La crise des valeurs qui sape les bases de la société togolaises et les fondements de l’Etat n’épargne aucun secteur. Ce poison lent qui met à mal le vivre ensemble, porte un coup aux fondamentaux d’une République, conduit la société à la dérive, a désormais forcé les mystérieuses portes de la Franc-maçonnerie, provoquant au sein des « frères de lumière » zizanie, incompréhension, malentendu, sectarisme, etc.
Et pourtant, on n’a jamais cessé de rappeler aux aspirants ou à ceux qui sont courtisés que cette obédience a pour socle la fraternité, le pardon, la tolérance, l’humilité. Des fondamentaux qui ont aujourd’hui déserté le temple des adeptes de l’équerre et du combat qui, incapables de résoudre leurs différends, s’en sont remis à la justice temporelle. Ceux qui excellent dans ce milieu ne sont –ils pas les mêmes qui organisent les élections truquées au Togo depuis des lustres ? Ne sont-ils pas de la catégorie de ceux qui continuent de maintenir ce peuple dans la misère, de cultiver l’ethnocentrisme, le régionalisme, la caporalisation de la justice, le vol, le viol, le pillage des ressources et les détournements de tout genre ? Comment des obédiences remplies d’individus de moralité douteuse ou de réputation sulfureuse seraient à l’abri de ces genres de crises ?
La crise qui secoue la GLNT (Grande Loge Nationale du Togo) n’est que le reflet du pourrissement de la société, de la crise des valeurs, du sabotage des fondamentaux de la République dont les auteurs sont les mêmes aussi bien dans la société temporelle que dans la société ésotérique. Sinon comment peut-on comprendre que depuis le 26 juillet 2016, le processus de désignation du candidat à la Grande Maitrise pour le mandat 2017-2020 s’est soldé par des trucages, des achats de voix et des votes litigieux, exactement comme on le constate à chaque élection présidentielle au Togo? De fil en aiguille, cette crise qui aurait trouvé une solution loin des regards indiscrets, s’est transportée sur la place publique.
La justice temporelle appelée au secours des « frères de lumières » ( sic) qui ne semblent plus interpréter de la même voix leurs propres textes, n’a eu d’autres solutions tranchées que d’annuler l’élection du nouveau Grand Maitre William Bolouvi et placer le temple de Djidjolé sous scellé. Cette crise ouverte entre les différents protagonistes sur fond de tribalisme ambiant aurait débouché sur une « Paix des braves » scellée le 8 mars dernier, à la suite d’une réunion du « Souverain Grand Comité », le Parlement de la GNLT à l’Hôtel Ibis.
En décryptant «La lettre du Continent» N°749 du 15 mars 2017, on se rend compte que cette fameuse paix des braves n’en était pas une. Lecture : « Togo : La paix des braves enfin signée au sein de la grande loge maçonnique. La crise ayant secoué durant plusieurs semaines la Grande loge nationale togolaise (GLNT) a connu son dénouement, le 8 mars, à l’issue de la réunion du « Souverain du Grand Comité », le parlement de la GLNT. Pour (comportements contraires à l’éthique maçonnique), Roggy Kossi Pass a été démis de sa charge de grand maître, qu’il assumait depuis 2011. Il lui est surtout reproché d’avoir voulu imposer en juillet 2016, sans tenir compte des us et coutumes de l’ordre, un de ses proches, William Bolouvi à la tête GLNT.Kossi Pass, qui a contesté son éviction, est remplacé par le grand maître honoraire, Joseph Kossi Kpelly. Ce dernier va diriger cette obédience jusqu’en mars 2018. Le nouveau maître s’est aussitôt choisi un adjoint Ayi Assizangbé Amavi, promu député-grand maître. Le Souverain grand comité en a également profité pour suspendre des proches de l’ancien grand maître, notamment Luc Defontien, responsable des affaires intérieures de la GNLT, pour avoir tenu des propos sectaires et tribaliste. Quant à l’ex-assistant grand maître Ignace Clomegah, Conseiller du président Faure Gnassingbé, il se voit désormais interdit de fréquenter toutes les loges, conseils ou assemblées dépendent de la GLNT ».
