TOGO / Interview de Godwin Tété : «Il faut que les corps habillés togolais comprennent que le Peuple togolais ne doit pas être leur ennemi»!!!

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Godwin Tété, nonagénaire est toujours présent et actif sur l’échiquier politique et médiatique togolais. Au-delà des libres opinions qu’il fait publier régulièrement dans les journaux, il apporte aussi constamment sa pierre à l’édifice dans la lutte démocratique avec l’Alliance nationale pour le changement (ANC), parti dont il est l’un des pères fondateurs.

De passage au pays, Godwin Tété a bien voulu nous accorder une interview dans laquelle il revient sur son séjour sur sa terre natale, ses apports pour faire avancer de la lutte, sans oublier les principaux sujets de l’actualité.

Liberté : Bonjour M. Godwin Tété et merci d’avoir accepté de répondre à nos questions.

Godwin Tété : Merci aussi, l’acceptation n’est rien du tout, car cela fait aussi partie du combat, et c’est plutôt moi qui remercie le journal Liberté pour tout son soutien en publiant mes articles..

Malgré votre âge très avancé, on vous voit toujours mobilisé aux côtés des forces démocratiques, avec diverses contributions pour faire avancer la lutte. Comment vous portez-vous et comment se passe votre séjour au pays ?

Godwin Tété : Oui, en termes d’âge, on ne peut pas dire actuellement que je suis encore un jeunot, puisque depuis le 17 janvier dernier, je suis dans ma 90ème année. Dire qu’on me voit tout le temps mobilisé, oui ! Tant que je suis en vie et que je n’ai pas encore rendu mon dernier souffle, j’estime que je me dois d’être aux côtés de tous ceux qui se battent, les Africains comme les Togolais pour que la terre africaine et togolaise connaisse un avenir meilleur. C’est tout. Et en termes de santé, ça va, sauf que, pour être sincère, la situation sociologique, politique, économique, sociale et culturelle qui prévaut dans mon pays me stresse des fois ; je dois l’avouer, et c’est un grand dommage.

Vous savez, je suis atteint de ce que j’appellerais le syndrome du grand Nehru. Celui-ci a dit dans son autobiographie que lorsqu’il était en Occident, plus précisément en Angleterre, il se sentait étranger ; mais le drame pour lui, rentré dans son propre pays, il se sentait toujours étranger. C’est mon cas également. Quand je suis en Occident particulièrement en France, j’ai la nostalgie de mon bercail, ma terre originelle. Mais quand je reviens ici, déjà le 3ème jour, je ne le cache pas, j’ai envie de reprendre l’avion et de retourner au-delà des mers.

Le 22 février 2017, vous faisiez partie de la délégation de l’ANC qui a rencontré la mission du Commonwealth qui a séjourné au Togo. Qu’est-ce que vous vous êtes dit et décrivez-nous un peu l’ambiance dans laquelle se sont déroulées les discussions. .

Godwin Tété : D’abord l’ambiance a été bonne et fraternelle, et on s’est compris. Cette délégation connaît parfaitement la situation qui prévaut dans notre pays avant d’arriver ici. Ils sont venus par acquis de conscience. Mais ils sont venus pour voir de visu, c’est-à-dire par eux-mêmes, ce qu’ils ont appris, lu, entendu dire et écouté sur les radios, etc. D’entrée de jeu, l’accueil a été mutuellement cordial, et des fois quand nous voulons parler, ils nous stoppent pour dire, comme cela se dit en Ewe [Mou gba dou djé né a ko né véo], ne te fais pas de mauvais sang. Nous connaissons ce que vous êtes en train d’exposer. Voilà, grosso modo, ce qui concerne l’atmosphère et l’accueil mutuel.

