toutes les lignes sont donc autorisées, sauf que devant la vérité, le choix n’est pas libre. L’avis est libre mais le choix est unique face à la vérité. Nous ne sommes pas de la race qui tend la perche aux négociations à chaque sujet délicat, alors nous sommes à l’aise dans les détails qui souvent indisposent. Mieux, notre objectif n’est pas de forcer le lecteur à croire, mais juste à obtenir de lui la patience d’aller au bout de nos écrits, soient-ils des rêves. Tous les jours qui passent véhiculent la confirmation systématique de nos dénonciations sur tous les pans de la vie publique : l’économie, les droits de l’homme, la vie des institutions, les choix politiques, les programmes de développement, la diplomatie, tout est mise en scène au Togo. Une mise en scène c’est du ‘’fake’’, ça donne une sensation forte, le temps de la présentation. Après revient la dure réalité qui laisse tomber le masque.

Entre mise en scène et dure réalité

Quelques mois après sa prise de pouvoir, à chaque fois que le prince héritier se vendait au-delà de ses réelles valeurs comme étant le plus instruits des enfants d’Eyadema, un grand économiste gestionnaire sorti des meilleures universités, un monsieur pondéré qui arrive pour faire le miracle économique là où son géniteur a échoué, nous étions parmi les tous premiers sceptiques à revenir en refrain sur un titre qui colle toujours si bien : «l’impossible miracle économique de Faure Gnassingbé », les archives sont encore présents. Quatorze ans après, chacun peut évaluer ce que nous développions alors dans ces écrits. Plus on avance, plus monsieur Faure Gnassingbé ressemble à une erreur politique dans le microcosme de la fastidieuse histoire des Togolais face à leur pays. Il y a longtemps que le Togo ne vit plus mais il survit. Faute d’initiatives crédibles pour vendre sa politique, sclérosé par l’âge, la corruption, le népotisme, l’approximation au sommet et le mélange du genre, l’Etat s’est mis à genoux et tout est devenu juste un combat pour conserver une situation pourrie. La survie politique est comme une période d’hibernation pour les espèces animalières. C’est une zone de turbulence, de difficultés où tous les moyens sont bons pour traverser la zone.

Au Togo, sur le terrain de la gestion de la vie socio-politique, à défaut de pouvoir avancer, Monsieur Faure GNASSINGBE et ses hommes campent sur la défensive. Tout ce qui permet de conserver le pouvoir est bon, en attendant de savoir quoi en faire. « La meilleure défense c’est l’attaque », mais encore faut-il avoir les moyens pour attaquer. La bande au pouvoir est atteinte d’un cancer en phase terminale que rien ne peut guérir si ce n’est son départ, elle en est consciente. Du coup, en attendant un sort incertain, il faut survivre, même au prix de la théâtralisation de la vie publique. L’Etat survit de la théâtralisation de la vie politique : tous les actes étatiques sont une pièce qui se monte, qui se joue, qui se valide et qui rentre dans les archives. Si le Togolais assiste résigné à ces différents éléments de la mise en scène, hors des frontières, la pilule a du mal à passer. L’homme Faure et ses serviteurs ont beaux exporter ce qu’ils savent faire le mieux, la corruption, les vices togolais ont du mal à se faire accepter pour des vertus. Le Théâtre qui s’apprécie, par les petits messieurs payés à la tâche sous des plumes assassins, a la vie dure ailleurs. Quand le Togo quitte sa territorialité, tous les jours est un camouflet pour son image. Sur les médiats internationaux, l’Etat et ses représentants sont tournés en dérision, de quoi pousser le citoyen sceptique à renoncer à sa nationalité. Si la honte était un poison, on aurait fait le deuil de Faure Gnassingbé depuis belle lurette.

