Togo : « La parenthèse de sang »

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Retour une fois encore à notre fascinant Togo de l’inéluctable démocratie et de la fatale réconciliation. Soulagé de ses orgies meurtrières, il reste bien auréolé de sa multitude de morts, de sa foultitude d’exilés et de prisonniers aidant à la consolidation d’un État autocratique qui gagne un peu plus en consistance ontologique.

Togo :  « La parenthèse de sang »

La sclérose de l’esprit prospérant, les rattrapés, leurs affidés et autres séides en restent esbaudis. Ils sont accompagnés et encouragés par l’escroquerie intellectuelle ambiante, le banditisme politique et le gangstérisme militaire, couplé d’une sordide alliance entre des lamentables plumes journalistiques, des penseurs du dimanche et des petits détaillants d’idées fortes mais creuses. La violence n’a jamais rien perdu sur la violence. Elle revient toujours mais inversée. Le Togo est dans sa spirale et ne cesse de construire des silos de rancœurs depuis des décennies. Quand les hommes les plus vils paraissent comme les plus nobles. Quand un peuple au sommet de sa hiérarchie manque de héros à imiter, le désordre et la confusion prennent le commandement de tout. Que de fléaux! Que de séditions et de mauvais présages pour l’avenir!

Aux dires de l’inénarrable Togbui Assiogbo Gnagblodro III, Président des prêtres traditionnels du Togo, ce sont les oracles consultés qui recommanderaient cette nouvelle incongruité dénommée purification. Nous ne consultons pas sans doute les mêmes oracles, car les seules choses que les togolais demandent ce sont les reformes avec le retour à constitution de 1992 ouvrant la voie à une vraie alternance. Et ça les oracles le réclament depuis Mathusalem. Et puis, si purification il faut, il faudrait alors commencer par la Présidence de la République, par l’Assemblée Nationale, par la CENI pour finir par l’armée nationale. Au lieu de cela on préfère gratifier le monde d’une magistrale leçon de purification nationale alors qu’il reste toujours de blessures béantes de victimes espérant encore une justice décente. Vous aviez dit réconciliation nationale? C’est très bien. Si à l’évidence, les idées d’amnistie et de pardon pour restaurer la paix dans ce pays ravagé par des décennies de fureur et de sang versés d’innocentes victimes ont été exclues. Si, ce sont même des dénis de justice dans le sens où le politique a un fondement juridique qui lui permet de désigner des maux, d’indiquer des coupables et de sanctionner leurs délits alors c’est si indispensable pour les victimes et si nécessaire à toute cohésion nationale. Il faut rendre une vraie justice sous peine de frustrations toujours lourdes de conflits ultérieurs qui perpétueraient la violence. Or la justice n’a de portée et de sens que sur la base de la vérité. Mais il reste à déterminer quel est le fondement de cette vérité. C’est l’obstacle à surmonter au Togo et il urge si c’est la voie de la justice qui a été choisie comme préalable à tout, de fortifier nos tribunaux avec leurs droits à géométrie variable et leurs dires juridiques qui manquent de consistance et de justesse plutôt que de parler de purification nationale.

