Togo, Grand Reportage : A Gbodjomé, l’océan dévore tout…

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Ce puits isolé à proximité de l’océan sur la photo ci-dessus appartient à un notable dont la maison a été engloutie par la mer à Gbodjomé, une localité située à 25 km à l’Est de Lomé, la capitale togolaise. Mais ceci n’est autre que la partie émergée de l’iceberg. Un tour dans ce village permet de constater la gravité du phénomène de l’érosion côtière.

Togo, Grand Reportage : A Gbodjomé, l’océan dévore tout…

Nous sommes à Gbodjomé, il sonne 8 heures. Le village est très calme, si serein que les bruits des vagues fortes retentissent. Ces vagues rongent en permanence la plage qui se rétrécie dangereusement. L’espace littoral s’use au fil des minutes. Les conséquences en sont dramatiques. Des églises, maisons d’habitation, routes, écoles, champs et des marchés sont emportés par la mer. La pêche, la principale activité des villageois est menacée. Les barques se cassent et les filets sont constamment endommagés par les débris des habitations engloutis dans la mer. La célèbre place dénommée « Obama Beach » n’existe plus. Des familles sont déplacées mais elles vivent toujours dans l’angoisse de reculer. Les morts ne sont pas épargnés. Deux cimetières ont disparus. Selon les témoignages, parfois, la population ramasse les ossements humains rejetés par la mer.

«Depuis 2012, l’érosion s’est accentuée à Gbodjomé. Derrière vous, il y avait une immense plage avec des paillotes, des chambres et de l’autre côté, un village de pécheurs. Il y avait des constructions, l’océan a tout englouti », nous a déclaré Mme Muriel Margot, Présidente de l’Association Enfant Lumière, basée à Gbodjomé. Et au chef de la localité d’ajouter : « Mon village est victime d’érosion côtière qui a fait déplacer bon nombre de personnes qui n’ont plus d’endroit où vivre. Nous avons à plusieurs reprises interpellé le gouvernement mais rien n’est fait ».

A l’instar de Gbodjomé, environ une dizaine de localités située sur le littoral togolais sont dans la ligne de mire de la mer entre autres Avépozo, Kpogan, Kossi Agbavi, Dévikinmé, Agbodrafo, Goumoukopé, Agbata. Sur le littoral, la mer grignote la côte à une vitesse vertigineuse.

Selon M. Henri Gboné, Ex-président à la Commission Agriculture, Ressources Naturels et Environnement au parlement panafricain, « il y a fort à craindre que d’ici quelques années, ces villages connaissent de réels problèmes d’existence ».

Au cours de ces dernières années, les victimes de l’érosion montent au créneau pour dénoncer la situation. C’est ainsi que naissait le Collectif des Personnes Victimes d’Erosion Côtières (COPEVEC). Le collectif veut donc faire entendre sa voix pour que le gouvernement togolais trouve une solution idoine au problème de l’érosion et vienne en aide aux victimes, en les relogeant sur d’autres sites. L’autre enjeu consiste à solliciter des subventions de l’Etat pour les activités de pêche que la population n’arrive plus à pratiquer à cause de l’érosion. Mais à ce jour, le combat ne semble pas être gagné en dépit de la gravité de la situation.

En effet, les statistiques estiment que chaque année, la mer avance de 2 mètres sur les côtes togolaises. Une érosion qui se traduit par la perte de la superficie dans la zone côtière entraînant ainsi la démolition des habitations des communautés riveraines, la destruction par deux fois de la route nationale Lomé-Aného, de même que la destruction des structures hôtelières compromettant ainsi les investissements touristiques.

Le phénomène existe depuis les années 60 et s’explique par plusieurs facteurs

Au Togo, le phénomène de l’érosion côtière date des années 60, d’après les explications de M. Souleymane Abdel-Ganiou, environnementaliste à la Direction de l’environnement. « Le phénomène de l’érosion côtière concerne tous les pays de la côte atlantique. Le Togo n’est pas le seul pays touché, c’est un phénomène commun qui est plus accentué au niveau des côtes sableuses et dans notre pays, il date des années 60 ». a-t-il indiqué.

