« Tant vaut l’école, tant vaut la nation », dixit feu Gnassingbé Eyadéma. Paradoxalement sous le règne de la dynastie, l’éducation demeure le parent pauvre des secteurs prioritaires de l’Etat.
Entre manque de ressources humaines et de cadres appropriés pour l’épanouissement des apprenants, l’éducation togolaise s’engouffre dans un trou abyssal. Les établissements scolaires publics, dans la quasi-totalité des régions du pays, se trouvent dans un état « critique ». Le cas de la région des Savanes est plus symptomatique. Un récent séjour dans la localité nous a permis de découvrir des « écoles sans abris », qui manquent pratiquement de tout.
Des écoles de fortune
La majorité des établissements scolaires publics de la région des Savanes ont en commun un trait particulier. C’est l’existence de quelques salles de classes de fortune. On retrouve par endroits quelques-unes faites en terre battue, mais le reste est constitué de vieux bâtiments scolaires construits par l’Etat ou par certaines Organisations non gouvernementales. Les plus récentes sont rares. Elles sont comptables sur le bout des doigts. Le constat est le même dans les cinq préfectures qui composent la région.
Les salles de classes où étudient les élèves sont tout, sauf décentes. Elles sont construites bien souvent de façon manuelle par les parents d’élèves. Ce sont des palmes de rônier et des tiges de mil qui constituent les matériaux de construction les plus utilisés. Elles ne présentent aucune garantie de sécurité pour les élèves et les enseignants. Dans un contexte où tout laisse penser à un abandon total de l’éducation par les autorités gouvernementales, les communautés elles-mêmes prennent leurs responsabilités pour offrir un cadre, aussi précaire soit-il, à leurs enfants. Les bâtiments construits par l’Etat remontent à Mathusalem, alors que les effectifs des écoles augmentent considérablement au fil des années. « L’éducation est confrontée à d’énormes problèmes au Togo en général, et particulièrement dans la région des Savanes. Nous manquons de tout. Mais en premier lieu, des salles de classes. Il faut d’abord des salles de classes décentes pour que les élèves et les enseignants se sentent à l’aise. Mais, il est triste de voir que la majorité des écoles, surtout primaires souffrent d’un déficit de blocs scolaires. Chez moi ici, l’Etat n’a construit que trois salles de classes qui se retrouvent d’ailleurs dans un état de délabrement avancé. Le reste des salles, ce sont les parents d’élèves qui les ont mises sur place. Dans ce contexte, l’épanouissement des enfants est remis en question », confie sous le sceau de l’anonymat un Directeur d’une école primaire publique de la préfecture de Tone.
La situation est manifestement plus préoccupante à certains endroits dans la région. Par exemple dans le village de Nano, la plupart des écoles que nous avons visitées, ne disposent pratiquement pas de blocs scolaires modernes. Elles sont constituées de vieilles «cases » comparables à de véritables poulaillers, dont certaines peuvent s’effondrer à tout moment sur les élèves.
Les moins chanceux sont contraints d’étudier à l’air libre ou sous des arbres. A l’EEP Kourdjoak, située à 17 km de Dapaong les élèves de CP1 étudient sous des arbres. « Ma classe, c’est sous ces trois arbres. A ciel ouvert. Les enfants sont sous le soleil. Ils sont au nombre de 25 dont 15 filles. Les conditions de travail sont pénibles. L’enseignant n’a pas de place. Le tableau est soutenu par un arbre et un banc. Je suis obligé de déplacer les bancs à tout moment par rapport à la position du soleil. Les enfants sont sous le soleil, subissent la chaleur et autres », décrit l’enseignant qui tient cette classe. « Quand il pleut, ce n’est pas à quelqu’un de nous dire de fuir », a-t-il ironisé malgré son air triste.
Ces élèves de CP1 de l’EPP Kourdjoak n’ont pas d’abris, mais ont néanmoins quelques tables-bancs sur lesquelles ils s’assoient. D’autres par contre n’ont pas cette chance. Ceux-ci sont obligés soit d’apporter leurs tabourets de la maison, soit de s’entasser sur des branches. Que ce soit dans les préfectures de Cinkassé, de Kpendjal, de l’Oti, de Tandjouaré, ou encore dans le Tone, la situation est la même.
