La roue de l’histoire tourne, chaque acte posé rattrape son auteur, l’enfer et le paradis, c’est ici. Qui aurait cru que Faure Gnassingbé, président de la République, ministre de la défense, chef suprême de l’armée, commettrait la maladresse politique de mettre pied dans une ville sous le choc de son armée? Personne ne s’y attendait, mais le voici dans une cité assiégée, c’était le samedi 25 Novembre 2017.
Dans un pays où la grogne populaire réclame son départ, le chef de l’Etat, après avoir dépensé tout son temps pour une jouissance maladive du pouvoir, improvise désormais de plus en plus des rencontres avec les populations, ‘‘too late’’, répond la rue. L’improvisation est tellement grossière que le monsieur s’embrouille là où il n’est pas humilié. La seule certitude est qu’il se rend ici pour des inaugurations, soient-elles de piètres fontaines publiques, là pour des courses au marché, à défaut de la très attendue première dame, histoire d’y acheter du pain dans des sachets interdits par la loi. Sokodé, peine à circoncire l’objet de la visite. Comme un enfant traumatisé dans une nuit profonde par un mauvais rêve après une journée chargée entre les jouets, monsieur Faure Gnassingbé attrape tout ce qui passe devant lui. Le voici qui cogne un mur par ici, ramasse un oreiller par-là, s’arrête et regarde sans voir, la nuit est encore incertaine. Dans un pays où tout est à construire, le temps d’un président de la République est normalement précieux, mais les dernières sorties de monsieur le président portent à croire qu’il y a longtemps qu’il s’ennuie. Le lancement d’un projet d’agriculture qui se veut moderne a forcé le président de la CEDEAO à mettre pied à Abatchang, canton de Lama-Tessi, ce déplacement pouvait trouver un fondement défendable. Mais à Sokodé, quelle mouche l’a vraiment piqué pour qu’il s’y rende? Au soir de ce 25 novembre 2017 l’héritier national y a passé le plus clair de son précieux temps. Arrivé à 14 heures, il n’en partira qu’à 20 H. Pour une population encore traumatisée, soit par sa méchanceté ou son absence de contrôle d’une armée nationale devenue une milice contre les Togolais, il n’était pas impertinent de se demander que cherche le monsieur à ce mauvais endroit au mauvais moment? « Le plat de la vengeance se mange à chaud » et la population a cru devoir répondre par une indifférence, si ce n’est une humiliation à la hauteur de la méchanceté dont elle venait d’être victime.
C’est quoi Sokodé ?
Puisque tout le monde n’est pas au même niveau d’information ni d’analyse, il faut bien replacer le milieu dans son contexte pour comprendre les dernières évolutions nationales dont cette ville est le nombril.
Chef-lieu de la préfecture de Tchaoudjo, au cœur de la région centrale, la ville loge à 347 Km du côté nord de Lomé, la capitale. Située entre le Mô et le Mono, malgré un charcutage géopolitique biaisé, la citée des guerriers est indissociable de sa sœur cadette, Bafilo. Centre commercial nourri de la moisson d’une vaste région fertile et des accointances avec les deux pays voisins, la bourgade que la politique politicienne présente aujourd’hui vainement comme extrémiste est évidement à dominance musulmane. Sauf que, cette forte tendance n’empêche pas à la ville de Djobo Boukari d’être un ‘’melting-pot’’ confessionnel. Entre appels de muezzins et cloches du clergé, elle a vu prospérer les premières écoles chrétiennes et professionnelles des temps coloniaux. Cette référence hospitalière fait de la cité une base pour la formation de la quasi-totalité des grands cadres que le Togo va produire à la sortie des indépendances. Naturellement, un environnement où cohabitent toutes les religions, des citoyens continuent par porter des noms islamo-chrétiens sans que cela ne déplace les mœurs. Simple carrefour qui accueillait une vague d’artisans, de commerçants, déjà en mouvements organisés depuis le 16eme siècle, en devenait une ville vers 1897, Sokodé n’envisageait pas être à ce stade à notre ère; tant le site était géostratégique et la région ne souffrait de quoi rendre ses fils heureux. Mais très vite, étouffé par une adversité politique et un marasme national dont toutes les villes seront victimes, les bras valides seront poussés à l’exil, principalement au Ghana, au Nigeria et en Occident. Sokodé, c’est une riche terre que caresse un réseau dense de rivières et fleuves perlés de monts et collines. Les deux courants d’eau que porte la ville sont le ‘’Kpondjo’’ et le ‘’Kpandi’’, deux courants d’eau qui grossissent ‘’le Na’’. A son tour, celui-ci alimente le célèbre Mono. Le Tem, langue la plus proche du Kabyè, linguistiquement parlant, est le code d’échange. Capitale de l’Islam, le milieu revendique aussi une légende dans le football jusqu’à un passé récent.