« A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire », la deuxième génération du RPT a capté le pouvoir grâce aux prérequis de la filiation. Quand un paysan peu averti du bout de son champ capte par hasard une agréable fréquence incertaine sur son poste radio, il refuse souvent de faire bouger le curseur. Même quand les ondes se brouillent, il attend l’incertain retour de la bonne fréquence oubliant qu’en bougeant le curseur ou en changeant de positionnement, il peut, peut-être, être mieux servi. Oui, en restant scotché à son héritage national, Faure Gnassingbé croit en un miracle, mais les retours ne sont pas bons.

Vive le théâtre

La définition du vocable « théâtre » est aussi diversifiée que la succession du jour et de la nuit. Retenons juste ce qui répond à notre sujet. Tout petit, chacun s’en souvient, aux claires de lune ou par la grâce de rares lampadaires, le théâtre était d’abord pour nous une représentation surtout plus récréative que pédagogique destinée particulièrement aux enfants que nous fûmes. C’est un spectacle créé et animé par les enfants eux-mêmes : qui pour jouer au père de famille devant une jeune mariée, qui pour faire le chef au sommet de sa cour ou représenter le colon aux commandes des indigènes.

Si on quitte ce stade, le théâtre c’est d’abord un art dont le but est de produire des représentations devant un public, de donner à voir, à entendre et à ressentir une suite d’événements, d’actions. Tout ceci par le biais d’acteurs dont chacun a un rôle bien rétribué et dont la notoriété dépend de son habileté à défendre son rôle. Le théâtre c’est aussi une illusion savamment organisée, représentation enregistrée, filmée, puis rediffusée par le biais de la radio, de la télévision ou autres médias. En fin, sur un sens figuré, c’est une attitude spectaculaire qui manque du naturel et qui se joue dans un cadre lui-même appelé théâtre.

Le monde est devenu un village planétaire où les économies, les lois de l’offre et de la demande, sont interconnectées, où les lois s’imbriquent, les droits humains se définissent les uns par rapport aux autres. On a beau être autonomes en tant qu’Etat Togolais ou je ne sais quoi, nous sommes condamnés à vivre ensembles au nom de tout ceci et donc les grands enjeux ont un dénominateur commun par rapport auxquels on juge un Etat. En affaires, on parlera de l’OHADA sur une dimension sous régionale; en protection des droits, on parlera de la Convention Universelle des Droits de l’Homme; sur la mer, on va brandir le Droit Maritime. Tout ce qui concourt au bien-être de l’espèce humaine marche par rapport à un minimum d’harmonie partagée. Aucun Etat ne peut outrepasser certaines normes au risque de vivre en autarcie. En politique, plus on dure au pouvoir, plus on désapprend et on perd ses repères et mieux ont recours aux moyens illégaux puis on s’embrouille. Du RPT à UNIR, une famille politique a fait 53 ans au pouvoir dans notre pays. Ceci est déjà un vilain record africain, car toute longévité politique est un défaut et non une qualité à vanter. Dans un tel environnement, tout est sens dessus dessous. Les mauvaises mœurs remplacent les bonnes, le népotisme a fait grandir la corruption, le surplace a rendu les acteurs improductifs; la considération du pouvoir politique comme un acquis a multiplié des fainéants qui pensent qu’ « ils sont venus avec le pays et ils partiront avec le pays ». L’usage de la force nationale au service d’un clan fait penser qu’ « en face il n y a rien », n’importe qui peut jouer n’importe quel rôle, l’essentiel est que le règne se conserve. Aussi longtemps qu’on a la force, la reddition des comptes peut attendre. Avec un tel climat, le régime finit par être victime de ses atouts tout comme un élève voisin de l’école qui s’arrange toujours à arriver en retard. « Quand ramasser devient trop aisé, se baisser devient difficile », stipule Saïdou Badian un écrivain sous les Tropique.