Pour l’environnementaliste, si des causes naturelles sont toujours évidentes, comme le vent, les courants, les marées, l’activité humaine est principalement pointée du doigt. On dénombre ainsi plusieurs facteurs d’érosion directement liés à l’homme.

« Les causes immédiates au Togo, étaient les travaux de construction du Port Autonome de Lomé. A l’époque, l’étude d’impact environnemental n’a pas été faite en bonne et due forme avant les travaux et le ministère de l’environnement n’existait même pas. La construction du barrage d’Akossombo est aussi incriminée. Pourquoi? Quand on a construit le barrage, on a fait un bassin pour avoir une retenue d’eaux. Mais étant donné que le sable sur le littoral provient du sable pluvial, c’est-à-dire des cours d’eaux, avec la construction du barrage, tous les sables qui étaient drainés par ces cours d’eaux sont stockés au niveau du bassin construit. Conséquence, il y a eu donc un déficit sédimentaire », a-t-il expliqué.

De l’influence de la construction du troisième quai

Le phénomène de l’érosion côtière s’est empiré au Togo avec la construction d’un troisième quai au Port Autonome de Lomé. Une situation qui entraîne une marée incontrôlable des vagues sur les côtes. Dame Dovi, une riveraine témoigne : « avant, on constatait l’avancée de la mer, mais depuis qu’on a construit le troisième quai au Port de Lomé, nous avons abandonné notre maison à cause des eaux qui se retournent contre nous», a-t-elle expliqué. Selon Yawo, un autre riverain, c’est la construction de ce quai qui est à la base de tous leurs « malheurs ».

Face à l’ampleur de la situation, ces riverains ne baissent pas les bras. Ils essayent des astuces pour juguler un tant soit peu le phénomène.

Du sable dans les sacs entreposés aux épis-puits

A Gbodjomé, les premiers artifices ont consisté à mettre du sable dans les sacs entreposés mais la dynamique des vagues était forte à tel enseigne qu’ils n’ont pu résister. « Nous prenons des initiatives pour freiner l’avancé de la mer. Nous avions commencé cela en 2013 avec des sacs de sables entourés de filets, malheureusement l’océan a mangé nos millions parce que cela nous a coûté des millions. Mais on ne s’est pas découragé pour autant et donc on a continué», a indiqué Mme, Muriel Margot Présidente de l’Association Enfant Lumière.

Depuis deux (2) ans, les populations ont construits sur la plage de Gbodjomé, des épis-puits d’une hauteur de 6 à 8 mètres, remplies de bétons et qui empêchent les vagues de ruiner la plage.

« Avant, la mer avançait à une vitesse vertigineuse et le trou qui est en train d’être fermé était très béant, des sédiments de sable se sont déposés. L’épi-puits retient le sable et empêche les vagues de ronger la côte. Ces épis nous permettent de garder le sédiment de sable et ils protègent les maisons qui sont à l’Ouest », a indiqué l’artiste de la chanson Sol X-Ray, habitant de Gbodjomé.

« C’est une expérience qui marche », a en croire cet artiste qui à travers la musique sensibilise contre l’érosion côtière et organise des concerts dont les bénéfices sont versés aux profits de la construction des épis.

Mme Margot Muriel en rajoute : « on devrait faire encore plus mais nous n’avons pas de gros moyens. Vous voyez, ce que nous avons fait nous aide. Le sable revient se poser au lieu que la mer l’emporte. Je pense que c’est une solution qui est prouvée durablement. Si on pouvait nous aider à continuer cela, nous allons freiner l’avancée de la mer ici. Si on pouvait nous aider, donner un peu de financement pour qu’on puisse avancer dans cet esprit vraiment, cela nous aidera. Je fais un appel au gouvernement, aux bonnes volontés, aux entreprises aux autorités pour qu’on puisse sauver notre littoral. Nous avons travaillé avec nos bras. Il nous suffisait d’avoir quelques engins pour renforcer ces initiatives locales».

Les stratégies au niveau national

Au niveau national, les initiatives ne manquent pas pour freiner l’avancée de la mère au niveau des côtes togolaises, depuis le début du phénomène, selon M. Souleymane Abdel-Ganiou, l’environnementaliste à la Direction de l’environnement. « Depuis les années 80, il y a eu des actions qui ont été faites entre autres des brise-lames et épis érigés pour sauvegarder certaines infrastructures sociaux économiques notamment l’Office Togolais des Phosphates (OTP) dans le temps et la cathédrale d’Aného », a-t-il indiqué.