Qui habite Sokodé ?
Un peuple qui sait bien se débrouiller, qui s’adapte, un peuple très aventurier et qui sait donc trop bien offrir de l’hospitalité à ses hôtes. Sokodé, c’est aussi cette population qui ne vit pas dans l’opulence, mais qui n’a pas faim non plus, qui se suffit, qui ne quémande donc pas sa pitance. Une solidarité légendaire qui fait de la ville la cité commerciale la moins chère du pays. Cosmopolite, fière de sa personnalité, ce peuple est difficile à intimider parce qu’il a une conviction tenace. Quand c’est oui, il sait dire « oui », quand c’est non il sait aussi dire « non ». C’est ainsi qu’en disant oui, de tout son cœur, au régime politique en place alors que celui-ci poussait ses dents de lait, au-delà de valeureux cadres postcoloniaux qu’il a su offrir pour lancer un pays naissant des indépendances, Sokodé sera aussi le nombril spirituel d’un pouvoir qui malheureusement finira cinquantenaire en mangeant ses enfants et parrains. Tellement rassurés dans cette posture, les tenants du pouvoir en place, toute ethnie confondue, vont finalement se comporter comme s’ils avaient un droit divin sur le reste des Togolais. Sans vouloir sortir du caractère cartésien de notre métier, il faut dire que, Africains, nous sommes dans la triste obligation de conter certaines réalités, quitte à vous laisser l’appréciation. Ainsi, l’histoire renseigne que les plus grandes préparations spirituelles qui ont permis à feu Eyadema de traverser monts et vallées, si elles ne viennent pas de Bafilo, viennent de Sokodé, du moins dans leur grande partie. On en retiendra, entre autres, cette grande prière musulmane pour Eyadema en février 1974. Après son attentat de Sarakawa, en plein retour triomphale, dès qu’il a prononcé son discours historique au centre du pays, Blitta, c’est à Sokodé que celui qui s’est fait appeler «le miraculé», retourne passer la nuit. Le lendemain, après un dîner de gala le matin, le soir, Tchaoudjo offre tout ce qu’elle a d’érudits pour une grande prière musulmane sous les arbres de la préfecture. Pour une prière, s’en était une. Le jour suivant, à six heures, à en croire les témoins vivants, le convoi continue pour Lomé.
Sur un plan coutumier, après qu’il ait réhabilité le chef supérieur de Sokodé, entre-temps poursuivi par les indépendantistes et obligé de se réfugier au Ghana, celui-ci a réuni toutes les puissances occultes de sa communauté tem aux mains d’Eyadema pour l’aider à apprivoiser son pays.