Pour ressembler aux autres, afin de ne pas être à la risée du reste du monde et s’affirmer sur l’échiquier international, aucune dictature au monde n’a jamais accepté se faire appeler République Dictatoriale de tel ou tel autre pays. Même avant l’avènement des démocraties, aucune gouvernance ne revendiquait les qualités dictatoriales. Du plus petit au plus grand, même les pires « infréquentables » des dictatures s’arrangent à porter les masques de la démocratie. Sauf qu’en zone de turbulence, les masques tombent toujours et souvent en plaine production sur scène. Dans le souci précédant, il faut bien ressembler aux démocraties, d’où les mises en scène, la théâtralisation de la vie politique dans les dictatures qui font de vieux os. Dans le cadre Togolais, faute de pouvoir faire les choses au goût du jour, tout est devenu vraiment théâtre. En voici quelques illustrations.

Le théâtre politique

Le vent du 19 août provoqué par « un petit parti », a obligé monsieur Faure Gnassingbé et son régime à se rendre compte que rien est acquis. Tout peut venir de partout et à tout moment dans la gestion des hommes. Le feu aux fesses, le prince fait appel à un regroupement du nom de la CEDEAO. Celle-ci intervient en arbitre pour l’amener à harmoniser la vie politique de son pays aux normes internationales, du moins sur les grandes thématiques. Il faut ressembler donc aux autres pour ramener la paix. Une feuille de route est alors née comme un cahier de charges au bout d’un dialogue. Bien que la machine du RPT-UNIR ait ‘’pesé de toute sa poche’’ pour que le cahier de charges soit adopté par les chefs d’Etat dans sa version diluée, l’application de ces recommandations, si diluées soient-elles, n’est pas facile. Avec un régime longtemps couché sur des facilités, accepter certaines réformes, c’est signer son arrêt de mort. La feuille de route est donc rejetée.

Ici commence le premier théâtre. Le spectacle est créé par des experts ensuite animé par les courtisans parmi lesquels les partis politiques accompagnateurs. L’illusion est savamment organisée, la représentation enregistrée, filmée, puis rediffusée par le biais de la radio, de la télévision, des petits médias rompus à la tâche. Ce montage scénique a germé d’une élection législative organisée, répétée et jouée par des acteurs choisis. Le tout a produit les fruits de la honte. Une honte nationale malheureusement, toute perchée aux branches d’un théâtre pompeusement appelé Assemblée Nationale. Ce n’est pas tout, une assemblée-mouton a pris fonction. Et puisque des moutons, même rassemblés ne peuvent ressembler à une seule chèvre, ils ont fait un coup d’essai qui se révèle un coup d’échec. La première loi votée pour limiter les libertés et sauver le bienfaiteur est un pétard mouillé.

Dans un courrier adressé à l’Etat togolais, l’Organisation des Nations Unies (ONU), soulève des insuffisances et incompatibilités de la nouvelle loi sur les libertés de réunions et de manifestations publiques au Togo :

« Les interdictions absolues ou totales, que ce soit sur l’exercice du droit en général ou sur l’exercice du droit en certains lieux et à certaines heures sont intrinsèquement disproportionnées, car elles excluent l’examen des circonstances spéciales propres à chaque réunion ».

« Tout usage de l’espace public nécessite des mesures de coordination pour protéger les différents intérêts en jeu, mais sous peine de vider la liberté de réunion de sa substance, il faut accepter, dans une certaine mesure, le fait que les rassemblements peuvent perturber la vie ordinaire et cela inclut les activités commerciales ».

« Les articles 12 et 13 manquent de clarté et en l’état du texte, constitueraient des conditions disproportionnées. Selon elles, « les organes habilités à recevoir et à répondre aux notifications ne devraient toutefois pas jouir d’un pouvoir discrétionnaire excessif »

Voilà ce qu’on pouvait, entre autres limites et abus dénoncés, lire dans le courrier onusien. Alors que ces acteurs rassemblés aux prix des yeux de la tête pensent voter des lois pour procurer à Faure Gnassingbé un refuge tranquille au cas où, alors qu’ils croyaient débarrasser leur bienfaiteur des affres des marches de protestations, ils l’ont étalé aux yeux du monde entier des carences. Au sommet d’un Etat, même en temps difficile on doit avoir au moins des hommes et femmes assez intelligents pour savoir ce qui est faisable et ce qui ne l’est pas. En politique, voici de quoi est capable une myopie intellectuelle contre l’image d’un Etat.