Ils nous ont demandé de présenter notre parti, en l’occurrence l’Alliance Nationale pour le Changement (ANC) et nous avons fait un peu l’historique de l’ANC. Nous avons premièrement parlé de la scission de l’UFC et je suis personnellement allé un peu plus loin pour leur dire que nous sommes une résurgence de la lutte des pères fondateurs de la nation togolaise, notamment du CUT, de la JUVENTO et du MPT, et que nous nous réclamons de cette ADN et notre peuple nous le reconnaît aussi. Nous avons également décliné la structuration du parti. Ils nous ont parlé de la question du genre, en demandant à savoir la place que nous réservons à la femme au sein de notre parti. On leur a fait comprendre que nous avons à cœur cette question, que d’ailleurs nous avons une section indépendante des femmes et que le groupe parlementaire ANC est présidé par une femme, Me Manavi Isabelle Améganvi en l’occurrence. Cela a été apprécié par la délégation, conduite par une Ghanéenne du nom d’Appiah Mensah. La délégation comportait deux messieurs dont un Britannique et un Kenyan et deux dames.

Ils ont cherché à savoir la situation des droits de l’Homme au Togo. Nous leur avons dit que le fondement de notre combat est précisément d’instaurer ici un Etat de droit qui n’existe pas actuellement, et là où on ne peut pas parler d’Etat de droit, on ne peut pas non plus parler des droits de l’Homme. C’est pour cela que nous leur avons dit que c’est cette situation qui nous amène à nous battre pour la mise en œuvre des fameuses réformes constitutionnelles, institutionnelles et politiques inscrites dans l’APG, pour que nous commencions, enfin, à installer un État de droit dans notre pays. Il nous a été demandé de faire un résumé de tout ce que nous avons dit à la délégation sur les réformes et nous leur avons aussitôt constitué une documentation bien fournie.

Ils nous ont demandé si nous étions contre l’adhésion du Togo au Commonwealth, et nous leur avons clairement dit aucunement. Le Togo est un petit pays et nous ne sommes pas pour la culture de l’île de Robinson Crusoe ; nous sommes des humanistes et d’abord des panafricains, et tout ce qui touche ces volets nous concerne. Seulement nous estimons qu’en l’état actuel des choses, que la question même de l’adhésion du Togo au Commonwealth nous paraît inopportune. Ils nous ont appris que c’est l’État qui a demandé à faire partie du Commonwealth en 2014. Ils nous ont aussi appris qu’ils n’acceptent pas un pays dans cette institution s’il ne pratique pas la démocratie et les droits de l’Homme.

Quel est l’intérêt du Togo à adhérer au Commonwealth ?

Godwin Tété : Je crois que ce n’est pas à moi que vous devriez poser cette question, il faut la poser à M. Faure Gnassingbé, puisque c’est l’État togolais qui a fait la demande et il est censé en être le chef. Nous à l’ANC, en l’état actuel, cette demande nous paraît une pure diversion. On ne veut pas faire les réformes ni les élections surtout locales. Nous sommes déjà dans la Francophonie, elle nous rapporte quoi ?

Le Commonwealth et la Francophonie, pour parler franchement et en toute objectivité, ce sont les relents, des racines, des vestiges du colonialisme, et il est grand temps que l’Être négro africain cherche à s’émanciper. Qu’est-ce qu’on va chercher dans le Commonwealth et autres ? Mais comme je l’ai dit, nous sommes des humanistes, et il n’est pas question que le Togo se recroqueville sur lui-même. Mais quand le moment vient, il faudra un débat national, tout au moins au niveau de l’Assemblée nationale.

Mais l’ État en tant que tel, pour ne pas dire Faure Gnassingbé, pour se faire accepter sur le plan international alors qu’il passe son temps à massacrer des citoyens, à réprimer les manifestations pacifiques, on l’a vu récemment avec les manifestations contre la fermeture de LCF et aujourd’hui même contre l’augmentation des prix des produits pétroliers, avec encore un mort sous les balles assassines de la soldatesque de Faure Gnassingbé… C’est de la véritable simagrée pour plaire à l’extérieur. Pour revenir, à cette question de l’intérêt du Togo d’adhérer au Commonwealth, il faut la poser à Faure Essozimna Gnassingbé.

Parlons de l’épineuse question des réformes constitutionnelles, institutionnelles et électorales. Récemment, Faure Gnassingbé a mis sur pied une nouvelle commission de réflexion sur lesdites réformes. Quel regard portez-vous sur cette nième commission ? A-t-elle de nouvelles choses à proposer alors que l’APG a déjà tracé le chemin ?

