Togo : Grande morosité au Port Autonome de Lomé.

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Baisse d’activites. Recul des recettes. Mauvaises performances. Grogne des operateurs.  Que se passe -t-il au juste Port Autonome de Lome ?

Le Port Autonome de Lomé (PAL), malgré son avantage naturel faisant de lui le seul en eau profonde de la sous-région, et  la modernisation de ses installations favorisant une réduction des délais d’attente des navires en rade ainsi qu’une augmentation des cadences de débarquement et d’embarquement, est confronté au mécontentement de ses acteurs. En cause, des réformes mal conçues ou inefficacement menées qui plombent leurs performances et impactent sur leurs chiffres d’affaires. Sont épinglés l’Office Togolais des Recettes (OTR), SEGUCE, ANTASER etc.  Mais également un contexte international qui désavantagerait notre pays, dans un environnement très concurrentiel. Quelle est la situation d’un des poumons de l’économie togolaise ? Focus Infos a enquêté !

Togo : Grande morosité au Port Autonome de Lomé.

Pour avoir une idée de l’état des activités au PAL, nous avons consulté les statistiques compilées à sa direction, en prenant comme référence le trafic conteneurisé et pour unité de mesure, l’équivalent vingt pieds (EVP). Ces chiffres démontrent que pour l’importation, l’Extrême-Orient avec les pays comme la Chine, la Corée ainsi que certains autres d’Asie du Sud  représente 46% du trafic à destination de Lomé, suivie de l’Europe avec 32%, du Moyen-Orient 12%, d’Amérique du Nord 4% d’Amérique du Sud 3%. Le commerce intra-africain fermant la marche avec moins de 3% du trafic. Le PAL exporte également principalement et dans l’ordre vers l’Extrême-Orient, le Moyen-Orient, l’Europe et l’Afrique.

Togo : Grande morosité au Port Autonome de Lomé.

De fait, ainsi que le montre le tableau ci-dessus, le trafic général des conteneurs équivalent vingt pieds a baissé en 2016 de 2% par rapport à 2015, passant  113 274 000 à 110 695 000.  Sur deux ans (2014-2016), c’est une baisse de 8%, une diminution de 120 782 000 à 110 695 000. A l’exception des marchandises provenant d’Amérique du Nord avec lequel le trafic a progressé de 15%, toutes les autres routes ont connu une baisse entre 2015 et 2016 : – 11,46% pour l’Océanie, 2,4% pour l’Extrême Orient, -1,99% pour le Moyen Orient, -0,76% pour l’Europe, -15,22% pour l’Amérique Latine. C’est le commerce inter-africain qui a le plus pâti, avec un recul de -20% du trafic conteneurisé.

Comparée à 2014, la baisse concerne l’Extrême Orient -15,84%, le Moyen-Orient – 9,82%, l’Europe – 0,78%, l’inter-africain -13,86% ; tandis que l’Océanie +11,2% et l’Amérique Latine +47% ont plutôt progressé.

Au final, avec l’arrivée du 3è quai du groupe Bolloré et l’installation de  Lomé Container Terminal et en dépit des différents investissements, le décollage tant attendu n’est donc pas au rendez-vous. Au grand dam des opérateurs et pour plusieurs raisons.

Quand le Nigeria éternue….

Depuis le 20 juin dernier, la Banque centrale du Nigéria a décidé  de laisser flotter sa  monnaie nationale le naira, entraînant de facto une dévaluation de celle-ci. La chute des cours mondiaux du pétrole, qui compte pour environ 70 % des revenus et 90 % des réserves de devises étrangères du Nigeria, a plongé la première économie d’Afrique dans une crise économique et financière majeure.

Dans un pays dépendant très largement des exportations du brut, les devises étrangères se sont mises à manquer, entraînant une chute du naira au marché noir.

Mais les autorités avaient décidé, depuis mars 2015, de maintenir le taux de change officiel à 197-199 nairas pour un dollar ;  le  président Muhammadu BUHARI considérant  qu’une dévaluation tuerait la monnaie nigériane, avant de se rallier à finalement à cette option.

Si la plupart des chefs d’entreprise nigérians ont applaudi la  mesure, estimant qu’elle va attirer des investissements étrangers dont le pays a grandement besoin, et stimuler l’activité économique  – et notamment favoriser les importations -, au ralenti à cause du manque de devises étrangères, ce n’est pas le cas chez ses voisins, immédiats ou lointains, selon l’adage populaire, quand le Nigéria éternue, ses voisins s’enrhument. De fait, tous les pays dépendant des échanges avec le géant de la sous-région sont touchés  de plein fouet par la chute du naira.