Cet article de «La Lettre du Continent» suffit à lui seul pour comprendre qu’il n’a jamais été question d’une quelconque paix des braves, parce qu’elle ne saurait se concrétiser dans la suspension et l’ostracisme des autres. Elle n’a jamais existé ou n’aura duré que le temps de la réunion du 8 mars. La preuve en est que le 13 mars, soit 5 jours après la réunion du « Souverain Grand comité », le Grand Maître destitué Roggy Pass, assisté de Me Rustico Banku- Lawson, adresse une réquête au Président du Tribunal de Première Instance Première Classe de Lomé pour contester ce qui apparait à ses yeux comme un coup de force.
Morceaux choisis : « Que prenant prétexte de la contestation née de la désignation du Grand Maître 2017-2020 de la Grande Loge Nationale Togolaise, le sieur Kpelly Hukporti Kossi Joseph, Grand Maître Honoraire a invité en toute irrégularité certains membres au Souverain Grand Comité à une réunion tenue le 8 mars 2017 à l’hotel Ibis de Lomé où 12 membres présents sur soixante-deux ( 62) lui ont fait écrire qu’il préside désormais l’Ordre ; qu’ennivré par cette pseudo investiture, le nommé Kpelly Hupkorti Kossi Joseph a signé entre autres : un document intitulé Résolution N° 001/A/08/17/GNLT démettant le Grand Maitre Roggy Pass de sa charge ; un autre intitulé Résolution N°002/08/17/GNLT du 08 mars 2017 le portant à la tête de la GLNT sans autre forme de procédure ; et des actes dits ordonnances portant : nominations à tour de bras toutes aussi irrégulières que contestées même par des récipiendaires, ou suspension à titre conservatoire de huit (8) membres parmi lesquels le Grand Maître Roggy Pass lui-même ; que lesdits actes procèdent du non-droit et encourent tous la nullité. Qu’en effet : d’une part le titre de Grand Maître Honoraire ne confère à M Kpelly Hukporti Kossi Joseph aucune attribution, notamment celle de convoquer le Souverain Grand Comité, et d’autre part, aux termes des dispositions de l’article 4-2, al.4 du Règlement Général de la Grande Loge Nationale Togolaise, en cas de nécessité ou à la demande d’un tiers de ses membres, le Grand Maître peut convoquer le Souverain Grand Comité au moins quinze ( 15) jours avant la réunion ; qu’il s’en suit que c’est une usurpation de pouvoirs que le sieur Kpelly Hukporti Kossi Joseph a cru pouvoir convoquer irrégulièrement des membres du Souverain Comité ; que les actes ainsi posés à l’occasion d’une telle réunion et par la suite, sont irréguliers et procèdent de l’indiscipline ainsi que de la récidive d’une tentative de coup de force et/ ou d’un putsch dont le sieur Kpelly Hukporti Kossi Joseph est coutumier et qui lui ont déjà valu la radiation de l’Ordre par le Grand Maitre d’alors, le feu Pr Emmanuel Kotso Nathaniels ; que ces actes étant de nature à semer la confusion au sein de l’obédience, le Grand Maitre Pass entend les voir déclarer nuls et de nuls effet par la justice et déposer plainte pour faux et usage de faux ; mais il y a urgence à faire cesser le trouble ; qu’aux termes de l’article 163, al.2 du Code de procédure civile, il ( le Président du Tribunal) peut également ordonner sur requête, toutes mesures urgentes dont les rencontres exigent-ils ne soient pas prises contradictoirement. C’est pourquoi, le requérant sollicite qu’il vous plaise : constater le caractère non avenu des actes dits : Résolution N°001/A-08 /17/6017/GNLT démettant le Grand Maitre Roggy Pass de ses fonctions ; et Résolution N°002/A-08/17/6017/GNLT du 08 mars 2017 portant le sieur Kpelly Hukporti Kossi Joseph à la tête de la GNLT sans autre forme de procédure ; ordonner la suspension des effets de tous les actes subséquents signés par le sieur Kpelly Hukporti Kossi Joseph et ses acolytes. Sous réserves ».