Théâtre des droits de l’homme

Comme ils savent bien le faire, les rôles sont attribués, chacun connaît sa place et ce qu’il doit faire. Mais le dernier camouflet sur ce terrain est que, après plusieurs rappels à l’ordre pour non-respect des droits des détenus l’ONU demande la fermeture de la prison de Lomé : « On a pu constater au Togo que la condition des détenus est particulièrement inquiétante. L’état de la prison civile de Lomé, c’est impossible, même pour des raisons de sécurité entre détenus de laisser ce bâtiment tel quel et de continuer à accueillir des détenus dans cet établissement », a confié Sébastien Touze, expert du Comité contre la torture des Nations Unies, rapporteur pour le Togo.

Par conséquent, le Comité de l’ONU contre la torture recommande au Togo de « fermer définitivement et sans délai la prison de Lomé, et concevoir un plan général sur la situation des établissements pénitentiaires au Togo ». Et ce comité donne un an aux autorités togolaises pour se conformer à cette recommandation. Ce centre de détention est le symbole des différentes violations des droits de l’homme au Togo. Le théâtre se joue entre les acteurs de l’Etat et certains escrocs de la société civile. Tous les montages réussis sont démontés par l’ONU.

Théâtre dans la lutte contre l’impunité

La lutte contre l’impunité, elle doit apprendre à patienter. Elle peut attendre que les acteurs quittent le théâtre pour s’affirmer. Toujours afin de ressembler aux autres et avoir un argument pour s’attirer la magnanimité des bailleurs et autres partenaires en développement, les outils de lutte contre la corruption sont bel et bien créés. La cour des comptes, elle existe dans toute sa splendeur. Ses activités sont budgétisées, elle a disséminé ses sièges dans différents quartiers de Lomé, le capital humain et matériel existe sauf que le capital moral manque. En dehors des petits poissons, a-t-on une fois mis un seul criminel économique sous les verrous par l’exploit de cette institution ? L’histoire n’enregistre pas encore un cas. Le HAPLUCIA une coquille vide pour lutter contre les crimes économiques, une autre comédie. Si la cour des comptes avait pu faire le minimum de son devoir, peut-être, elle n’existerait même pas. Elle est là, avec ses pieds et ses oreilles, mais c’est un pétard mouillé qui ne vit que du chantage public pour que l’opinion sache qu’elle est créée. En amont et en aval, toutes les recettes extrabudgétaires sont considérées comme du pourboire que des énergumènes se partagent à différents niveaux des responsabilités. Tout récemment, le confrère Alternative a publié le cas de 6,5 milliards de nos francs que l’opérateur de téléphonie Moov-Togo a du payé à l’Etat. Les détails de la gestion de ces sous sont portés sur la place publique. Mais est ce que les premiers responsables peuvent nous publier un bordereau de versement au trésor public de cet argent? Nous avons de fortes raisons de douter, de telles sommes atterrissent souvent à la présidence de la République sans bruit. Pourtant quand des médias occidentaux ironisent que le trésor public sous les Gnassingbé est à la présidence, des barons s’enflamment. Nous défions ceux qui défendent la bonne gestion du pays de nous publier un tel document de versement. Les exemples sont nombreux. Ce n’est que deux exemples, les structures étatiques pour empêcher, décourager, traquer et punir le crime économique puis mettre fin à l’impunité sont abondantes comme les termites aillées au soir d’une pluie matinale. Mais ça n’empêche pas le crime de bien se porter. Les voleurs de la République narguent tout le monde. La corruption a encore de beaux jours devant, juste parce que la mauvaise volonté a remplacé le pragmatisme par le théâtre. Tout le monde est mouillé, sur le terrain de la lutte contre la corruption, nous défions toutes les autorités, du plantons au chef de l’Etat, s’il existe un monsieur propre qui peut servir d’autorité morale forte pour discipliner les autres, qu’il nous contacte, nous l’aiderons. Les autorités togolaises ont usurpé un apparat blanc, ils forcent l’opinion à croire qu’elles sont blanches comme la neige mais les faits sont têtus.

