Togo-Joël Egah : Après la subite disparition, la douleur et des interrogations

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«La mort est un malheur prévu» (Honoré De Balzac)

Oui la mort, la faucheuse, comme on la désigne  encore, est programmée dans la vie de tout un chacun de nous dès notre naissance. Tôt ou tard, qu´on le veuille ou non, la mort sera au rendez-vous pour mettre fin à notre vie sur terre, ou pour nous séparer d´un ami, d´un collègue ou d´un parent qui nous est très cher. C´est l´amère et triste expérience que la presse togolaise combattante vient de faire, il y a de cela deux semaines, avec la soudaine disparition du jeune journaliste Joël Egah dimanche 6 mars 2022. Qu´est-ce qui a bien pu se passer pour que ce jeune homme à la fleur de l´âge, ayant du talent à revendre, ait dû nous quitter aussi précipitamment sans crier gare? La mort de notre jeune compatriote aurait été classée comme un décès normal, la volonté de Dieu, et personne ne se poserait plus de questions s´il n´avait pas été journaliste critique envers le régime togolais; et surtout, s´il n´avait pas dû sejourner, il n´y a pas longtemps, dans les geôles de la dictature pour des raisons politiques.

 Le régime Gnassingbé, n´ayant pas bonne presse quand il s´agit du traitement de tous ceux qui pensent autrement, facilite à porter de l´eau au moulin de tous ceux qui s´interrogent et cherchent à voir plus clair dans cette mort plus que suspecte d´un jeune journaliste qui ne demandait qu´un peu plus de liberté, de justice et de démocratie pour son pays. Et la suspicion vient du fait que Joël Egah n´est malheureusement pas le premier togolais critique envers le régime Gnassingbé à mourir peu de temps après avoir quitté la prison. Yakoubou Moutawakilou, le SG du PNP (Parti National Panafricain), Section-Kpalimé est arrêté, ou plutôt kidnappé, le 25 janvier 2020. Détenu dans des conditions inhumaines et torturé, libéré le 16 juillet 2021 lorsqu’ils le savaient irrémédiablement malade, il meurt le 26 août 2021, un mois et demi donc après sa libération. Accusés par deux ministres du gouvernement togolais de diffamation et d´atteinte à leur honneur, Joël Egah et Ferdinand Ayité, tous deux journalistes, furent incarcérés en décembre 2021 à la prison civile de Lomé. Après quelques jours de détention,la pression médiatique et populaire aidant, les deux  ont recouvré leur liberté dans la soirée de la Saint-Sylvestre.

Dimanche 6 mars 2022, un peu plus de deux mois après leur libération Joël Egah nous quitte pour toujours. Comme on le voit, les deux victimes, l´une homme politique de l´opposition Yakoubou Moutawakilou, l´autre journaliste critique envers le régime, connurent le même cheminement vers la mort. Joël Egah fut-il aussi torturé comme le responsable local du PNP? Donc serait-il mort des suites des conditions de sa détention? Bien que la torture qui n´est pas que seulement physique soit régulièrement dénoncée par des organisations nationales et internationales de défense des droits de l´homme comme un crime régulièrement commis dans les prisons togolaises, nous ne pouvons répondre avec précision à cette question. Si le jeune journaliste n´était pas passé par la case-prison pour des raisons politiques, serait-il mort le 6 mars dernier, ou serait-il encore parmi nous? C´est désormais la lancinante question que les Togolais en colère comme nous, devraient se poser.

C´est le lieu ici de dénoncer une fois encore cette propension du régime Gnassingbé à continuer à fouler aux pieds le caractère sacré de la dignité et de la vie humaine. Ils sont nombreux ces Togolais et Togolaises embastillés pour un oui ou pour un non, et que même malades on maintient en détention ou qu´on y laisse mourir. Les figures les plus emblématiques de ces prisonniers politiques gravement malades sont entre autres, Kpatcha Gnassingbé, le propre demi-frère de Faure Gnassingbé et de Aziz Gomah, cet Irlando-Togolais dont le cas est régulièrement thématisé par les organisations de défense des droits humains. Kéliba Amadou Kassim, Aliou Séidou, Taïrou Bourhanou, Souleymane Djalilou, Moussa Saïbou et Alassani Issaka; voilà des jeunes hommes bien portants, kidnappés dans l´affaire sans tête ni queue dite “Tigre Révolution” et qui sont morts en détention suite à des séances de torture des plus sauvages. En dehors du caractère ethnico-tribal du profil de la majorité des victimes d´arrestations ou de kidnappings aux allures politiques, l´impunité dont jouissent les tortionnaires et leurs commanditaires est ce qu´il faut continuer à condamner et à dénoncer pour faire comprendre à ceux-là qui croient avoir le droit de vie et de mort sur d´autrtes citoyens, le caractère inviolable et surtout sacré de la vie humaine.

Revenant sur le cas Joël Egah, un universitaire très respecté de la place a dans un article réclamé qu´une autopsie soit effectuée sur le corps du défunt pour que les choses puissent être tirées au clair quant aux tenants et aboutissants de cette mort tragique. Nous respectons et saluons le courage et surtout la lucidité du professeur Togoata Apédo-Amah, mais nous doutons fort que même si une telle autopsie venait à être réalisée et que les résultats étaient accablants contre ceux que tout le monde sait, la justice togolaise instrumentalisée serait incapable de s´auto-saisir pour que les ayant-droit aient gain de cause. Des enquêtes ou autopsies furent déjà réalisées après la mort suspecte d´éminentes personnalités du monde politique ou intellectuel dans le passé au Togo, les résultats, pourtant accablants et sans équivoque ne continuent-ils pas à moisir quelque part dans les tiroirs?

Depuis trop longtemps il y a eu dans notre pays plusieurs faits de violations des droits de l´homme dénoncés à juste titre sur le plan national et international. L´état qui est supposé être le garant de la sécurité des citoyens est devenu au Togo la source de leur malheur à cause de la soif maladive du pouvoir personnel au profit d´une minorité. Il y a trop de Togolais et Togolaises qui vivent le calvaire et dont beaucoup meurent de mort inexplicable pour des raisons politiques. Nous n´avons pas de preuves pour affirmer  avec certitude que la mort de Joël Egah est directement liée à son séjour carcéral, certes, mais pour que désormais la mort de citoyens togolais, persécutés pour des raisons politiques, ne suscite plus un tel tollé général, le régime togolais aurait intérêt à se démocratiser et à s´humaniser en cessant cet acharnement tous azimuts contre tous ceux qui pensent autrement. Après tout le Togo appartient à tous les Togolais sans exclusive, qu´ils soient du nord, du sud, du centre ou de l´ouest. Et tout le monde, qu´il soit journaliste, homme politique ou simple citoyen, a le droit d´avoir son mot à dire quand il s´agit de la vie de la cité commune.

Quant à notre jeune compatriote défunt, nous disons: Joël, ta vie, même courte, n´a pas été inutile. Malgré la légitime douleur et le grand vide causés par ton départ inattendu, tes amis, tes collègues et surtout les membres de ta famille biologique doivent être fiers de toi. Les combattants togolais de la liberté, tes collègues journalistes et surtout les jeunes générations s´inspireront sans nul doute de ton engagement patriotique. Avec ta vie bien remplie quoique brève, tu as pu faire revivre ce dicton assez révélateur: «aux âmes bien nées, la valeur n´attend point le nombre des années.»

Samari Tchadjobo

Allemagne

Source : icilome.com