Comme il fallait s’y attendre, face à ces genres de dossiers, la Justice retrouve une certaine célérité. Le même jour, c’est-à-dire le 13 mars, le Président du Tribunal de première instance, première classe de Lomé prend une ordonnance N° 0535/2017 pour suspendre tous les actes posés par le Grand Maître Kpelly Hukporti Kossi Joseph et ses acolytes. « Vu l’urgence et les dispositions de l’article 163 du Code de procédure civile : ordonnons la suspension immédiate des effets : de l’acte de Résolution N°001/17/6017/GLNT démettant le Grand Maître Roggy Kossi Pass de ses fonctions, de l’acte dit Résolution N° 002/A-08/6017/GNLT du 08 mars portant le sieur Kpelly Hukporti Kossi Joseph à la tête de la GLNT sans autre forme de procédure, des actes dits ordonnances signés par M Kpelly Hukporti Kossi Joseph ainsi que les effets de tous les actes subséquents signés par M Kpelly Hukporti Kossi Joseph et toutes personnes de son chef. Disons que notre ordonnance sera exécutoire sur minute et avant enregistrement et qu’il Nous en sera référé en cas de difficulté ». C’est donc par cette ordonnance que Kossi Kutuhun, le Président du Tribunal de Première Instance de Première classe de Lomé a mis fin à ce que l’avocat du Grand Maitre Roggy Kossi Pass qualifie de coup de force ou de putsch.
La crise à la GNLT qui tourne à la pantalonnade judiciaire a de beaux jours devant elle. A l’analyse, elle est loin d’être juste une crise de succession. A force d’avoir ouvert grandement les portes à tout individu, au mépris des règles élémentaires de la Franc-Maçonnerie, les adeptes de cette loge ne sont victimes que de leurs propres turpitudes. Y a-t-il aujourd’hui des gens qui vont dans des loges à la recherche d’un idéal? Visiblement non. Ces obédiences sont devenues le repaire de tous les brigands de la société qui y vont pour chercher protection et refuge. Il y a certes des hommes et femmes de bonne moralité, mais ces derniers n’hésitent plus à déserter les colonnes justement à cause du fourvoiement dont il est question.
On ne doit donc pas s’étonner des allures que prend actuellement cette crise, lorsqu’on constate que ceux qui trônent dans ces obédiences sont les mêmes qui tordent le cou à la Justice, dépouillent la veuve et l’orphelin, trafiquent les résultats des élections pour maintenir au pouvoir un régime vomi et anachronique, portent atteinte à l’intégralité physique des citoyens, violent les droits de l’Homme.
Ailleurs, les « frères de lumière », fidèles à l’idéal maçonnique, ont œuvré pour la liberté, la résolution des conflits, la justice, la démocratie, l’alternance, l’unité nationale, l’épanouissement des peuples, la lutte contre la corruption… Ils ont œuvré pour les recherches scientifiques, signé des tribunes sur des sujets sociaux, sociétaux et bien d’autres. Au Togo, par contre, ils excellent dans les magouilles, sont solidaires dans le mal, enfoncent le peuple dans la misère, accaparent les richesses, s’opposent à la démocratie et à l’alternance, sont dans les commissions qui organisent des élections truquées, violent les droits de l’Homme, etc.
Qu’ils se tirent dessus pour des intérêts obscurs dont ils sont les seuls à avoir les secrets ne peut que renforcer la conviction des profanes que l’idéal, les valeurs, la morale, la probité, l’éthique ont déserté les temples de ces différents obédiences. Avis aux aspirants!
Source : L’Alternative No.601 du 24 mars 2017
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