Togo, Grand reportage : Agbonou à Atakpamé, le carrefour de la vie et de la mort.

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La plupart des véhicules, privés comme transports en commun, qui empruntent la Nationale N°1 pour la partie septentrionale du Togo font souvent une escale de quelques minutes au carrefour d’Agbonou à Atakpamé pour permettre aux passagers, soit de se déshydrater ou de s’acheter quelques friandises avant de reprendre la route. C’est aussi le cas pour les véhicules qui font le chemin inverse.

Agbonou est sans doute d’un des carrefours commerciaux les plus connus du Togo compte tenu de son animation toujours ininterrompue. Les bonnes dames et autres vendeurs ambulants y vendent presque tout : fruits, poissons, pain, nourritures de résistance etc. Agbonou « vit » 24h/24. Malheureusement, ce carrefour est aussi connu pour les accidents qui s’y produisent régulièrement. Plusieurs cas d’accidents mortels ont été enregistrés à ce carrefour ces dernières années. La faute à l’état catastrophique de la route mais aussi à l’absence des feux de signalisation. Les autorités municipales semblent manifester une indifférence « suicidaire » face à ces drames à répétition. Les bonnes dames et les riverains y assistent impuissants. Nous sommes allés à leur rencontre. Au travers des échanges, il est apparu que le problème va au-delà du naturel. Les activités commerciales ont brusquement chuté, les accidents se multiplient. Peut-être les cérémonies de purification devraient être étendues à ce lieu pour permettre un retour à la normale. Mais d’ici-là, il y a urgence !

Agbonou, de la gare ferroviaire à la gare routière

Agbonou, tout d’abord est le nom du quartier, l’un des plus connus à Atakpamé ( ville située à 160 km au nord de Lomé), chef-lieu de la Région des Plateaux. Ce quartier a naturellement donné son nom à ce carrefour qui, jadis était une gare ferroviaire. Il est limité au nord par le quartier Sada, au sud par Talo, à l’est par Koèroma et à l’ouest par Kéta. A l’époque de Togo-Rail, le train s’arrêtait à ce carrefour, d’où le nom Agbonou-Gare.

Littéralement, Agbonou signifie « Gare ». Ainsi, à la suite du déclin de Togo-Rail, et le développement bien que discutable de la nationale N°1, la Gare ferroviaire s’est progressivement muée en gare routière. Les activités commerciales ont continué de plus belle, puisque ce carrefour est le fruit du croisement entre la RN°1 et la RN°8 (route Atakpamé-Kpalimé). Agbonou est découpé en quatre sous-quartiers à savoir, Agbonou-Gare, Agbonou-CEET, Agbonou-Campement et Agbonou-Kpotamé.

Naturellement, certaines personnes qui ont vécu l’époque de la gare ferroviaire sont toujours nostalgiques de cette époque. « Le train passait régulièrement ici et c’était la belle époque. Tout marchait à merveille jusqu’au déclin du train. Je me souviens toujours de l’ambiance qui régnait ici comme si c’était récent. Mieux, on ne déplorait pas des morts par accident comme c’est le cas aujourd’hui », raconte un vieil homme rencontré à Agbonou.

Agbonou, le centre commercial par excellence

Comme mentionné plus haut, le marché d’Agbonou s’animait depuis la construction de la gare ferroviaire. Aujourd’hui, on y vend un peu de tout : les poissons de Nangbéto, les tubercules, les fruits, les céréales, de la viande, des boissons locales et autres. On y retrouve tout ce qu’on pouvait trouver dans les marchés ordinaires. Des boutiques et autres grands magasins se sont installés. A côté, nichent des paillottes et des hangars servant d’abris à certaines revendeuses, surtout de fruits et de poissons. Les vendeurs à la sauvette se comptent également par centaines. Ceux-ci ne ratent pas l’occasion pour se ruer vers des véhicules en escale, histoire d’écouler au plus vite leurs marchandises. Cette situation crée parfois des incidents avec des bousculades, mais, « c’est une affaire de rapidité. Si tu n’es pas habile, tu retourneras avec tes marchandises en l’état à la maison », confie une revendeuse de pain.

Ces personnes ; femmes, hommes, jeunes et moins jeunes qui animent nuit et jour ce carrefour sont organisés en coopératives. C’est avec elles que ces derniers parviennent à se maintenir, malgré la mévente et d’autres difficultés.

Le commerce des fruits et des poissons frits reste l’activité la plus prisée à Agbonou. Ils viennent tous de Nangbéto. Pour ce qui est des fruits, on retrouve beaucoup plus les bananes, les avocats, les ananas, etc. Les poissons sont aussi variés. On y vend entre autres, des carpes, des tilapias, des capitaines etc. Les femmes, naturellement, font l’éloge de leurs marchandises. « Nos produits sont naturels et très intéressants. Nos poissons sont les meilleurs du pays. Seulement, nous avons quelques soucis quant à leur conservation. Aussi certaines revendeuses indélicates vendent-t-elles des poissons avariés aux voyageurs. Ce qui ternit un peu l’image de notre carrefour. Mais, nous avons des clients qui viennent d’un peu partout, et nous recevons même des commandes depuis l’Europe », relate une revendeuse de poissons, assise devant son étal.

