Les autorités togolaises détiennent illégalement depuis 8 mois 16 personnes dont un Irlando-togolais nommé Abdou-Aziz Goma, soupçonné de trafic d’armes, de soutien financier du PNP, et de préparation de troubles à l’ordre public.
Le bihebdomadaire L’Alternative a publié le 23 juillet dernier, dans son numéro 814 du 23 juillet, un récit poignant relatant le calvaire de l’arrestation rocambolesque, le 21 décembre 2018, d’un Togolais par les argousins de Faure Gnassingbé, ainsi que sa détention à la Prison civile de Lomé. A la suite de son récit, Le Temps a mené des investigations pour en savoir plus.
L’infortuné Abdou-Aziz Goma, 49 ans, citoyen irlandais, est commerçant de son état. Togolais d’origine et d’ethnie Tem – il ne fait bon d’être Tem par les temps qui courent-, il fait du commerce entre l’Irlande et l’Afrique. Il vient souvent faire des affaires au Togo.
Rappel des faits et des circonstances de son arrestation
Le 9 novembre 2018, Abdou-Aziz Goma arrive à Lomé pour la réception d’une cargaison de marchandises acheminées par bateau depuis Manchester (Nord de l’Angleterre). Dans l’attente de l’arrivée de la cargaison, il reçoit d’Accra le 19 décembre, un appel d’un nommé Kabila pour qu’il vienne en aide à « 8 jeunes » venus du Ghana. Il saura, « plus tard » – c’est sa version- , que les jeunes ont été convoyés à Lomé pour manifester contre la tenue des élections législatives du 20 décembre 2018. Il leur a apporté une aide de 50 mille CFA pour leur « retour à Accra ».
Le 21 décembre, accompagné de son ami Karou Wawim, d’une fille nommée Rebecca, et de Kevin, le chauffeur, M. Abdou-Aziz Goma rencontre finalement le nommé Kabila venu à Lomé pour ramener les « 8 jeunes » à Accra. C’est donc le soir, à bord de leur véhicule, sur le chemin du retour, au niveau de la pharmacie Gbossimé (Quartier Dogbeavou ) qu’un « groupe d’hommes armés [les] a encerclés avec une brutalité inimaginable ». Ils ont été [passés] à tabac, menottés jetés dans un véhicule à destination du Service de recherche et d’investigations (SRI).
Extraits des séances de torture avant interrogation
Le récit devient poignant et intenable. Les quatre personnes interpellées auront subi des mauvais traitements de la part des éléments du SRI.
Elles ont été sauvagement battues pendant le trajet du quartier Gbossime – SRI (ne connaissant pas le trajet réel effectué par le véhicule du SRI, la rédaction n’est pas en mesure d’estimer la distance parcourue). Mais les quatre ne sont pas au bout de leurs peines. Au SRI, les argousins de Faure Gnassingbé ont excellé en inventivité. Laissons M. Goma décrire la scène.
« Ce jour-là, nous avions vécu l’enfer. On nous a menotté par derrière bien serré jusqu’à l’os contre des arbres, d’autre contre des voitures, on nous avait bien tabassé, torturé jusqu’au Sang.
Je vomissais que du sang sous ce traitement. Cette torture a duré jusqu’à 03H du matin, c’était vraiment de l’enfer ; j’ai même prié Dieu de m’ôter la vie plutôt que de subir tous ces tortures ; nos bourreaux étaient d’une unité dont j’ignore le corps. Ils seraient de l’ U.S.I.G, et seraient le groupe des tortionnaires selon ce que j’avais pu entendre. Jusqu’au petit matin, ils ne nous ont posé aucune question.
Vers 07H du matin, ils sont venus nous démenotter autour des arbres et des voitures, et nous ont jeté dans la poussière, menotté on est resté là, par terre, jusqu’à midi sous un soleil ardant avant de nous ramener sous les arbres. »
La privation de nourriture et de toilette font également partie des moyens de torture.
