Togo / Jean-Pierre Fabre : «En 2018, Ce Sont des Membres de l’Opposition Qui Ont Bloqué la Mobilisation»

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jean-pierre fabre leader de l'ANC

Il y a 11 ans une gigantesque manifestation populaire de l’opposition regroupée au sein du Collectif Sauvons le Togo (CST) a failli emporter le régime de Faure Gnassingbé. C’est la première manifestation populaire qui a ébranlé le régime de Faure depuis son arrivé au pouvoir. 11 ans après, nous avons rencontré un des acteurs de cette mobilisation, Jean-Pierre Fabre, le président nationale de l’Alliance nationale pour le changement (ANC). Il a accepté répondre à nos questions. Il explore des pistes à suivre pour remobiliser de nouveau les populations togolaises.

12 juin 2012-12 juin 2023, il y a 11 ans s’est déroulé une gigantesque manifestation populaire à Deckon contre le régime. 11 ans après, quel souvenir gardez-vous de cette manifestation ?

Jean-Pierre Fabre : D’abord, ça fait 11 ans, les années passent vite. Je me souviens comme si c’était hier de cette manifestation qui a démarré à Gakpoto au nord de la lagune de Bè pour s’ébranler sur un itinéraire qui est passé par Bè, on a traversé l’avenue Félix Houphouët Boigny pour revenir sur le boulevard Sylvanus Olympio et aller vers Deckon sous une pluie fine avec une foule immense.

C’était le grand moment de la mobilisation pour le changement, pour l’alternance et je me souviens avec beaucoup d’émotion parce que je ne désespère pas de remobiliser les populations togolaises pour le changement. Je pense qu’il faut sensibiliser sans relâche, il faut expliquer sans relâche, il faut surtout expliquer aux Togolais, à nos compatriotes que nous n’échapperons pas à l’absolu nécessité de la mobilisation parce qu’il est illusoire de croire que les graves défaillances introduites dans le cadre électoral, je veux parler par exemple du fichier électoral, vous voyez la manière dont le recensement s’opère, parler du découpage électoral, l’absence de transparence, d’équité dans les élections, nous ne pouvons pas les corriger par la stratégie électorale, parce que quand on parle de stratégie électorale, on fait allusion à la désignation d’un candidat unique pour représenter toute l’opposition, cette stratégie ne pourra pas résoudre les problèmes de la défaillance du cadre électoral donc il faut mobiliser, il faut expliquer et lorsque les populations togolaises comprendront elles se mobiliseront et nous ne pourrons arracher l’amélioration du cadre électoral que par la mobilisation.

Au cours de cette manifestation, un diplomate en poste à l’époque à Lomé voyant la foule a crié « quelle marée humaine » mais vous n’avez pas su exploiter cette marée humaine. Qu’est-ce qui s’est passé ?

Jean-Pierre Fabre : Non, vous savez je me souviens du diplomate, je ne vais pas le citer … mais qu’est-ce qui s’est passé après ? Autour de 13h-14h, les forces de défense et de sécurité sont arrivées ont balancé sans sommation des gaz lacrymogènes dans la foule qui s’est éparpillée un peu partout. C’était le sauve qui peut général. Mais nous nous sommes revenus, nous sommes restés sur les lieux jusqu’à 22h-23h, toute la nuit nous étions là. Moi vers 00 h je suis allé à la maison, je suis revenu à 8h du matin, la foule était là. Elle a été dispersée manu-militari par des grenades lacrymogènes. Des forces de défense et de sécurité sont intervenues taper dans la foule. Il y a eu beaucoup de blessés voilà comment ça s’est passé. Et donc, oui, nous n’avons pas su …vous savez nous étions en 2012 le 12 juin mais nous avons continué à mobiliser 2016, 2017, 2018. En 2018, ce sont des membres de l’opposition qui ont bloqué la mobilisation. On ne le dit pas suffisamment. Il y a des membres de l’opposition qui ont sorti des phrases selon lesquelles la CEDEAO est là pour notre bien et nous devons cesser la mobilisation que quand il y a deux belligérants et qu’il y a des gens qui viennent s’entremêler pour régler le conflit il faut cesser toute mobilisation. Ensuite vous connaissez la fameuse phrase : « quand vous allez chez le coiffeur, il faut bien disposer sa tête ». Donc, ces gens-là ont détruit la mobilisation, ont démobilisé, démotivé. Personne ne leur disait rien jusqu’à aujourd’hui, à la limite, ils sont présentés comme des héros pour avoir démobilisé la population.

Est-ce que aujourd’hui, vous avez des regrets par rapport à cette mobilisation de l’époque ?