Allant donc du saint coran, aux pratiques païennes, les maîtres de cérémonies étaient tellement allés loin que certains connaîtront même de tristes fins pour avoir trop donner. Oui, le bénéficiaire, Etienne Eyadama, en était pour sa part, tellement satisfait que, aux derniers moments de son règne, après avoir vu les prophéties des prêtres et marabouts se réaliser l’une après l’autre, n’hésitait pas à répéter : « Les musulmans ont la meilleure des religions mais ils doivent seulement apprendre à s’aimer ». Plus récemment encore, quand il s’est agi de faire recours aux réseaux de marabouts du Sahel et du monde arabe pour remonter les bretelles au RPT, c’est encore aux fils de Tchaoudjo que revenait cette tâche de confiance, le Général Seyi Memene en sait beaucoup. Dans les pires moments du système, si ce n’est pas un Foli-Bazi qui achève la mission laissée à mi-chemin par un Akila Esso Boko, c’est un Memene, encore lui, qui fabrique les résultats de la présidentielle de 98 alors que rien ne pouvait sauver Eyadema malgré la démission négociée d’Awa Nana. Plus récemment, il va défier les autres officiers supérieurs pour permettre à Faure de succéder à son père en 2005. Pendant 50 ans, la région centrale a donné ce que sa religion a de plus précieux, le Coran, ce que ses ancêtres ont de plus redoutables, la magie noire et ses hommes pour sauver les naufrages au RPT. Cinquante ans après, la même région qui a tout donné hier est prise pour cible car, comme l’écrasante majorité des Togolais, elle dit non « 50 ans, ça suffit ».
Mais 50 années, ça fait deux générations. La relation de maître et du serviteur a tellement durée que le maître finit par croire en un droit divin sur celui qui n’est en réalité qu’un fidèle concitoyen avec les mêmes droits et devoirs que le maître. Il pense donc que, le serviteur qu’il commence par méprendre pour esclave ne doit rien lui refuser au risque de subir toutes les exactions de droit divin. Oui, c’est ce que subit Tchaoudjo et autres associés qui osent dire « non ».
Contrairement à feu son père, Faure Gnassingbé n’est pas assez éclairé pour savoir que quand, l’âne devient intelligent, son maître doit apprendre aussi à tirer les bagages. Mais le maître se trompe de calcul et d’époque, Sokodé et Bafilo ne sont plus les seuls à dire « 50 ans ça suffit », c’est tout un peuple qui s’exprime, même dans son silence, Kara aussi ne dit pas le contraire.
Quand un grand cœur souffre le martyre
Du 16 septembre au 25 Novembre 2017, Sokodé et Bafilo sont assiégées par les militaires, la ville sœur de Mango l’était quelques semaines plus tôt. Bafilo-Sokodé n’ont pas seulement un même peuple, mais elles semblent porter la même croix. Mais les bourreaux ont vite fait d’oublier qu’on peut faire reculer un ou deux individus, mais deux, voire trois villes ! Encore que, tout comme elles ont appris à être ensembles pour réussir, ces villes savent être ensembles pour résister aux intempéries. De Mango à Sokodé en passant par Bafilo, voilà un peuple qui démontre qu’ensemble, on peut plier mais on ne rompt point, quel que soit l’adversaire. Sokodé-Bafilo, tout ce que ces villes font ensemble connait un succès sans faille. Quand Sokodé fournissait la grande partie des joueurs de la légendaire équipe de Semassi, dans les années 80, les préparations spirituelles de l’équipe se faisaient à Bafilo, quand un fils de Sokodé, Zarifou Ayeva, a dirigé avec gloire le PDR, Parti Démocratique pour le Renouveau, c’est un fils de Bafilo, Feu Alfa Boukari, ancien inspecteur des douanes, qui le créait. Aujourd’hui encore, un parti politique vient repositionner les cartes dans une lutte pour l’alternance, une lutte longtemps minée par les divisions et les vieux clichés. On estime que cette formation a ses premières bases à Bafilo et Sokodé, si on étouffe les deux localités, on aurait combattu le mal à la racine. Les deux villes sont prises pour cibles parce qu’un fils a poussé l’audace trop loin en réveillant tous les Togolais de leur profond sommeil. Bonjour donc les dégâts.
Le Libéria et la Sierra-Leone ont vécu la guerre civile, une partie de la population s’est rebellée contre une autre. Les populations ont quitté leur pays, parce qu’ils sont terrorisés çà et là par les différents groupes rebelles, des innocents sont amputés, tués, violés et persécutés. Ils sont obligés de choisir la brousse et l’exil pour se sauver des machettes qui se battent pour contrôler le pays.
Dans les années 90 au Rwanda, la purge ethnique a revendiqué des milliers de morts parce qu’une ethnie a été frappée par un attentat qu’on attribue à une autre ethnie. Cet autre pays a traversé de tristes moments même s’il se construira de la plus belle manière.