« Plus tard, entre 2010-2011, l’Union Economique Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) sur la demande de l’Etat togolais avait alloué des financements pour qu’on puisse enrayer le phénomène dans certains endroits qui sont très sensibles », a-t-il poursuivi.

Aussi, le gouvernent a-t-il, dans le cadre du Programme National d’Investissements pour l’Environnement et les Ressources Naturelles (PNIERN) réalisé des ouvrages de protection du littoral d’Aného qui étaient réceptionnés le 25 avril 2014 par le Président de la République, Faure GNASSINGBE. D’un coût global de 3 milliards de F CFA, le projet a permis la réfection des berges de l’embouchure du Lac-Togo ainsi que la stabilisation du littoral entre Aného et Goumou Kopé à 47km à l’Est de Lomé.

En outre, selon la direction de l’environnement, l’année dernière avec l’aide de la Banque Africaine de Développement (BAD), le gouvernement a recruté un cabinet français pour faire une étude de modélisation. « Après cette étude, les experts vont nous dire que lorsqu’on a tel évènement, voilà comment se comportent les vagues et voilà comment il faut orienter les ouvrages », a fait savoir M. Souleymane Abdel-Ganiou.

Pour ce dernier, seule cette étude permettra d’élaborer un programme efficace de protection du littoral. Mais à quand l’aboutissement de l’étude, la réponse à cette question n’est pas donnée par l’expert. Toutefois, certains acteurs proposent d’ores et déjà des pistes de solutions indispensables pour « sauver le littoral ».

Il faut « une synergie d’action », « construire des digues » ou encore « recharger les côtes »

Tout citoyen du plus petit au plus grand doit être impliqué dans la lutte contre l’érosion, selon M. Iréné Napo, Délégué National du Parti Afrique Togo Ecologie. « C’est un défi pour le peuple togolais, béninois, ghanéens et tous les pays qui sont sur le littoral. C’est cette synergie qui pourra permettre à ce qu’on trouve des approches de solutions qui doivent faire appel à beaucoup de partenariats notamment techniques et financiers », a-t-il affirmé, tout en proposant au gouvernement de chercher la technicité vers les pays nordiques, c’est-à-dire les pays scandinaves notamment la Finlande, le Danemark la Norvège et les pays bas qui ont fait leur preuve dans la lutte contre l’érosion côtière.

Pour M. Quelin Guillaume‎, Chargé de mission Environnement-Gouvernance à l’‎Ambassade de France au Togo, il faut une coordination régionale et diminuer l’impact des populations qui subissent l’érosion côtière. « A mon avis, l’érosion côtière un phénomène régional global et donc une action concertée au niveau régional sera efficace puis que si le Togo ou le Ghana fait des actions isolées, cela peut avoir des conséquences pour les populations au niveau des autres pays de la région. Et donc il faut une action régionale. Il faut aussi diminuer l’impact des populations qui subissent l’érosion côtière en essayant de trouver des solutions pour adapter leur milieu à ces changements climatiques donc cela peut passer par un réaménagement urbain, une relocalisation ou une aide pour que ces populations puissent survivre économiquement à ces problèmes ».

De son côté, M. Adoté Blim Blivi, professeur de Géographie à l’Université de Lomé estime que la seule solution possible à l’heure actuelle consiste à recharger les plages. «Il faut recharger les plages. Ce sont des conditions qui existent, d’autres pays utilisent ces approches, cela permet de résoudre le problème», conseille le géographe.

Pour d’autres encore, la construction des digues tout au long de la côte s’avère incontournable. Elle va permettre une circulation libre des eaux et éviter à la mer de ronger la côte.

Tout compte fait, une chose est évidente. Il urge qu’on vienne à bout du phénomène, si tant est que le gouvernement veut atteindre à l’horizon 2030, le 13ème Objectif de Développement Durable qui consiste « à prendre des mesures d’urgence pour lutter contre les changements climatiques et leurs répercussions ».

Hélène Doubidji

Source : Togo Top News

27Avril.com