Théâtre à la justice

Ici, les gens sont même nés avant la honte. Si tout n’est pas noir, ils sont nombreux qui sont devenus des magistrats par accident. Ils savent que si la situation se normalise, personne ne les demandera de quitter ce noble corps. Ils sont des rachetés du népotisme pour leur entrée à l’école de la magistrature, du népotisme pendant leur cursus académique et enfin du népotisme dans leur promotion professionnelle. Ils sont nombreux qui pourrissent les couloirs de la justice. C’est dans leur rang que se choisissent les magistrats spécialistes des dossiers signalés tout comme ils sont la plateforme juridique de la fraude électorale pour le maintien du régime. Contorsion dans la forme, contorsion dans le fond, faux procès-verbaux, quand ils rendent justice, le verdict ne vaut que pour le Togo. Quand leurs bienfaiteurs veulent quelque chose d’eux, il le leur dépose sur la table, à eux d’organiser le procès de façon à avoir le résultat défini. A chaque fois que les victimes se plaignent devant une autre juridiction, leurs procès s’effritent tel un château de cartes. Les exemples sont légion : procès Kpatcha démoli devant la CEDEAO, procès Bodjona, Procès Agba Bertin, la liste est longue. A chaque fois qu’ils défendent les intérêts de l’Etat, le risque d’une remise en cause de leur chef-d’œuvre est grand. Malgré qu’ils aient eu à un moment donné des personnalités comme Awa Nana pour les couvrir à la cour communautaire de la CEDEAO, le Togo reste le pays le plus poursuivi devant la justice de la communauté parce que le citoyen n’est jamais satisfait des juges pour qui la pelouse de la corruption est un reposoir idéal. Un travail se fait, une inspection existe et se bat tant bien que mal pour imposer un minimum, tout n’est pas pourriture, il existe quelques magistrats et auxiliaires de justice honnêtes, mais le Togo est encore loin dans ce domaine. Clause de conscience ? Un petit débat pour eux. C’est le cadet de leurs soucis. Tout est théâtre mais pour vraiment apprécier chacun dans son rôle d’acteur, il faut les voir dans leur accoutrement, surtout avec l’œil d’un professionnel de droit.

Théâtre dans les infrastructures

Ici, on n’a pas besoin d’être un spécialiste des ponts et chaussées pour savoir que monsieur Faure et son mécanisme de gouvernance jouent vraiment la comédie. A tous les niveaux, les metteurs en scène se partagent les rôles. Il se crée des entreprises BTP de circonstance. Elles sont nombreuses ces entreprises apparemment spécialisées dans les travaux mal exécutés. Certaines d’entre elles sont tout récemment même obligés de se faire petites après des scandales répétés. Dans les BTP, la théâtralisation est parfaite, elle touche toute la chaîne du montage, allant de la création de l’entreprise BTP à la surfacturation, l’octroi des marchés, les cabinets de contrôle pendant l’exécution et le retour à l’ascenseur dans la chaîne des rôles attribués pour ne pas dire le partage du gâteau. C’est ainsi que pour arroser toute la chaîne du processus, les surfacturations et avenants se portent bien comme le soleil de midi. Il se réalise des projets sans que le contribuable sache quel est la valeur réelle du marché. Le bureau annexe de la présidence à Lomé II, par exemple, est passé de 300 millions CFA à 3 milliards de CFA. Cet immeuble annexe devait pallier à l’insuffisance de bureaux car la nouvelle présidence n’en compte que 13 ; image de l’homme du 13 janvier oblige. Après que des solutions approximatives aient été trouvées pour arrêter que les nouveaux services de monsieur le Président ne se retrouvent dans l’eau à chaque pluie, jusqu’ici, la voûte de cette bâtisse ainsi construite par CECO coule et reste inoccupée. L’actuelle direction de Togocellulaire occupée par Atcha Dédji, elle autre, est construite à 4 milliards de CFA, mais en mine de rien, elle laisse tomber déjà des carreaux sur ses façades. Le plus grand immeuble de la LONATO est encore en chantier. Assis à la lisière d’un boulevard qui peut être agrandi à tout moment à des fins urbaines. Aux premières pluies, les vitres laissaient rentrer abondamment l’eau avant que les travaux de correction ne commencent, il a déjà englouti plus de 9 milliards CFA. Construit sans parking, une boîte de nuit en face est achetée à 900 millions pour être rasée et servir de parking quitte à traverser une route toujours bondée pour aller de la voiture aux bureaux de l’immeuble.