Au Nigéria, dans les années 70, une partie du pays-continent a nourrit des ambitions sécessionnistes, la Guerre du Biafra s’en est suivie avec son lot de dégâts. Là aussi les peuples ont souffert pour un mauvais choix.
Au Togo, nous sommes aujourd’hui en 2017, le monde est devenu un village planétaire où le souci le mieux partagé est celui du développement durable, aucune région du pays ne réclame son indépendance, aucune ethnie ne combat une autre, il n’existe pas de chef rebelle qui s’oppose à l’armée nationale, aucun territoire étranger n’a attaqué le pays, les frontières sont stabilisées. Mais des pans du territoire, Sokodé, Bafilo et Mango, vivent ce qu’ont vécu les pays qui ont traversé les guerres. Pour cause, une famille politique a dirigé le pays depuis 50 années. Tous les efforts pour arracher l’alternance ont été vains. Enfin, depuis le 19 Août dernier, un parti politique vient faire la différence, le PNP, Parti National Panafricain. Ceux qui géraient le pays de façon villageoise, depuis lors, estiment que les fiefs naturels de ce parti, qui donne l’insomnie, sont Sokodé et Bafilo. La hiérarchie militaire a conçu la purge pour faire taire ces fiefs supposés.
Les deux villes sont reparties en zones sur une carte de guerre et d’un quartier à l’autre, les bérets rouges, passent de maison en maison pour faire couler le sang, semer la panique, le désordre, entretenir la faim, la mort au mieux des cas, l’exil. Les bérets rouges, surtout, quand ils sont en mission pour un prince comme Faure Gnassingbé, ne font rien à moitié. Ils violent les domiciles, ramassent ce qu’ils peuvent ramasser, cassent ou brûlent ce qu’ils ne peuvent emporter, les petites économies des familles ne sont pas épargnées. Les personnes de troisième âge abandonnées dans les maisons par les familles refugiées en terre natale sont passées à tabac. « Où sont les autres ?». « Ils sont partis », alors commence la bastonnade, les uns se verront amputés, les autres ne pourront pas survivre, les plus heureux prendront une destination différente de celle de leur proches après le passage des visiteurs en armes. Entre autres, on peut citer cette vieille femme qui, traumatisée par l’amputation des doigts de sa voisine pendant qu’elle regardait par une fenêtre, arrive à Lomé le lendemain. Elle refuse toute nourriture et ne demandait qu’à rejoindre le Ghana où attendent ses proches qui sont partis tôt. Les professionnels éclaireurs passaient de rue en rue pour épiler la présence humaine dans les maisons afin d’appeler l’armée pour le toilettage. Dans les cachettes localisées, les militaires, appuyés de leurs miliciens, ont suivi les populations pour en découdre avec eux. Des corps sans vie ont été retrouvés, soit dans des maisons, soit dans les brousses de la périphérie. Entre coups de feu, bastonnades et saccages, la ville est vidée de ses habitants. Une bonne partie est rentrée dans les brousses, forêts et fermes agricoles périphériques. Elle y vivra sous des abris de fortune en attendant l’accalmie. « Là, elle survit entre deux tubercules d’igname, de manioc ou tout autre chose que l’estomac peut supporter. La nuit, du feu entretenu par le bois sauvage éclaire les camps. En ville, ceux qui n’ont pas eu le temps de quitter sont obligés de se terrer dans les coins et recoins en attendant une visite musclée. Entre la crainte de l’agresseur et la faim, les gens mouraient à petit feu dans leur maison; ceux qui se sont déplacés en brousse étaient, à un moment donné, enviables. Eux, au moins, se débrouillent dans la nature. Ceux qui ont reçu des descentes punitives, après leur passage à tabac, ne pouvaient être transportés au centre de santé. S’ils parviennent, ils ne sont pas sûrs d’un séjour médical tranquille sans visite militaire». Combien de personnes en sont mortes ? Les musulmans ne font pas trop de bruit avec les cadavres, des gens seront inhumés dans le silence le plus total, mais le temps comptera ses morts. « Quitter sa ville avec femmes et enfants sur l’épaule pour se réfugier dans une ferme avicole ou agricole à dix kilomètres de sa maison. Se réfugier dans une brousse sous les arbres, moustiquaires noués à quatre branches pendant que les enfants sont couchés sur un sol couvert de feuilles d’arbres.