Godwin Tété : Vous faites bien de dire énième, car dès qu’il est venu au pouvoir, il a mis sur pied une commission dirigée par feu Mgr Dosseh, puis c’est la CVJR, ensuite le HCCRUN, et puis il va en Allemagne pour dire qu’il va confier cette question des réformes à des intellectuels. Je ne sais pas ce qu’il met dans le concept d’intellectuel.

En Occident, un intellectuel n’est pas quelqu’un qui brandit des diplômes, mais qui est capable d’utiliser sa cervelle pour le bien de l’Humanité. C’est un humaniste comme les Rousseau, les Montesquieu, les Voltaire, les Nelson Mandela et autres.

Lorsque nous nous étions réunis à la Conférence nationale en 1991, nous n’étions pas des analphabètes. Les évêques qui ont écrit la Lettre pastorale, ce sont des gens de haute culture. Maintenant qu’est-ce que l’intellectualisme cherche ici ? Ce sont, une fois encore, de la diversion et des pratiques pour gagner du temps, c’est du dilatoire. Vous avez mentionné l’APG qui a été élaboré par rapport à la manière dont lui Faure Gnassingbé est arrivé au pouvoir en 2005 […] S’il fait ce qui se trouve dans cet accord, son régime va disparaître et il en est conscient. Le peuple togolais veut ce qui est prescrit dans la Constitution de 1992 qu’il a plébiscitée. L’APG veut qu’on retourne aux fondamentaux de cette Constitution.

Le Togo veut s’inspirer du modèle rwandais en matière de réformes. En tant que grand historien, vous avez certainement suivi le processus de démocratisation de ce pays. Politiquement, le Rwanda offre-t-il un modèle que le Togo peut émuler ?

Godwin Tété : J’ai eu le privilège de servir en tant que fonctionnaire international des Nations Unies au Rwanda pendant 4 ans, et c’est d’ailleurs mon dernier poste. J’ai quitté le pays en janvier 1984 et en avril 1994, on va assister au fameux génocide. J’y suis retourné en 1998 et j’ai vu des tas d’ossements humains tels des montagnes. On dit que le régime de Kagamé a permis un certain développement socioéconomique ; je veux bien. Mais à partir du moment où Paul Kagamé fait faire un « référendum » pour sauter le verrou de la limitation des mandats, et rester au pouvoir ad vitam aeternam, comme Robert Mugabé, nous ne pouvons pas imiter ce régime là. Je dis que le régime que le peuple togolais veut est celui que nous avons inscrit dans la Constitution de la 4ème République. Le peuple togolais ne demande pas qu’on aille copier quelque chose ailleurs. Nous demandons que l’APG soit mis en œuvre pour que la démocratisation soit en marche au Togo.

Le 6 février 2017, la HAAC a retiré les fréquences à deux chaines du groupe Sud Média (LCF et CITY FM) et vous suivez cette actualité de près. Dites-nous quels ont été vos sentiments au lendemain de cette décision ?

Godwin Tété : On sait que le régime de Faure Gnassingbé n’aime pas les médias surtout s’ils dénoncent son pouvoir. Il y a déjà des radios comme X-solaire et Légende Fm qui ont été fermées et des journaux qui ont été plus ou moins jugulés. C’est grave. C’est l’atteinte à un droit fondamental du peuple qu’est le droit à l’information. Normalement, c’est tout le pays qui devrait se soulever pour dire non ! Néanmoins, il y a eu des mouvements des OSC, et là aussi, qu’est-ce qu’on voit ? On dirait que le pays a été attaqué par une puissance extérieure. Non, cela ne peut plus continuer. Nos ancêtres disaient que ce qui circoncit le cheval se trouve dans son ventre. Qu’ils continuent ainsi, un jour viendra. Vous avez vu ce qui est arrivé avec l’augmentation du prix de l’essence non ? Il y a eu déjà des exemples comme le Burkina, la Tunisie, la Gambie récemment et autres.