Le drainage des eaux dans la capitale, c’est un fiasco. Et pourtant des milliards sont passés par là, on parle de bassin de rétention; rétention d’une partie du budget, oui. La politique des grands chantiers n’est qu’un partage du gâteau. Les contournements de Défalé, de Bafilo et d’Alédjo sont devenus plus calamiteux et dangereux que jamais. La route nationale dans son axe Atakpamé-Sokodé est devenue un grand danger public ; il faut la pratiquer pour s’en convaincre. Tous ces chantiers ne font pas encore 4 ans d’âge. Il vous souvient que, autant que les contournements, ce chantier de l’axe routier au Nord n’était pas encore achevé quand nous avions tiré la sonnette d’alarme : « ils sont très mal faits ». Les meilleurs bureaux de contrôle dans l’exécution des marchés publics ont tous faillis, ils sont partis avec des milliards de CFA. Mais s’il existe un d’entre eux qui est impeccable dans son contrôle, mais avec une prestation gratuite, c’est ‘’Madame la pluie’’. Dorénavant, les Togolais savent que à chaque fois qu’une route, un bassin de rétention ou même un immeuble est achevé et réceptionné à grande publicité, ils doivent garder la patience le temps de vivre quelques mois de pluie pour juger de la qualité des travaux ainsi réceptionnés. Malheureusement, avant que la pluie n’arrive, les vautours sont déjà partis chacun avec ses fonds vautours comme une charogne que chaque rapace emporte à la hauteur de sa sphère d’influence.

Le théâtre de la diplomatie

Les mots manquent pour les décrire, à quelques exceptions près, ils sont capables d’une duplicité déconcertante, ces diplomates accrédités au Togo ? Tous connaissent les codes. Quand quelqu’un est représentant et refuse de jouer le jeu, il est souvent vite remplacé. Quand ils viennent d’arriver au Togo, leurs premiers discours sont une chose, leurs discours après quelques mois sont une autre chose. Ils couvrent, défendent, justifient voire louent chez nous ce qui n’est qu’un crime chez eux. Parce que la dictature a engrangé une véritable fortune de guerre pour mouiller tout le monde. Tout récemment, ils n’ont pas hésité à tenter de convaincre les partis politiques qui refusent de jouer le jeu à accepter participer aux deux dernières élections dans notre pays. Ces élections se sont tenues, mais quel bilan font ces petits Messieurs ? L’avis de la plupart d’entre eux est souvent fonction de la force de corruption du dictateur. On vit une chose avec eux, ils font le rapport sur la base d’une autre chose.

Théâtre dans la communication

Le marketing politique ou communication politique est la plus révoltante. Il ne s’adapte à rien de déontologique moins encore d’éthique, l’essentiel est de s’accommoder au monde de la politique locale. Il vise juste à mettre en avant une personnalité, un concept, une campagne politique. L’essentiel est d’influencer le consommateur, l’électorat. C’est d’ailleurs trop dire, à un certain âge, les dictatures n’en ont plus besoins.

