Il est toujours difficile de réveiller celui qui fait semblant de dormir, dit l’adage populaire. C’est malheureusement ce que le peuple togolais vit depuis plusieurs décennies sous une dictature entretenue et protégée par des officiers de l’armée, prêts à ordonner des massacres de tout genre. Ces officiers, aveuglés par une certaine fidélité à un système qui détruit le peuple et conduit le pays dans un gouffre, font semblant d’ignorer les règles élémentaires que les Togolais se sont données pour un bon vivre-ensemble et l’enracinement des principes démocratiques. Du coup, on a l’impression d’être dans une jungle où les plus forts dominent les faibles.
Au Togo, certaines préfectures sont dirigées par des militaires. Ces préfets-militaires, sciemment installés dans ces localités par le régime de Faure Gnassingbé pour lui garantir sa survie et son instinct de conservation du pouvoir, deviennent des colons dans ces préfectures qu’ils gèrent comme une épicerie familiale. Visiblement, ils ont droit de vie et de mort sur les gouvernés contre qui ils n’hésitent pas à lâcher des hommes en uniforme. Depuis le déclenchement de la vague de contestations contre le régime RPT/UNIR le 19 août 2017, ces préfets-militaires sont entrés en transe. Tout porte à croire qu’ils sont en guerre contre leurs administrés devenus à leurs yeux des ennemis à abattre. Tout cela parce qu’ils veulent protéger un régime cinquantenaire qui n’a plus rien à prouver au peuple togolais en quête de liberté, de bonne gouvernance, d’Etat de droit, de démocratie et d’alternance. Des principes contre lesquels le système est réfractaire.
Général YarkDamehame, le dieu de l’interdiction des manifestations à Lomé et ailleurs
Plusieurs plaintes sont déposées contre lui par les Togolais de la diaspora pour l’exécution de ses menaces lors des manifestations de la Coalition de l’opposition en septembre dernier. On lui connaît d’ailleurs cette fidélité à Faure Gnassingbé qui le pousse à organiser des chasses à l’homme contre les manifestations de l’opposition. Mais il a franchi le Rubicon au mois d’août 2017. « S’ils s’entêtent, ce n’est pas à l’autorité de reculer. Si aujourd’hui le gouvernement dit qu’on les laisse faire et demain d’autres partis aussi décident, on fait quoi ? Cela nous amène où ? C’est quoi le PNP ? Il y avait des partis politiques avant le PNP… Nous savons ce qu’ils ont en tête, mais ça ne passera pas dans ce pays. On va les disperser au point de rassemblement d’une façon propre, adviendra (sic) que pourra… », avait menacé le ministre de la Sécurité et de la Protection civile, YarkDamehame à l’époque.
Malheureusement, il a mis cette menace à exécution et inutile de revenir sur le bilan de cette répression qui a révolté plus d’un et amené la diaspora à déposer des plaintes contre le ministre. Et depuis, par des interprétations alambiquées de la loi sur les manifestations publiques, YarkDamehame et son collègue PayadowaBoukpessi continuent d’interdire à tout va les manifestations de la Coalition de l’opposition et des organisations de la société civile. On se rappelle encore la séquestration des leaders de la Coalition des 14 partis de l’opposition au siège de la Convention démocratique des peuples africains (CDPA) à Hanoukopé (Lomé), avec en toile de fond la course-poursuite lancée contre ces mêmes leaders dans les rues de Lomé avec comme conséquences le saccage de leurs véhicules par des tirs des forces de sécurité et de défense. Plusieurs fois, les manifestations du Front Citoyen Togo Debout (FCTD) ont été interdites. Les premiers responsables de ce mouvement ont déjà été interpellés par le Service central de recherche et d’investigation criminelle (SCRIC) de la Gendarmerie nationale.
Le dernier fait d’arme date du mardi 29 mai 2018 où la conférence de presse de l’Association pour la promotion de l’Etat de droit (APED), prévue au Centre d’éducation sociale pour l’apostolat des laïcs (CESAL) situé au sein de l’Eglise Catholique paroisse Saint Martyr de l’Ouganda de Tokoin Séminaire, a été interdite. C’était avec étonnement que les personnes venues participer à la conférence, ont vu débarquer les gendarmes qui disaient avoir reçu l’ordre de ne pas laisser se tenir l’événement. Bien que ce ne fut une manifestation publique, des mains noires ont lâché des éléments aux trousses des organisateurs, parce que la déclaration qu’ils s’apprêtaient à rendre publique n’avantage pas leur bienfaiteur Faure Gnassingbé. Les avocats DjoviGally, Zeus Ajavon et YaoviDégli ont eu droit au « protocole particulier » prévu par les « gardiens du temple RPT/UNIR » à tous ceux qui contestent le pouvoir du Prince.