Etre blessé à un moment où l’on est incapable d’aller se faire soigner de peur d’être enlevé par les bourreaux sur le lit d’hôpital est un sévices, une double blessure.
Se cacher dans sa propre maison, mourir de faim parce qu’on ne peut cuisiner de peur que les militaires et milices sentent une présence humaine, est une torture.
Laisser son vieux père ou sa vieille mère à la maison parce qu’on ne peut le transporter au moment où la famille se met en route vers une destination incertaine, est un affront, enfin, les personnes d’un certain âge étaient hantées par l’idée de mourir au moment où on n’est pas sûr d’être enterrées par leurs descendants ». Juste un extrait de nos anciens écrits. Tout ceci s’est passé à notre siècle dans des villes qui s’appellent Sokodé, Bafilo ou Mango. Parce que quelqu’un tient un pouvoir qu’il refuse de lâcher. Pour s’assurer que son pouvoir ne sera plus menacé, il décide d’écraser les contestataires comme de simples cafards et il met les moyens pour y parvenir. Ministre de la défense, il impose le siège militaire sur plusieurs villes. Les faits ne remontent que de quelques semaines et les stigmates sont encore visibles même si le siège est allégé. Ces comportements font-ils partie de la formation militaire de nos vaillants soldats ? Nous préférons croire le contraire puisque les témoignages des victimes reviennent qu’ils avaient parmi les bourreaux des gens habillés mais qui ne parlaient que anglais. Raison de croire à un renfort de miliciens habillés. Ce qui est sûr est que, c’est un corps de l’armée nationale qui était devant les opérations, les bérets rouges. Disséminés dans plusieurs camps, ils ont une hiérarchie bien identifiable. Elle répond d’un chef d’Etat-major général, Kadanga Felix, qui chapeaute le tout sous le regard superviseur d’un ministre de la défense, Faure Gnassingbé. Monsieur Faure Gnassingbé est donc ministre de tutelle quand tout ceci se produisait. Les populations n’ont pas fini de faire le deuil, mais c’est sur le lieu d’un tel crime que la même personne décide de faire une visite. N’est-ce pas une façon pour un criminel de retourner sur le lieu de son crime ? Très souvent, on ne vous enseigne rien, les braqueurs ou autres malfrats envoient toujours une personne du gang faire la ronde au lieu du crime le lendemain de la forfaiture. Est-ce à cela que ressemble la visite de monsieur Faure Gnassingbé ? Pour le moment, il est difficile de répondre, mais l’homme a vite fait de conseiller, pendant sa visite, de ne pas chercher à culpabiliser X ou Y avant d’annoncer des mesures pour le retour à la normale. Trop facile monsieur le Ministre, et ces comportements donnent argument à l’opinion qui pense que pour son pouvoir Faure est prêt à tout. Chef de l’Etat, chef suprême de l’armée, Ministre de la défense, il serait impossible de convaincre le plus idiot des Togolais que Faure Kodjo Gnassingbé n’a pas planifié ce qui s’est passé à Sokodé. Si tel est le cas, un régime qui se nourrit de crimes pour tenir tête aux contestations précipite sa chute, si telle n’est pas le cas, c’est dire que le président n’est pas derrière ce crime. Alors, un chef qui gère une République dont trois villes entières sont prises en otage par la barbarie militaire pendant des semaines sans qu’il en soit informé n’a pas sa place à la tête de ladite République. Il ne contrôle rien alors et le pays est en danger si le prince n’est pas au courant du crime de Sokodé. De toute évidence, rien ne pourra effacer les crimes commis dans ces villes où les familles sont sans nouvelles de leurs enfants, sont-ils morts en exile ou détenus ? Depuis que monsieur le président a fait replier ses métayers, la vie a repris mais des jeunes n’ont pas repris les classes ou leurs activités.
