Togo: la grande peur du pouvoir face à la contestation

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Depuis la mi-août, le Togo traverse une turbulence politique née de la contestation du pouvoir de Faure Gnassingbé par la rue. A l’intérieur des frontières nationales et dans la diaspora, les manifestations se multiplient. Pour une fois, le pouvoir est sérieusement secoué. Mais tient encore. Jusqu’à quand ?
 
Début août, lorsque le Parti national panafricain (PNP) de Tikpi Atchadam appelait à des manifestations de rue, nul ne présageait que c’était le début d’une vague de contestations qui allait déferler sur presque toutes les villes du pays et atteindre la diaspora. « C’est quoi le PNP? », raillait même le ministre en charge de la Sécurité, Yark Damehame, en face des journalistes, à la veille des premières manifestations. Depuis, il a perdu ce sens d’humour.
 
Le 19 août, à Lomé et dans plusieurs villes du pays, le parti a fait descendre ses militants dans la rue. Refusant de se contenter d’un itinéraire imposé par l’administration, ils ont été victimes d’une sanglante répression, comme l’avait promis le ministre – Colonel de Gendarmerie Yark Damehame. Bilan : deux morts à Sokodé, deuxième ville du pays, devenu fief du Parti de Tikpi Atchadam. Deux points figuraient sur la liste des revendications de ce jeune parti de trois ans: le retour à la Constitution de 1992 et le vote de la diaspora. Les autres principaux partis de l’opposition se sont joints au mouvement. Tous exigent notamment que soit rétablie la disposition constituelle de 1992 limitant à deux le nombre de mandats présidentiels qu’une personne peut exercer. Autrement, Faure Gnassingbé qui est à son troisième mandate, devrait quitter le pouvoir. Deuxième exigence principale: le retour au mode de scrutin à deux tours. Tout cela avec effet immédiat.
Le camp présidentiel résiste
 
Avec une Assemblée toujours à l’avantage du pouvoir, qui n’a certes pas le quorum requis, cette fois-ci, pour modifier à lui seul la Constitution, Faure Gnassingbé et les siens résistent aux revendications. Ils ont préféré voter une loi, en l’absence des députés de l’opposition, pour convoquer un nouveau référendum. « Si un margouillat vous demande de lui coudre un pantalon c’est qu’il a déjà une solution pour sa queue », a commenté Tikpi Atchadam le 28 septembre sur une radio locale à Lomé, pour dire que si le pouvoir qui n’a « jamais gagné aucune élection » vous propose une élection c’est qu’il a déjà sa solution en tête.
 
Longtemps opposé à la limitation du nombre de mandats présidentiels, mais désormais sous pression, cette fois-ci le pouvoir se dit disposé à voter la limitation. Seulement, « la loi dispose pour l’avenir », prévient Gilbert Bawara, un ministre proche de Faure Gnassingbé. Dans l’opinion, cela sonne comme une nouvelle ruse pour permettre au régime de Faure Gnassingbé de conserver le pouvoir jusqu’en 2030, si, d’ici là, il ne modifie pas de nouveau les textes pour faire sauter les verrous de la limitation. Le quinquennat en cours expire en 2020.
La société civile se joint à la contestation
 
Le referendum, personne n’en veut dans la rue. Et l’opposition, elle, compte sur cette rue pour arrêter le pouvoir dans sa dernière tentative de reprendre la main et retourner la situation en sa faveur. Le cadre électoral actuel souffre de trop de suspicions. L’Organisation Internationale de la Francophonie a même estimé en 2015 qu’au moins 7 personnes sur 10 inscrites sur la liste électorale le sont par simple témoignage d’un tiers, ce qui rend le fichier peu fiable. La Commission électorale et la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication sont dominées par les représentants du pouvoir et la composition de la Cour Constitutionnelle est toujours remise en cause. Le référendum annoncé est donc perçu comme une « provocation » par l’opposition. Le Oui permettra à Faure Gnassingbé d’être candidat encore pour deux élections présidentielles jusqu’en 2030. Le Non lui permettra de se présenter autant de fois qu’il le souhaiterait. Ni l’un ni l’autre n’est du goût de l’opposition et des jeunes protestataires. Le ras-le-bol est sans précédent dans l’histoire du Togo et s’exprime aussi bien à Lomé que dans les villes de l’intérieur. Pour la première fois, des milliers de manifestations descendent simultanément dans les rues dans plusieurs villes. Les morts et les blessés occasionnés par les répressions ne suffisent plus pour intimider les manifestants. Et dans la diaspora, en Afrique comme au-delà, les mobilisations et appels à manifester s’enchaînent. Cette fois-ci unie, l’opposition est appuyée par la société civile qui multiplie de son côté des initiatives complémentaires, dont la mise en place du Front Citoyen Togo Debout lancé le 22 septembre.
Un tournant décisif ?
 
Dans ce petit d’Afrique de l’Ouest, les éléments d’une insurrection se mettent en place. Dans la rue, les jeunes ne cachent plus leur volonté d’aller à des affrontements. Dans le nord du pays, présenté par le pouvoir comme son bastion, la situation se dégrade plus vite. Les affrontements ont poussé près de 300 jeunes à fuir le pays pour se réfugier au Ghana voisin. En face, on met en garde tous ceux qui rêvent de reproduire l’insurrection burkinabè au Togo. «Le Burkina, c’est le Burkina, ce qui s’est passé au Burkina ne va pas se passer ici », prévient, fermement, le Colonel Yark Damehame, ministre de la Sécurité. « Ils (l’opposition) peuvent faire le tour du monde, ils reviendront s’asseoir à la table de discussion », se convainc-t-il. Et pourtant, jamais le régime n’a montré autant de signes de fébrilité.
 
Si les Togolais ont l’impression de vivre un tournant c’est pour plusieurs raisons. Les églises catholiques, presbytériennes et méthodistes, qui constituent d’importantes communautés, ont apporté leur soutien à la rue. En consequence, les soutiens de la dynastie se font discrets. La sortie de l’ex président nigérian, Olusegu Obasanjo, un ex soutien de Faure Gnassingbé, qui affirme ne plus savoir ce que le régime peut encore offrir aux Togolais, a résonné fort au Togo. Et au niveau africain, des soutiens de mouvements citoyens pleuvent.
 
Du côté du pouvoir, on tient encore, comptant, comme d’habitude, sur l’armée massivement déployée ces dernières semaines dans les rues. Et aussi sur le soutien de l’Union africaine et celui de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), des organisastions bien souvent complaisantes et au service des dirigeants en place. Mais combien de temps vont encore durer ces soutiens?
 
 
 
 
La Constitution actuellement en vigueur au Togo a été votée en 1992 par 97,4% par des électeurs. Cette constitution a été modifiée et dépourvue de la limitation de mandat unilatéralement par le régime de GnassingbéEyadèma, qui s’offrait ainsi un boulevard sans fin à la tête du Togo. Le mode de scrutin fixé à deux tours est aussi passé à un seul tour. Mais Gnassingbé père sera emporté par une maladie le 05 février 2005. Pour permettre à son fils, Faure Gnassingbé, de pouvoir lui succéder, la constitution, sera de nouveau modifiée pour réduire l’âge minimal pour être présidentiable, de 45 à 35 ans. Appuyé par l’armée et les institutions totalement héritées du règne de son défunt père, Faure prend le pouvoir dans un cafouillage politico-institutionnel. Au moins 500 personnes sont tuées parmi les contestataires d’une élection (reconnue comme frauduleuse par tous les observateurs) à l’issue de laquelle il sera quand même proclamé« vainqueur ».
 
source : justiceinfo.net
 

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