Celui-ci qui s’échangeait autour de 3FCFA avant la décision, équivaut aujourd’hui à 2FCFA au taux officiel. Résultat, la destination Lomé comme les autres ayant de fortes relations  avec le Nigéria est moins intéressante pour les commerçants de ce pays. Les véhicules d’occasion importés d’Europe ou d’Amérique via le port de Lomé  sont devenus moins compétitifs. Et les recettes douanières et fiscales connaissent donc une chute. Cet opérateur installé dans la zone portuaire confirme la tendance et schématise : «  la chute du naïra entraîne de facto un renchérissement du coût chez nous. Prenons cet exemple : les commerçants  déchargeaient leurs marchandises à Lagos à 500 nairas et à Lomé à 1 500FCFA  quand le premier faisait 3 FCFA. Aujourd’hui, ils déchargent la même marchandise à Lomé toujours à 1500 FCFA, sauf que 1 naira ne fait plus qu’un 1,5 FCFA. Pour quelqu’un qui fait les affaires entre les deux pays, cela ferait 750 nairas à débourser au lieu des 500 il y a quelques mois. Autant rester à Lagos pour baisser ses coûts » «  Le Nigéria est devenu donc plus compétitif pour les commerçants qui venaient à Lomé acheter ou faire transiter les marchandises par le port » résume-t-il.

Charge de trop a l’essieu pour les transporteurs

Outre la chute du naira, pour expliquer les difficultés du PAL, beaucoup d’opérateurs mettent en cause l’application du règlement n°14/2005/CM/UEMOA relatif à l’harmonisation des normes et des procédures du contrôle du gabarit, du poids et de la charge à l’essieu des véhicules lourds de transport de marchandises dans les Etats membres.

Cinquante et un (51) tonnes. C’est désormais le poids total autorisé  en charge (PTAC) pour les véhicules lourds T12  S3 (couramment appelés 2 ponts, 3 essieux) circulant sur le réseau routier revêtu de l’Union contre 59 pour les véhicules articulés destinés au transport d’hydrocarbures.

Le  T11 S3 (1 pont 3 essieux) ne peut aller au-delà de 43 tonnes  de PTAC Les camions de moindre gabarit, eux, devront se contenter en fonction de leur capacité d’un tonnage total qui varie entre 18 et 38 . En plus, la répartition de la charge est bien déterminée par essieu.

Il est fixé une amende de 20 000 F CFA/tonne supplémentaire en transport interne et de 60 000 F CFA/tonne supplémentaire pour le transport international. A cela, s’ajoute le délestage systématique du surplus.

L’objectif affiché de ces dispositions est de préserver la qualité des infrastructures routières dans la zone UEMOA et surtout de sécuriser l’activité du transport. Si cette norme a été votée en 2005 à Bamako dans l’espace CEDEAO avant d’être adoptée par l’UEMOA dans les années 2010 à un intérêt certain, son entrée en vigueur n’est pas uniforme dans les Etats. En choisissant de respecter le règlement, le Togo quoique bon élève, a plombé sa compétitivité, entraînant le départ des clients du PAL  vers ses concurrents.

Les chiffres le démontrent. La baisse du trafic a été observée avec l’application effective du règlement N°14. Lorsqu’on prend la période de juillet à novembre 2016, au cours de laquelle par exemple la LCT a été obligée  de respecter   et de se conformer comme BOLLORE à cette norme, on note un recul important du nombre de conteneurs équivalent vingt pieds arrivant au PAL par rapport à 2015: -29% en juillet, -10% en août, -19% en septembre, -9% en novembre, -19% en décembre ; même s’il y a eu l’ exception d’octobre avec une progression de 15%.

En novembre, le Togo a décidé d’assouplir l’application du règlement en appliquant une tolérance de 15%, sans que pour autant cela impacte sur la reprise pour l’instant. «  Il faudra davantage pour demander à ceux qui sont partis de revenir » explique un transporteur.

Non Attractif

Selon des opérateurs que nous avons interrogés, ces difficultés sont cependant conjoncturelles et le problème de Lomé est davantage plus profond. Ils pointent du doigt son manque d’attractivité, au regard même de la gouvernance économique.

Ils regrettent le relèvement du niveau des indices douaniers qui fait augmenter les coûts, la méthode musclée et jusqu’au-boutiste doublée d’absence de recours de l’Office Togolais des Recettes, consistant à harceler  les entreprises pour atteindre ses objectifs en lieu et place du nécessaire élargissement de l’assiette fiscale. «  Ces méthodes font fuir plusieurs opérateurs » confirme ce Franco-Togolais qui voit son chiffre d’affaires en chute libre.

En cause également, ANTASER à laquelle est reproché une mise en œuvre sans concertation qui a de plus renchéri les coûts de la destination du port de Lomé, de même que les complications des transactions toujours par l’OTR.

Si les engagements comme l’ouverture 24H/24 et 7j/7 du PAL qui ne sont pas respectés sont aussi pointés du doigt, c’est sur la vision économique d’ensemble que certains s’interrogent.

Ils dénoncent tout aussi le manque de mise en œuvre d’un code d’investissement attendu depuis des années et qui anéantit les velléités  d’investissement pour assurer une résilience efficace. «  Sans oublier le refus d’un dialogue sain entre le public et le privé, la tendance à circonscrire le secteur privé dans un rôle périphérique et de clochardisation qui n’encourage pas l’investissement durable et réduit les capacités de l’environnement économique à grossir » note un investisseur.

Source : [28/01/2017] Focus Infos

27Avril.com