Pourquoi cette visite ?
Pour le moment, aucune enquête officielle n’est ouverte pour remonter aux coupables, monsieur Faure conseille de ne pas chercher à situer les responsabilités. Mais en attendant d’être soulagées par cette vérité, les victimes, elles ont leur coupable, Faure Gnassingbé. Donc pour elles, Sokodé est un chantier où le plus fort des Togolais a, entre-temps, envoyé des métayers pour réprimer ceux qui menacent son pouvoir. Les employés ont duré sur le chantier mais le résultat se fait attendre. D’où il a effectué le déplacement pour toucher la réalité du doigt. L’objectif est atteint, car il n y a plus de manifs dans cette bourgade, le temps du siège, même si le pouvoir est encore menacé dans le reste du pays.
De sources militaires très informées, un des plus hauts responsables de ce crime a sa maman qui vit à Sokodé. Avant de passer à l’acte, il a pris soins de demander poliment à sa maman chérie de le rejoindre à Lomé. Celle-ci a refusé. C’est alors qu’un commando est allé l’arracher nuitamment de force de la ville avant que l’assaut ne soit lancé. Nous vous disions tantôt qu’au plein cœur de la répression à Sokodé, quand elles ont appris que les populations fuyaient la cité, dans certaines sommités, du champagne aurait même coulé. L’un des responsables qui a envoyé les bérets rouges à Bafilo et à Sokodé a poussé un éclat de rire avant de s’exclamer «je croyais qu’ils sont invulnérables». L’autre, reprochant à un officier de la localité sa présence sur le terrain, a braillé en ces termes « qui t’a envoyé là-bas ? Reviens vite à Lomé et laisse les enfants travailler ». Quand un « travail » finit, il faut donc que le maître d’ouvrage s’y rende pour contrôler. Faure est arrivé à Abatchang aux environs de 10 heures pour le projet de la ferme agricole moderne dans le canton de Lama-Tessi. Pendant sa visite, il promet se rendre à Sokodé car, disait-il, il a entendu parler de tout ce qui s’y passait. De ce pied, il est arrivé à Sokodé vers 14 heures le même jour. Il a visité tous les services publics brulés avant de terminer par l’hôtel central pour recevoir les groupes organisés. Il a été questions de mesures à prendre pour normaliser la vie. Du temps de siège, des populations se sont déplacées en brousse et dans les pays voisins, des gens en sont morts, mais tout ceci n’a pas été suffisant pour déplacer un président de la République qui apparemment ne se sera jamais rendu si le lancement de la ferme d’Abatchang n’était pas venu. De sa présence, la population était donc indifférente à la hauteur de l’indifférente de monsieur le président à son égard. Il a défilé dans des rues désertes doigté de part et d’autres par des curieux moqueurs. Hué par les femmes du grand marché de la ville, les organisateurs de la visite ont dû faire précéder le cortège présidentiel par deux bus remplis pour insinuer des applaudissements par endroits. Il a quitté la ville tard dans la nuit aux environs de 20 heures. Est-il venu pour réhabiliter les réseaux spirituels dans cette localité assiégée avec une population traumatisée ? Est-il venu pour évaluer les dégâts puisqu’il semble faire croire qu’il en a entendu parler, ou pour montrer qu’il est encore populaire ? De toute façon, c’est la queue entre les jambes que la visite s’est faite avec une présence militaire bien renforcée. Ceci dans l’indifférence totale de la population avec des chefs traditionnels isolés et obligés de tenir, eux-mêmes, les drapelets pour dire bonne arrivée au président élu dans une ville où son parti dit avoir un siège à l’hémicycle. Le parti tente actuellement de voir s’il est possible de réorganiser une nouvelle visite afin de laver l’affront.
Cette visite a tout de même un mérite. Elle démontre à suffisance que depuis que monsieur Faure, l’ennemi numéro un de la ville, a effectué cette visite sans crainte, aucune arme ne circule plus à Sokodé. Par voie de conséquence, toute activité peut se faire sans que le ministre de la sécurité ait à craindre, donc l’opposition peut manifester sans craindre.