On ne pense pas encore de façon décisive et général le sens et l’essence du concept de la réconciliation. Au Togo, il est devenu un ustensile politique vidé de sa substance et galvaudé. On croit et l’on fait croire que la réconciliation se décrète et qu’elle advient malgré et fatalement. La réconciliation relève du sentiment et ne pense pas. Je me compte au nombre de ceux qui ont anticipé l’échec de la CRVJ et de son appendice le HCRRUN vite crées et calqués sur le modèle Sud-Africain inexportable au Togo. Certains avaient fustigé mon excès de pessimisme. Aujourd’hui, la réalité est là. La fracture nationale s’est durcie jusqu’à la sclérose avec une nation désorientée, un peuple dissocié et des populations émiettées. C’est le statut clinique que présente le Togo. Croire et fait accroire qu’au sortir d’une pseudo purification les togolais fileront en vitesse à la paix et à la réconciliation dans des accolades à la manière chrétienne ou hégélienne, relève d’une naïveté extravagante. Mais qu’à cela ne tienne, on s’est déjà lancé dans cette gigantomachie, nouvelle trouvaille des autorités togolaises et des séides, experts en tout et en rien du tout aidés par des chefs coutumiers affamés à dessein et par des journalistes alimentaires à la plume douteuse qui y vont de leur verbe pour justifier de l’opportunité et de la pertinence pour le Togo d’aller de toute urgence à cette nouvelle escroquerie intellectuelle. Entre la cybernétique des foules à mettre en fusion pour un cabris, un bélier égorgé par ici, un coq, un pigeon égorgé par là, entre un plein, plein de vide et un vide plein de plein, il y a aussi une guerre des images.

Dans l’intervalle notre Assemblée Nationale, cette monstruosité administrative de sinistre mémoire, spécialiste des coups fourrés, capable de changer nuitamment la constitution pour un seul homme et qui porte en elle seule la très lourde responsabilité dans ce drame que vivent aujourd’hui les togolais est bien aux aguets pour d’autres coups encore plus tordus. Elle a déjà commencé avec le vote au forcing de la loi portant création de nouvelles communes. Un pays aussi fracturé avec des populations dissociées, une société émiettée et en lambeaux comme celles du Togo conduit par un pays-État qui régresse dangereusement vers un Pays-paysage, une géographie, un ersatz d’État à vrai dire alangui n’est pas prêt à la réconciliation. Ce n’est pas par hasard que nos politiques passent leur temps à créer des commissions (l’APG, CPS, CRVJ, HCRRUN), à convoquer des dialogues, à organiser des séminaires de ceci ou de cela qui ont pour seuls résultats la prise de la parole publique et des recommandations pieuses que l’on range aussitôt dans les tiroirs.

On peut pérorer à satiété ou spéculer à grand renfort d’oukases sur le bien fondé de cette pseudo purification. Cela ne semble pas vraiment de nature à sauver ce pays à court et même à moyen terme car il y a des indices de l’avenir qu’il faut savoir lire pour se prémunir des lendemains équivoques et périlleux. L’histoire des peuples et des nations a de surprenantes et imprévisibles capacités de régression qui les plongent dans le chaos. Un événement anodin, une petite étincelle et c’est le basculement dans la violence globale et imprévisible. Qui ne se souviendrait pas du syndrome Sidi Bouzid en Tunisie où un jeune homme, ce Tarek « Mohamed » Bouazizi un citoyen lambda s’immole et un régime réputé solide et dur tombe à l’image d’un vieux déchet pour se consumer dans la fuite du clan Ben Ali? Plus près de chez nous, muré dans un pathétique silence, Blaise Compaoré qui en sait désormais quelque chose médite en Côte d’Ivoire chez Ouattara sur l’expérience, cette école amère où seuls les insensés aiment à aller s’instruire.

Disons le haut et fort: Nous sommes dans “la parenthèse de sang” décrite par Sony Labou Tansi en attendant le vote des bêtes sauvages en 2020 avec des scores de 200% pour « Miabé » Faure dont on se rappellera toujours le mode bonapartiste de prise de pouvoir inaugurée depuis 2005, pour finir dans une contestation qui va drainer son nouveau cortège de morts avec in fine une nouvelle oukase de purification nationale sous nos applaudissements et sous nos yeux qui regardent sans remords. Oui, l’escroquerie intellectuelle, le banditisme politique ainsi que le gangstérisme militaire ont de beaux jours devant eux.

Comme le chantait Ouyi Tassane, le rossignol de Bassar: “Imbécile pour qui il s’est battu”.

Sacré Togo! Triste et pauvre Togo!

M’zée Kombaté Kwasi Néné
FB

27Avril.com