L’empêchement de la conférence de presse mardi dernier au CESAL montre bien la logique du régime, même si YarkDamehame, sur RFI, a tenté de se justifier. Puisque 24 heures après, un autre officier se la joue à quelques kilomètres de Lomé, dans le Tchaoudjo.
Colonel MonpionMateindou, le préfet-colon de Tchaoudjo
Voilà un préfet-militaire qui fait parler de lui ces derniers jours, parce que pour lui, les responsables des partis de l’opposition n’ont pas le droit de traverser ou organiser des activités dans la préfecture de Tchaoudjo. Il interdit au chef de file de l’opposition, président de l’Alliance nationale pour le changement (ANC), Jean-Pierre Fabre et sa délégation de rendre visite à Sokodé, à une famille victime des exactions commises par ses propres éléments. Pour ce faire, le Colonel Monpion a fait appel à son talent d’opposer les partis politiques entre eux, avec des « allégations mensongères », comme le souligne un communiqué de la fédération de l’ANC dans la localité. « Vous m’avez appelé ce matin dans votre bureau en présence de vos collaborateurs. Au cours de cette rencontre, vous avez bien voulu me notifier votre volonté manifeste d’empêcher toute circulation du chef de file de l’opposition dans la ville, y compris la visite du CFO dans la maison mortuaire de notre regretté ABDOU Kerim décédé à la suite du traitement inhumain et dégradant infligé par les forces de l’ordre lors des dernières manifestations organisées par la C14 », adresse KerimSahidou, Secrétaire fédéral de l’ANC (Tchaoudjo) au préfet Col. MonpionMateindou.
Et la correspondance de poursuivre : « D’abord, je tiens à vous rappeler qu’une telle décision doit être notifiée par écrit, puisqu’un de vos collaborateurs a dit que nous sommes dans une République afin de nous permettre de faire prévaloir le droit. Informés, les responsables du parti, en l’occurrence le Secrétaire Général adjoint tient à vous faire savoir que vos allégations mensongères et non fondées selon lesquelles les problèmes entre l’ANC et le PNP dont les membres détiennent encore les armes à Sokodé ne permettent pas de garantir la sécurité de Jean-Pierre FABRE dans la ville de Sokodé sont de nature à créer la division, et qu’il n’en est absolument rien. L’ANC rejette catégoriquement votre position et n’entend pas se laisser divertir par des comportements rétrogrades et antirépublicains dont vous avez fait montre ». Pour une République, c’est bien dommage qu’un préfet puisse invoquer ces arguments pour interdire le passage d’une délégation de parti de l’opposition dans sa préfecture. Et c’est malheureusement le cas dans plusieurs autres parties du pays comme à Kara.
Colonel Didier Bakali, le conquérant de la « République autonome de Kara »
Kara est devenue aujourd’hui une cité interdite aux partis politiques de l’opposition et autres associations des droits de l’homme, où règne en conquérant l’ancien garde du corps de Faure Gnassingbé, un fidèle parmi les fidèles. Même les réunions des étudiants sont interdites. Plusieurs de ces apprenants ont déjà goûté aux affres de la prison civile de Kara sous ce préfet-colonel. En juillet 2017, les responsables du Parti des Togolais étaient sidérés par le comportement de ce préfet que leur a interdi une formation de leurs militants dans la ville de Kara. « Il y a un détachement de gendarmerie qui est venu signifier au gérant de nous interdire la salle. Ils disent qu’ils ont reçu l’ordre du préfet de la ville de Kara. J’ai expliqué aux gendarmes qu’étant sous un régime d’information, nous avons respecté toutes les dispositions de la loi Bodjona. Nous avons envoyé une lettre d’information au ministère de l’Administration territoriale avec des ampliations au préfet, avec décharge au Président de la délégation spéciale de la ville de Kara, à la gendarmerie nationale, à la police, au juge et à l’évêque de Kara », expliquait le Délégué national aux affaires intérieures du Parti des Togolais, AtakpamaGnimdéwa. Le même accueil a été réservé au Secrétaire national du Pacte socialiste pour le renouveau (PSR), Komi Wolou qui a prévu une séance de formation des jeunes de la ville. Mais elle n’a pu se tenir. Le désir du préfet-colonel a été respecté.
Il en est de même pour l’Alliance des démocrates pour le développement intégral (ADDI) qui a vu une de ses réunions interdite à Kara il y a quelques jours. Le Colonel Bakali, à en croire de nombreux témoignages dans la région, est une terreur que les populations n’osent pas défier. Plusieurs informations font état d’une milice qu’il aurait mise en place pour commettre des basses besognes dans la préfecture et ses environs.
Ces trois mousquetaires, en plus d’autres qui font parler d’eux également dans des forfaitures inimaginables, assurent à Faure Gnassingbé un pouvoir à vie que seules la détermination et la mobilisation du peuple togolais peuvent anéantir
Source : L’Alternative No.707 du 1er juin 2018
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