Des risques évidents
Le tableau de la situation des écoles publiques de la région des Savanes, tel que peint, laisse transparaître des risques évidents pour les élèves et pour les enseignants. La majorité des écoles étant nichée dans des zones où on retrouve également des forêts, les élèves ne sont pas à l’abri des animaux sauvages et surtout des reptiles. « Parfois, vous pouvez être en plein cours et soudain, des reptiles surgissent dans les salles de classes. Naturellement sous le choc, les élèves se bousculent. C’est la débandade totale par moments. Certains enfants se blessent gratuitement. Au moins ceux qui sont dans des classes bien protégées courent moins de risque. Imaginez un enfant de 8 ans qui se retrouve en classe avec un serpent, il ne peut pas supporter ça. J’ai personnellement assisté à ce genre de scène plusieurs fois et ce n’est pas fameux », assure un enseignant.
Les élèves, quant à eux, assistent impuissants à ce drame quotidien. Ils sont à la merci des caprices de la nature.
L’état de délabrement avancé des salles de classes fait qu’il y a certaines qui s’écroulent régulièrement soit sur les élèves soit à des heures creuses. « En cours d’année, nous perdons des paillotes qui abritent certaines classes. Nous sommes obligés de refaire appel à la communauté ou aux parents d’élèves pour qu’ils en refassent d’autres. Telle est la situation à laquelle nous sommes confrontés. Encore que sur le plan académique, c’est un véritable casse-tête », affirme un Directeur d’école.
Des écoles [EV]nisées
Les enseignants qui officient dans la majorité des écoles de la région des Savanes sont des EV (Enseignants Volontaires). A tous les niveaux donnés, il en existe une pléthore. Dans certaines écoles visitées, nous avons dénombré sur un total de 13 enseignants, plus de 10 qui sont des volontaires. Cette situation est due au fait que certains enseignants sont réfractaires à leur affectation dans ces zones reculées, qui manquent d’ailleurs de tout.
Pour pallier cette situation, les communautés recrutent souvent des « frères de villages », qui ont atteint un niveau d’études acceptable. Ceux-ci ont pour mission d’entretenir « en attendant», les élèves avant que l’Etat n’envoie des enseignants titulaires. Malheureusement, ils restent durant des années dans ce statut. Certains, par chance, arrivent à être recrutés dans la fonction publique. Quant aux moins chanceux, ils vivent toujours dans l’espoir d’un lendemain meilleur.
Ces enseignants vivent dans une précarité insolente. Leurs conditions de travail sont assez désastreuses. En plus, ils croupissent sous le poids d’une misère effroyable avec des salaires dérisoires payés par les communautés. Certains s’en sortent avec 10.000F CFA au plus par mois, et d’autres moins. Le recyclage de ces enseignants est une autre paire de manches.
Il faut agir !
La situation de l’éducation dans les Savanes est très problématique. L’absence voire l’abandon de l’Etat est pallié(e) en partie par certaines ONG présentes dans la région. Elles apportent leurs contributions bien qu’insuffisantes. Des écoles ont d’ailleurs été construites entièrement par certaines de ces organisations. Conscients, certains directeurs d’écoles, enseignants et parents d’élèves ont profité de notre passage pour envoyer des messages aux gouvernants. Comme ce responsable d’établissement scolaire : « Aucune nation ne peut se développer tant que l’éducation ne se porte pas bien. Dans les Savanes, nous ne disposons pas d’infrastructures adéquates pour assurer une éducation de qualité aux enfants. Nous disposons des effectifs pléthoriques alors qu’il n’ y a même pas de bancs pour que les élèves s’asseyent confortablement. Nous savons qu’il y a des priorités pour le gouvernement, mais notre situation est plus lamentable que dans les autres régions du pays. Il faut que le gouvernement mette un plan en œuvre pour redonner vie aux établissements scolaires dans les Savanes. La situation des EV est aussi préoccupante ».
Pour les enseignants, c’est l’urgence d’un programme de recyclage qui est plus préoccupante. « Il faut que les autorités portent un regard sur nous afin qu’en retour, nous puissions aider nos frères », souhaite un enseignant volontaire de l’EPP Nagré II.
Le fardeau de la prise en charge des EV et même de la construction de certains établissements devient de plus en plus lourd pour les parents d’élèves. Ils vivent toujours dans la crainte puisqu’ils ne sont pas certains que leurs enfants reviennent sains et saufs de l’école vu les risques qu’ils encourent. Ils lancent un cri d’alarme à l’endroit des décideurs pour que dans les années à venir, « quelque chose » soit fait…
Source : Shalom Ametokpo, Liberté No.2425 du 25 avril 2017
Situation similaire ou pire dans certaines localités au sud du pays. Ci-dessous l’exemple de Sémanoukopé à 140 kim de Lomé.
Vidéo : La Gazette du Togo
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