Leçons à tirer
Mesures d’apaisement, dite-vous ? Oui l’imam Al-Hassan Mollah et son frère Abd-Wahid de Bafilo sont libérés, on attend d’autres libérations, le plus grand nombre, elles se font désirer. Le tout s’appelle mesures d’apaisement pour une sortie de crise. Mais le Togolais d’aujourd’hui n’est plus celui d’hier. Les marcheurs savent désormais que ces arrestations et libérations à chaque crise sont devenues des prises d’otage qui permettent au régime d’avancer, le cas échéant, pendant que l’opposition est sur place.
Pour le moment, personne n’en fait un débat national, parce que ce qui s’est passé à Sokodé a été l’œuvre de ceux à qui on ne refuse rien. Mais cela ne nous empêche pas de poursuivre nos investigations et de vous en donner les infos qu’il est possible de publier en attendant un rapport en bonne et due forme. Le crime de Sokodé est trop gros pour passer par pertes et profits. A moins qu’on nous en donne la preuve contraire, l’opinion retiendra que, afin de conserver son pouvoir vacillant, le ministre togolais de la défense, Faure Gnassingbé, a envoyé la main d’œuvre de son entreprise familiale, l’armée, pour faire feu de tout bois à Sokodé. C’était la politique de la terre brulée. Ce qui s’est passé démontre indirectement l’animosité que les auteurs avaient pour ces localités avant même la crise en cours. Si Faure a envoyé ses hommes terroriser, c’est normal qu’il vienne contrôler son chantier après le passage de l’ouragan. Monsieur le président, pour notre sécurité, nous ne pouvons décrire dans ces colonnes ce qui s’est réellement produit dans la ville que vous avez visité ce samedi-là. Les lignes précédentes ne sont que la face visible des atrocités. Apparemment, bien que vous soyez le premier bénéficiaire de ce crime à grande échelle, vous n’avez pas les détails de ce qui s’est produit sans quoi vous ne serez pas allé à Sokodé. Vous arrivez à Sokodé, un Samedi après-midi pour être accueilli par qui ? Votre parti a un élu dans cette ville, donc une partie des habitants a dû porter la voix sur vous. Mais les militaires n’ont fait aucune distinction entre les habitants de la ville. Tout ce qui ressemble à une créature de Dieu a été soumis à la volonté de vos hommes. Avant, quand bien même ces villes sont des bastions de l’opposition, il existait encore des poches de nostalgiques de l’ordre ancien qui soutenaient le régime, mais vos militaires ont réussi à mettre tout le monde désormais dans le camp des contestataires. «Tel qu’on fait son lit, on s’y couche». Si c’est vous qui aviez ordonné ce qui s’est passé à Sokodé aux militaires, ils ont fait dans la démesure, rien ne peut vous réconcilier avec ces populations. Vos militaires ont réussi l’exploit de faire des réfugiées dans un pays qui ne connait, ni guerre civile, ni agressions extérieures, ni rébellion. A bien regarder, vous êtes entre deux feux, la contestation que rien ne peut désormais arrêter et vos hommes de terrain. Plus loin, on peut même supposer que ceux qui ont travaillé dans votre champ, sont allés au-delà de la simple méchanceté gratuite, et leur acte peut être analysé comme une volonté d’exagération afin de trouver un subterfuge pour précipiter votre mise en touche. Vos officiers bourreaux de Sokodé, Mango et Bafilo doivent être fiers d’une mission accomplie, ils méritent d’ailleurs une imminente décoration. Mais aux yeux des esprits avertis, le quotidien de l’officier supérieur qui a terrorisé Sokodé, général de son grade, ressemble désormais à la vie d’un adolescent qui, habitué à mouiller la natte, pense que l’urine fait partie de chaque sommeil. Du coup, alors qu’il se moque des camarades de classe, les mouches font la ronde de sa culotte bien trempée. Bon à suivre.
Abi-Alfa
Source : Le Rendez-Vous N° 319 du 14 décembre 2017
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