La communication politique sous Faure Gnassingbé se définit sous ses formes les plus primaires. Il faut donc qu’elle réponde d’abord et avant tout à ce que le prince veut entendre. Ce n’est pas pour rien que même à la présidence, c’est l’une des intimes qui est choisie pour faire la communication car elle semble à même de mieux connaître le destinataire du produit fini. Il faut bien connaître celui pour qui on communique afin de choisir les menus. Dans un tel environnement, les contradictions sont très peu tolérées, on trouve tous les arguties pour fermer les médias qui dérangent et les émissions qui sont difficiles à mettre sous contrôle. Toutes les radios fermées depuis l’avènement de monsieur Faure sont des radios très critiques au régime : Légende FM, X-solaire, LCF et j’en passe. L’emblématique émission débat de Taxi-FM vient, elle aussi, de mettre la clé sous les paillassons bien que l’initiative soit portée par une radio appartenant à un baron du régime.

Les cabinets de communication se suivent et se ressemblent par les frais exorbitants des prestations. Pendant que les médias locaux se contentent de jetons de présence, tous ces experts en communication n’arrivent à faire aucune différence si ce n’est se rejoindre sur un dénominateur commun, encenser quelqu’un. Leur rôle est de faire converger l’opinion vers un point favorable aux personnes qu’ils représentent, à créer des slogans soient-ils stériles. Ici, le silence ou le discours sur certains volets importants de la vie politique c’est pour couvrir élégamment les tares de nos hommes politiques, soient-ils des présidents. L’aspect le plus théâtralisé de la communication politique dans notre pays réside dans son caractère service après-vente. Les journalistes et autres ‘’agbassivis’’ venus d’Europe ou des frontières voisines sont chargés de vanter tout ce qui sort de l’usine, n’en déplaise à la qualité. C’est ainsi qu’ils ont vanté la dernière loi parlementaire à cors et à cris sans que personne n’ai pu se rendre compte qu’elle est porteuse de graves limites qui peuvent jeter un affront à notre pays. Toutes les critiques des voix discordantes étaient considérées comme des propos d’envieux, d’observations aux yeux de crocodiles. En marketing politique, même quand on est payé pour vendre un candidat aux électeurs, une réforme à l’opinion, de nouvelles lois à l’échelle nationale et internationale, il faut les connaître ces lois et reformes. Mais ici, puisque tout est théâtre, depuis son avènement au pouvoir, on vend monsieur Faure sans se demander ce qu’il vaut réellement. Le résultat, le voici. On vend les différentes réformes économiques sans les connaître à tel point qu’à chaque croisée de chemin, on est obligé de laisser une reformes pour une autre. PUDC, PUDC rénové, PRADEB, PND, ProDeGoL et autres acronymes facilement trouvé au bout d’un financement. Ils se suivent et se ressemblent par l’échec. On vient de vendre la dernière modification d’un parlement-mouton avant que l’ONU refuse d’en consommer. A partir du moment où la théâtralisation de la République ne permet pas de connaître les produits qu’on véhicule au menu, il est difficile, voire impossible d’en connaître leur prix. Ainsi on peut renverser aisément les rôles sans sourciller. Pendant qu’une partie du budget est utilisée pour payer les experts en communication qui en réalité ne valent que par l’humeur du premier client, Faure Gnassingbé, le média locale même acquis à la cause du régime, rase les murs. Ils ne servent que des canaux de distributions sortis d’usine. Il n’est donc pas rare de voir ces dossiers se suivre d’une rédaction à l’autre avec un titre quasi identique. Pour vendre la politique d’un client politique, un media doit au minimum bien connaître l’électorat, le profil de cet électorat, ses attentes, quelles sont ses réactions, afin d’anticiper au mieux et au pire éviter les sujets qui fâchent.

Ils sont nombreux quand en fin d’un point de presse les journalistes leur tendent un micro, ils s’éclipsent. Mêmes ceux qui se font les porte-paroles du système sont tellement surveillés dans leurs propos que certains sont soumis à des séances de répétitions avant de prendre parole. La théâtralisation de la vie publique est devenue un produit fini qui fabrique des adeptes de la facilité, tout le monde passe pour un expert en tel ou tel, parce que le media acquis aura le temps de tamiser ses propos avant service.