Comment appréciez-vous la gestion faite du pays pendant ce mandat social, arraché au forceps en 2015 ?

Godwin Tété : Le fameux mandat social. Si c’est cela le mandat social, alors c’est croustillant. Les fous se multiplient dans notre pays, des jeunes, garçons comme filles. Les aliénés et les drogués courent les rues, mais quand nous étions jeunes, un fou était quelque chose de rarissime. De maladies psychosomatiques attaquent les gens en désordre. A cela s’ajoute l’actualité de l’OTR, et on se demande si ce n’est pas une machination de plus entre eux. Ce gouvernement doit rendre des comptes au Peuple togolais, sinon cela reviendrait à prendre les Togolais comme des couillons.

Depuis 27 ans, les forces démocratiques sont engagées dans la lutte pour un changement au Togo. Mais les lignes ne semblent pas bouger et le régime RPT/UNIR est toujours en place et se renforce. De fait, notre pays est le seul aujourd’hui des 15 pays qui forment la CEDEAO où l’alternance politique est en souffrance. Quel conseil avez-vous à leur donner pour plus d’efficacité dans la lutte?

Godwin Tété : D’abord il faut que tous ceux qui se disent démocrates deviennent de vrais patriotes, et non ce que j’appelle des LANCONÏSTES [LANCON en Ewe, veut dire gros morceau de viande ou de poisson, et j’ai tiré ce concept d’une histoire concernant un vieil ami qui est allé à la soupe… c’est-à-dire chercher des intérêts personnels]. Les démocrates, s’ils sont authentiques, doivent abandonner le LANCONÏSME pour épouser le patriotisme, c’est-à-dire un sacerdoce, un don de soi à sa nation. Il faut qu’ils deviennent d’authentiques patriotes prêts à donner leur vie pour le peuple. D’autres l’ont déjà fait.

Le problème dans notre pays, ce sont les corps habillés, et il faut avoir le courage de le dire. Suite à la Conférence Nationale Souveraine, c’est par le bout des fusils qu’Eyadema a repris les choses en main. Il faut que les militaires comprennent que le peuple togolais ne saurait être leur ennemi. Vous avez vu les militaires Burkinabè ? Vous avez entendu la récente déclaration de Faure à Témédja ? Ici notre armée fait tout pour maintenir un clan au pouvoir, et ce n’est pas bien. Mais aussi, c’est Hégel qui dit souvent que « Les peuples qui ont trop peur de la mort ne sauraient être que des peuples esclaves ». Et il serait mieux d’ajouter un peu de pratique à la théorie. Les pères fondateurs de notre lutte alliaient la pratique à la théorie. Ce qui s’est passé ce mardi 28 février 2017 est un bon début. Il faut qu’on devienne moins trouillard et qu’on aille aux choses sérieuses.

Vous êtes un passionné de l’écriture et vous publiez régulièrement des ouvrages aussi riches qu’instructifs. Quels sont vos projets ? N’envisagez-vous pas de prendre une retraite ô combien méritée ?

Godwin Tété : Je suis passionné non seulement de l’écriture, mais aussi de la lecture. Je lis énormément et j’écris beaucoup. Je n’ai jamais été attiré par les réjouissances mondaines. J’ai deux ouvrages sous presse, mais je ne veux rien dévoiler pour le moment. Mais je traite des avancées positives de l’Afrique, puisque je suis panafricain comme Nkrumah, pour le bien -être de l’homme négro-africain qui n’a que trop souffert sur cette terre. Il faut que l’Afrique et le Togo en particulier s’embarquent sur le chemin du progrès, et que notre pays monte en humanité et non en animalité.

Un message à l’endroit du peuple togolais et des gouvernants.

Godwin Tété : Je me ferais le plaisir de souhaiter bonne année au peuple togolais, qu’il ne perde pas courage et qu’il s’évertue à se prendre lui-même en charge. Nul ne viendra faire la lutte à notre place […]. « Seule la lutte libère ! » (Thomas Sankara)

Sur web Lomé, le 28 février 2017

Interview réalisée par Shalom Ametokpo

Togosite.com