Imaginez un instant, qu’à la suite de l’accord politique entre l’Union des Forces de Changements (UFC) de Gilchrist Olympio dont il fut le secrétaire général et le Rassemblement du Peuple Togolais (Rpt) devenu UNIR, Jean-Pierre Fabre se soit rallié à la majorité présidentielle. Il aurait été Ministre d’Etat, peut-être même en charge des Affaires étrangères et depuis, aurait fini comme tous les compagnons de lutte fidèles à Olympio, incognito.
Quand on dit OHIN aujourd’hui, cela ne rappelle plus que vaguement les souvenirs d’un impénitent arriviste devenu, à sa propre surprise et à celle de tous les Togolais, un passager ministre des affaires étrangères. Depuis, relayé au rang de sous-ministre sans portefeuille, il n’a jamais réussi à obtenir un bureau digne à la primature. Il n’a que le titre et la carte de visite qui va avec et ses compétences ne permettant de lui attribuer des dossiers, il n’aura plus qu’à s’ennuyer. Fabre aurait, avec Isabelle Ameganvi et Patrick Lawson, subi un sort similaire. Et qui restera-t-il pour la lutte ? On ne se pose jamais la question, mais elle vaut la peine d’être posée !
Présenté par les uns comme égoïste et hégémoniste, et par les autres comme le mouton qui va à la chasse à défaut du chien, il reste une passion vivante pour au moins le tiers des Togolais, notamment les plus radicaux et les frustrés d’un régime qui a réussi à en accumuler de trop pendant un demi-siècle de règne.
L’espace politique togolaise sans Fabre ?
D’un côté Agboyibo Yawovi réveillé de ses illusions séniles ; de l’autre Apévon Dodji qui tenterait d’exister comme il peut entre dissidence et espoirs; ici les derniers résidus du socialisme qu’incarnerait Brigitte Adjamagbo-Johnson dont la bonne foi et l’obstination ne suffiront pas à déchaîner l’espoir ; là, Agbéyomé Kodjo qui, s’il n’avait pas assoupli sa position à l’égard de la majorité présidentielle multiplierait initiatives et ateliers tous azimuts, panthéon de sa culture du pouvoir et ses expériences accumulées ; un peu plus loin Nicolas Lawson avec ses pertinents communiqués et sans une gave de popularité. Faure Gnassingbé aura raison, derrière un verre de champagne, de crier, comme savent le faire ses acolytes, « En face, il n’y a que du maïs »
Jean-Pierre Fabre est donc, dans le contexte actuel qui est celui du Togo, un véritable rempart pour la démocratie et contre les dérives du système. Avec pour béquille de raison, Mme Adjamagbo-Johnson. Quoi que vous pensiez, ce couple impromptu et hétérogène s’est découvert, au fil des mois, des points de convergence et de complémentarité qui maintiennent encore debout une opposition dont Faure Gnassingbé aurait chanté au rythme du kamou, le lugubre requiem. C’est malgré tout, une source d’espoir pour le Togo. Dans la sous-région, la plupart des oppositions ont accédé au pouvoir (Issoufou au Niger, Talon au Bénin, Kaboré au Burkina-Faso, Nana Akufo-Addo au Ghana, Barrow en Gambie, etc…).
La posture de Fabre est devenue celle d’un spécimen rare d’opposants qui, après un quart de siècle, n’ont jamais ni accédé au pouvoir, ni profité des délices d’un gouvernement d’union nationale. Cette posture est une virginité qui fait peur au système et à ses hommes. Au point où, depuis quelques temps, il s’évertue à faire croire que Fabre a été corrompu et aurait reçu des valises du pouvoir, comme le veut la tradition dans les dictatures tropicales. J’ai quelques entrées dont certaines sont bonnes, auprès du pouvoir de Faure Gnassingbé. Malgré mon obstination à fouiller, aucune preuve, aucun élément de preuve ne permet d’étayer une telle hypothèse.
Jean-Pierre Fabre est un aristocrate de centre-gauche et un politicien froid et imperméable. Incapable d’un bain de foule spontané et sincère et qui, par son penchant pour l’élitisme des classes et ses revanches partisanes, se perd parfois dans le cafouillage de son orgueil propre. C’est ce qui caractérise son parti politique et qui est à raison, interprété comme une avidité excessive et un égoïsme à ne point finir. On peut lui reprocher, à raison là encore, une éloquence terne, ce qui n’en fait pas moins un homme intelligent et fin calculateur, qui sait, raison gardée, apprécier à sa juste couleur la situation.
Depuis que le CAP 2015 existe et que la présidence de ce regroupement n’est pas confiée à un membre de son parti, une certaine raison revient au forum. Avec un Fabre moins extrémiste et plus stable, qui se bat depuis 2 ans pour rencontrer, en tant que chef de file de l’opposition, le Président de la République. Il n’aurait jamais fait une telle démarche, avec une si forte détermination il y a quelques années. « Je sais qu’il finira par me recevoir » a-t-il insisté sur TV5 lors de sa récente tournée en Europe. Il y a encore quelques années, être reçu par le chef de l’Etat aurait été aperçu comme « une complaisance » par le principal opposant et son entourage. Mais du côté de la présidence, Faure Gnassingbé ne veut pas le recevoir sauf s’il a une pression extérieure… Il le trouve « désinvolte et évasif pendant les rencontres précédentes », ce qu’il observe comme « une discourtoisie et une arrogance ». Et ceux qui le connaissent savent que le président togolais ne reçoit personne pour lui faire plaisir, « il reçoit ceux avec qui il lui plaît de discuter » insiste l’un de ses conseillers.
Revenons à Fabre. On peut tout lui reprocher mais son intégrité et sa probité sont intactes. Idem pour son engagement. Il a peut-être des méthodes dont certaines sont susceptibles de critiques mais il reste déterminé et solidement engagé pour la lutte. Face à un régime cinquantenaire qui tient son peuple par l’armée et la précarisation, une opposition intègre est un atout important. Et Fabre joue bien le rôle avec une certaine chasteté, comme un sacerdoce dont on ne peut plus le priver. Il est tellement fou de la lutte que je crains qu’une fois les conditions réunies pour arrêter cette lutte, qu’il soit encore là, isolé et solitaire, à vouloir encore et encore lutter.
Le mal dans une dictature, ce n’est pas l’opposant qui a du mal à tenir le coup. Que peut-il avec les moyens dont il dispose ? On ne peut pas le critiquer sur la même onde d’évaluation qu’un pouvoir qui dispose de cadres, de l’armée, des privilèges, de toute la richesse publique, d’experts et de consultants et de tous les pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire) depuis un demi-siècle. Une opposition dans ce contexte n’est responsable que de peu de choses, vouloir la critiquer, c’est renforcer la dictature en face.
Le responsable de la précarité ambiante, des détournements de deniers publics devenus un festival d’Etat, de la cherté de la vie, de la justice aux ordres, des augmentations vertigineuses du prix des produits pétroliers, de l’enlisement d’une situation déjà critique ne peut pas être l’opposition : c’est le pouvoir. Il ne faut donc jamais perdre de vue que Fabre ne peut être responsable que de ses limites et de ses choix mais pas d’une situation qui ne dépend que du pouvoir public, entièrement détenu par le système Gnassingbé. Quoiqu’on dise donc, Fabre reste la seule porte de secours, même si cette porte semble de plus en plus étroite. Battons-nous pour l’élargir !
Source : Max-Savi Carmel, Afrika Inter
27Avril.com