Jean-Pierre Fabre : Ce que je peux dire, c’est que c’est les mêmes qui étaient au pouvoir, qui étaient au pouvoir en 2012 qui sont là aujourd’hui, ils n’ont pas changé de comportement, ils essaient de se blanchir des graves crimes qu’ils commettent. Regardez cette affaire de la gestion des fonds Covid, vous voyez ? La cour des comptes a rendu public un rapport et le gouvernement se disculpe lui-même, et le gouvernement après s’être disculpé lui-même demande à l’Assemblée nationale de le disculper. Ce sont les mêmes qui sont toujours là et les Togolais, nos compatriotes doivent comprendre que la mobilisation doit reprendre et qu’on ne peut pas dire que les gens qui étaient à la base de la mobilisation ont trahi. Moi je n’ai jamais trahi, on invente des choses sur nous. Il faut cesser cela pour que la mobilisation puisse reprendre.

Il faut que ceux qui ont menti, calomnié, dénigré leurs camarades de l’opposition, ceux qui ont vilipendé, il faut qu’ils présentent des excuses publiques, ce n’est qu’à ce prix que nos compatriotes vont comprendre que les gens qui sont accusés de tous les maux qu’on leur met sur le dos, que ces gens-là ne sont responsables de rien. C’est comme ça que nos compatriotes pourront se remobiliser. Ce n’est pour la gloire de Jean-Pierre Fabre qu’on demande que ceux qui ont calomnié, diffamé, vilipendé se repentent parce que s’ils reviennent me voir pour me demander de travailler avec eux c’est qu’ils reconnaissent que nous ne sommes pas coupables de tous les crimes dont ils nous accusent. Nous disons il faut reconnaitre ses fautes. Si les mêmes qui ont provoqué, qui ont été contestés par cette grande mobilisation sont toujours au pouvoir et qu’ils n’ont pas changé d’attitude, nous devons toujours nous mobiliser contre eux.

Aujourd’hui entre la révolution populaire et la révolution électorale, votre penchant va…

Jean-Pierre Fabre : (un temps d’hésitation suivi d’un petit sourire). Vous savez la sémantique révolution populaire, révolution électorale, révolution… euh, préparons-nous, mobilisons-nous, et puis on verra si c’est électorale, ce sera électoral, populaire pourquoi pas ; si on peut régler par la mobilisation populaire, si on peut régler les problèmes par la mobilisation populaire, on ne va pas dire attendons la révolution électorale. Non !

Aujourd’hui, le Sénégal est en ébullition, quel enseignement tirez-vous de ce qui se passe au pays de la Teranga ?

Jean-Pierre Fabre : (sourire…) Nous étions en avance. A l’époque quand je me déplaçais dans la sous-région, je peux vous dire que nous recevions les félicitations des Tchadiens, des Maliens, des Congolais… Nous recevions des félicitations de tous ces gens-là qui disaient vous êtes courageux, vous êtes forts. On n’a pas changé, donc nous pouvons refaire toutes ces choses mais nous ne pouvons pas refaire sans les populations togolaises, c’est elles qui peuvent se mobiliser, nous ne pouvons que sensibiliser, nous ne pouvons qu’informer, mais c’est elles de se mobiliser.

Donc, l’enseignement, c’est ne jamais se démobiliser. Seule la mobilisation populaire permet des avancées démocratiques. Quand des collègues nous ont demandés, il faut que ça se sache, des collègues de la C14 qui ont bloqué la mobilisation populaire, doivent expliquer aux populations les raisons pour lesquelles ils ont fait cela. Les mêmes qui ont bloqué la mobilisation populaire parlent de révolution aujourd’hui, assez d’incohérence. Ça fait pitié! C’est une incohérence inqualifiable qui fait pitié. Ils se présentent comme des héros, je demande aux Togolais, je demande à mes compatriotes de réfléchir un peu, de prendre le temps de la réflexion.

Faisons attention, si on veut prendre exemple sur le Sénégal, on ne peut que les bonnes choses que nous pouvons apprendre c’est la mobilisation. La mobilisation populaire permet de se fait respecter.

Nous sommes à quelques mois des élections législatives, quel est l’objectif de l’ANC : est-ce faire mieux que lors de son précédent passage à l’hémicycle ?

Jean-Pierre Fabre : (hum…) ça c’est une question, je ne dirai pas question piège. Mais vous savez quand vous vous présentez à une élection, vous y allez avec la conviction de gagner, vous n’y allez pas pour dire que je me limite à ceci. Vous travaillez, les conditions sont difficiles, que nos populations aussi s’intéressent à la chose publique et surtout à la chose électorale. C’est pour nous tous que nous œuvrons donc je ne peux pas dire que nous voulons faire un petit score mais nous demandons aux Togolais de se mobiliser pour voter pour nous et on verra.

Propos recueillis par Albert Agbeko

Source: Togo Scoop

Source : 27Avril.com