Gestion de l’armée, la seule scène réelle du décor

Le seul secteur qui jouit d’une gestion réelle, sans mise en scène, c’est l’armée. Là, la dictature a besoins des vrais acteurs et les moyens sont mis pour atteindre l’objectif. Ils sont formés, équipés, recyclés, disciplinés pour être les éléments d’une armée capable de défendre. Défendre qui ? Une monarchie ! Le ministère de la défense est l’un des départements les plus budgétivores de l’Etat car un travail doit se faire en capital humain et matériel pour défendre la fratrie qui est née pour gouverner. Ils utilisent de vrais officiers, de vrais hommes de troupe, de vraies armes de guerre, et tirent au besoin à balles réelles sur les populations comme du gibier. Dans l’armée, la théâtralisation n’est pas possible, ils font du concret. Contrairement aux autres départements où tout est représentation fictive et imagée, ici et là, dans l’armée, ils sont partout armes au point. Tout le pays est un camp, ils sont dans la rue, dans les périphéries, aux entrées et sorties des villes pour s’assurer que les populations sont surveillées comme du lait sur le feu. Là-bas c’est le concret. On ne crée pas des postes de responsabilité, de sécurité pour faire de la figuration, pour plaire à un partenaire, pour permettre à une institution financière de continuer à soutenir la ligne budgétaire d’un projet. Il y a de quoi quand on sait que le peuple togolais est un peuple en lutte. Or, pour une lutte, c’est l’armée qui fait le contrepoids. Les officiers supérieurs sont souvent bien traités. Quand on atteint un certain grade, on est plus ou moins assuré d’un poste de responsabilité qui permet de manger. Les petits peuvent continuer de se gaver de la philosophie qui veut qu’« on ne vient pas dans l’armée pour s’enrichir ». Et ça marche, jusqu’à ce qu’un de ces jours, la « grande muette », l’armée, démontre que rien est sûr dans un environnement d’injustice. Les hommes de troupe ignorent leurs droits et défendent la survie de leurs bourreaux contre un salaire de misère, contre des missions onusiennes où le mauvais traitement les accompagne toujours. Pendant que eux ils font chaque jours dans la mendicité à chaque poste de garde où ils sont largués en métayage, les supérieurs s’enrichissent. L’armée togolaise est le seul département qui ne souffre pas de la théâtralisation endémique qui démolie la République. Le concret est là, mais à quelle fin ? Juste pour service un groupuscule.

Le Togo a failli partout. Il n’est pas une démocratie, il n’est pas une dictature. Dans une dictature certains désordres n’ont pas droit de cité, dans une démocratie l’ONU n’intervient pas à chaque bout de temps pour demander ou la fermeture des prisons pour carence en droits humains, ou une relecture des lois de pays pourtant souverains pour absence de libertés publiques. De notre modeste plume de journaliste, le cœur saigne car otage d’un pays qui n’est ni un capitalisme puisque les capitalistes ne mettent pas un pays et ses banques en faillite, non plus un communisme, les communistes ont un sens du partage. Dans notre chute, nous dirons que le Togo est un champ de théâtre. Un champ de théâtre, ce n’est pas seulement un podium aménagé à des fins ludiques ou récréatives où les acteurs se succèdent pour des rôles attribués, mais le champ de théâtre c’est aussi un champ de guerre. Et cette dernière définition chute le mieux notre analyse, quand on sait que le Togo s’apparente à un état sorti d’une guerre où tout est à reconstruire. Inutile de vous rappeler que toute honte bue, les sorciers de la République citent le Rwanda, pays relevé d’une guerre, comme un modèle de succès africain. Cette méchante et cynique façon de gérer les affaires publiques a ruiné ma ‘’Nation’’ qui n’existe plus que dans un lointain rêve, ma ‘’République’’ qui n’est qu’une mise en scène où tout est plastique et théâtralisé, peut-être existe-t-il encore un ‘’Etat’’ qui fera l’objet de l’une de ces éditions à venir.

Abi-Alfa

Source : Le Rendez-Vous No.344 du Vendredi 18 octobre 2019

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