On retrouve également là, quelques bars où les voyageurs profitent des pauses- déjeuner pour manger, soit du fufu, de la pâte ou encore du riz, le tout accompagné de sauces locales, garnies de succulentes viandes de brousse.

Les bonnes dames éprouvent plusieurs difficultés dans l’exercice de leurs activités commerciales de tous les jours. Ce carrefour des activités informelles de prédilection, qui est aussi l’un des plus dynamiques du pays, ne profite plus tellement à ses «animateurs». Les femmes se plaignent de la mévente mais aussi de la pression fiscale qu’’exerce la municipalité sur elles.

Le carrefour de la mort

Le nombre de cas d’accidents enregistré au niveau d’Agbonou est considérable, même si nous n’avons pas une estimation archivée. Ces derniers temps, les accidents se multiplient, occasionnant au passage des morts et des dégâts matériels insoupçonnés. Le drame n’est pas seulement les victimes directes des accidents, mais l’inertie des autorités qui peinent à trouver des solutions face à ces tragédies.

Certains cas d’accident produits à Agbonou restent encore vivaces dans les esprits. On retient surtout celui qui a fait en début d’année 2016, plus de (sept) 7 morts, dont deux (02) femmes, sans oublier le nombre important de blessés graves. En effet, c’était un gros porteur transportant du charbon de bois et du bois de chauffe en provenance de Bafilo pour Lomé, qui avait dérapé au niveau du carrefour. Il avait balayé tout sur le flanc droit de la route, une place habituellement occupée par des conducteurs de taxi-motos ainsi que des revendeuses de fruits et poissons. Malgré la tristesse et la désolation qu’a suscitées ce drame, aucune mesure idoine n’a été prise pour parer à d’autres éventualités.

Le 5 juillet 2017, un autre gros porteur a aussi déraillé dans les mêmes conditions depuis l’hôtel Sahélien et a fini sa course au carrefour, après avoir parcouru des centaines de mètres. Heureusement, aucune perte en vies humaines n’est à déplorer. Néanmoins, il a ramassé tout sur son passage, renvoyant ainsi un Taxi sans passager directement au « Auto casse ».

Outre les accidents qui se produisent à cet endroit soit à cause de la vétusté des engins ou du mauvais état de la route, d’autres aussi sont survenus par la bêtise humaine. C’est le cas de la mort tragique d’un menuisier, le 16 avril 2017, jour de pâques. Ce dernier revenant de l’Eglise a été fauché par une voiture de la gendarmerie, laissant sa vie sur le champ.

Cet incident malheureux n’a pas laissé indifférente la population qui était très remontée. Certains avaient sous le coup de la colère, tenté de brûler le véhicule de la gendarmerie, mais les forces de l’ordre s’y étaient opposées, répliquant avec des tirs de grenades lacrymogènes.

Que faire face à l’hécatombe?

Les accidents à répétition au carrefour d’Agbonou ne peuvent aucunement être une fatalité. Ce qui est évident, c’est que l’état de la route à cet endroit est déplorable. Des nids de poules, voire d’éléphants sont visibles un peu partout sur la route. Pas de feux de signalisation. Les riverains à leur niveau ne peuvent pas grand-chose. Mais, les autorités municipales préfèrent quant à elles les plâtrages. « Pour les cas d’accident, il faut que la mairie s’en charge parce que c’est en pleine commune. Mais, ils préfèrent mettre du sable dans ces trous béants. Du coup, c’est la poussière qui envahit les riverains. Conséquence, plusieurs revendeurs sont tout le temps enrhumés », constate un habitant d’Atakpamé.

Pendant les périodes de pluies, c’est le désastre à Agbonou. L’eau de ruissellement ravage tout sur son passage. Les canalisations sont inexistantes. Mais, au-delà de toutes considérations, ces cas d’accident à répétition à ce carrefour, ne sont-ils pas causés par un «esprit » ? Cette question nous l’avions posée à certaines personnes. Et l’affirmative a prévalu.

D’ailleurs, plusieurs cérémonies de purification ont eu lieu à ce carrefour. Mais, selon certaines indiscrétions, la toute dernière n’a pas laissé de bons souvenirs. Il semblerait que le maître de cérémonie a pris la tangente après avoir découvert sur place un serpent à sept têtes et un tonneau qui «solliciterait » régulièrement du sang humain. Nous n’avions malheureusement pas pu recouper d’amples informations sur cet aspect de la chose. Mais, puisque le « mal » perdure, ne serait-il pas opportun de refaire d’autres cérémonies de purification, en impliquant cette fois-ci toutes les religions ? vivement !

Shalom Ametokpo

Source : Liberté No. du juillet 2017

27Avril.com