Après deux semaines de détention au SRI, le chauffeur Kevin et la nommée Rebecca sont relâchés. Mais Abdou-Aziz Goma, son frère aîné Souleymane, et Karou Wawim ont été, quant à eux, transférés à l’Unité spéciale d’intervention de la gendarmerie (USIG) le 9 janvier, soit 18 jours après leur arrestation.
Abdou-Aziz Goma annonce que les services de renseignement les accusent d’avoir fomenté un projet de « déstabilisation » du Togo en faisant appel à des éléments venus du Ghana. Le SRI a effectué une perquisition de « 08H du matin jusqu’à 18H » chez M. Goma et a procédé à la saisie de sa cargaison au port de Lomé.
Simulation d’exécution par le commandant Kabia
A l’USIG, M. Goma raconte :
« cette nuit-là, ils nous ont fait assoir l’un à côté de l’autre dos au mur, toujours menottés, 03 agents au total dont 03 de ( U.S.I.G ) Unité Spéciale d’Intervention de la Gendarmerie, 04 de la Gendarmerie et leur Commandant au nom de Kabia (Kambia ?), chacun d’eux avait son arme bien pointée sur tout un chacun de nous. Là, nous avions tous prié le Bon Dieu puisque nous avions cru que c’était la fin de nos Vies. Le commandant lors du chargement de son pistolet automatique, a fait tomber la balle de son arme. »
Le commandant Kabia serait le fils de Kabia Egbamgbam, d’une certaine réputation, un ancien officier supérieur à la retraite, ex-commandant du camp 2ème Régiment inter-armes d’Adidogomé.
Après 27 jours de détention, les personnes enlevées par le SRI sont enfin présentées à un juge d’instruction, puis « jetées » à la Prison civile de Lomé, « en attendant, soi-disant, les investigations ».
M. Abdou-Aziz Goma décrit les conditions infernales de sa détention à la prison civile de Lomé. Cette dernière dont la capacité est de 600 détenus abrite pourtant plus de 2000.
« Nous ne mangeons qu’une seule fois par jour, parfois, nous ne mangeons même pas et quelle sorte de nourriture ! Même les Animaux sont mieux nourrit (sic). La nuit, nous somme entassé (sic) comme des sardines, d’autre sont debout de 17H 30min jusqu’au matin. Les conditions ici sont inhumaines et dégradantes », écrit M. Goma.
Que s’est passe-t-il en réalité ?
Dans ce récit qui constitue un plaidoyer pro domo, M. Goma n’a pas restitué totalement le contexte général de son enlèvement et pourquoi les autorités togolaises gardent le silence sur sa détention. Selon des témoignages, l’arrestation et l’enlèvement rocambolesques de M. Goma sont la conséquence logique de la phobie que suscite le PNP au pouvoir de Faure Gnassingbé, et la stratégie de vouloir régler la question par la voie militaire. L’armée est toujours présente à Sokodé, Bafilo et Mango, des villes surveillées comme du lait sur le feu.
Après les enquêtes de «Le Temps» dans la galaxie PNP, il s’avère que les personnes arrêtées sont en réalité au nombre de 16, y compris le frère aîné même père même mère de Goma, interpellé quasiment au même moment dans cette nuit fatale du 21 décembre. Deux autres personnes ont été interpelées dans un canton de Tandjouaré – deux militants du PNP, dont le responsable local. Ce dernier a été relâché mais on ne sait pas ce qu’il en est du second détenu … à la Prison civile de Kara.
Parmi les 16 personnes se trouvent également les jeunes ghanéens arrivés soi-disant pour troubler le déroulement des législatives du 20 décembre. On aurait retrouvé avec eux du matériel de fabrication de cocktails Molotov. Mais la population de Lomé ayant boycotté massivement le scrutin du 20 décembre, les jeunes venus du Ghana n’ont même pas eu l’occasion d’en fabriquer. Et ils se sont retrouvés comme de grands serins dans l’affaire. Le nommé Kabila, le très mystérieux Kabila, qui les a missionnés à Lomé pour semer les troubles, demeure introuvable, ou peut-être détenu avec eux. Qui est-il ? A-t-il voulu impliquer Abdou-Aziz Goma ? Est-il aux ordres ? Est-il un espion ? Mystère.
A la prison civile de Lomé, les quarante autres détenus du PNP craignent Abdou-Aziz Goma et ses co-accusés et évitent soigneusement de les approcher. Ils sentent le souffre. Et M. Goma, malgré l’enfer vécu, a cru un moment que sa nationalité irlandaise pouvait le sauver. En dépit de la mission consulaire de l’ambassade de France, les autorités togolaises sont restées fermes sur leurs positions.
Ce n’est d’ailleurs pas une première. On se souvient que l’année dernière, un militant du PNP, de nationalité américaine, avait été arrêté à Agoè et détenu pendant des mois à Lomé. Le service consulaire américain n’a pu rien faire, ce qui témoigne tout de même d’un certain laxisme des Occidentaux envers le régime de Faure Gnassingbe. Ce militant PNP aurait fait valoir sa citoyenneté américaine mais son passeport lui a été retiré et déchiré. Le service consulaire de l’ambassade des États-Unis a dû lui refaire un autre passeport afin qu’il regagne son pays.
Soupçon de déstabilisation par les armes
Selon des témoins, les services de renseignements soupçonnent Abdou-Aziz Goma de vouloir faire entrer des armes au Togo, d’où la saisie de sa cargaison de marchandises.
Mais comment les limiers togolais ont–ils cru un instant qu’on pourrait suffisamment faire entrer les armes au Togo pour faire pièce aux forces armées togolaises ? Et dans quelles conditions pourrait-on faire entrer les armes dans ce pays ? Quelles sont les puissances étrangères qui pourraient jouer à ce jeu ? Le Ghana d’Akuffo Addo, le Burkina Faso de Kaboré ou le Bénin de Patrice Talon ?
Le régime est-il paranoïaque à la montée du PNP au point que leur délire leur fait croire de telles âneries ? Où est-ce une volonté de la part des autorités de ne rien laisser au hasard voire de justifier à tout prix leur logique militaire ou leur version quant à la présence d’armes à Sokodé ? Absurde.
Abdou-Aziz Goma s’est-il vanté au cours d’une beuverie en laissant croire qu’il pourrait acheter des armes et les faire entrer au Togo ? Une telle naïveté de sa part ou des autorités du renseignement paraissent quelque peu absurdes. On n’achète pas les armes comme on achète du pain chez le boulanger. Et on ne se lève pas un matin pour faire un coup d’Etat au régime plus que cinquantenaire.
La responsabilité des associations des droits de l’homme
Depuis huit mois, des Togolais sont détenus en toute illégalité. Le simple soupçon de penser à, d’avoir l’intention de, de préparer un crime a suffi aux autorités sécuritaires de les interpeler, de les soumettre à la torture et d’autres traitements inhumains et dégradants. On se croirait dans le film Minority Report de Steven Spielberg. Ils n’ont eu droit ni à la visite de leurs familles ni à rencontrer leurs avocats. C’est tout l’habeas corpus qui s’écroule.
Et les associations des droits de l’homme restent dans un silence sépulcral, ainsi que le barreau des avocats du Togo. D’ailleurs, ce dernier, visiblement gêné aux entournures pour des raisons inavouées, se tait devant le meurtre d’enfants exécutés par armes à feu. On a connu pourtant des avocats dans ce pays, au temps de la dictature Eyadema, qui ne se laissaient pas intimider.
Pendant huit mois, Abdou-Aziz Goma et son frère Souleymane n’auraient eu la visite que du CACIT. Mais le CACIT, qui dit lutter contre l’impunité, est plutôt lisse, et n’aime pas heurter apparemment les autorités.
La lutte pour la défense des droits de l’homme a perdu du terrain au Togo voire est quasiment inexistante. Il importe que les associations des droits de l’homme, de façon concertée et avec beaucoup plus d’efficacité, reprennent le flambeau du combat pour les droits humains.
Source : Le Temps
27Avril.com