Quel bilan dressé du passage du Togo devant le Conseil des droits de l’homme de l’ONU lors de l’Examen périodique universel (EPU) ? C’est à cette question que Ghislain Koffi Nyaku, Directeur exécutif du Collectif des associations contre l’impunité au Togo (CACIT) a répondue au micro du confrère Societecivilemedias. Lire son interview.
Le Togo vient de passer l’examen périodique universel, en quoi consiste cet examen ?
L’Examen Périodique Universel (EPU) est un mécanisme unique du Conseil des droits de l’homme ayant pour but d’améliorer la situation des droits de l’homme dans chacun des 193 États membres des Nations Unies. C’est un mécanisme d’évaluation entre les pairs, c’est-à-dire entre les États. La société civile, les institutions nationales des droits de l’Homme comme la CNDH pour le Togo, les organisations internationales et autres parties prenantes participent également au processus par la soumission des rapports alternatifs assortis de recommandations. Le Togo, participe pour la troisième fois à cet examen, après l’échéance de 2011 et celle de 2016.
Quelle a été votre contribution, en tant que société civile, pour la réussite de cet examen ?
Avec la collaboration de UPR Info, une organisation basée à Genève, la société civile togolaise s’est fortement mobilisée pour la réussite de cet examen. Dans un premier temps, une consultation nationale a été organisée du 28 au 30 avril 2021 à Lomé. Elle a regroupé 55 organisations de la société civile et médias. Au cours de cette consultation, six (6) groupes thématiques ont été mis en place, à savoir : Droits civils et politiques ; Droits économiques sociaux et culturels ; droits des Enfants ; droits des Femmes ; Droits des groupes Vulnérables ; Droit des défenseurs des droits de l’Homme. Un autre groupe de travail a permis d’avoir un autre rapport thématique intitulé « Corruption, entreprises et droits de l’Homme ». Ainsi, le CACIT a coordonné l’élaboration de 07 rapports thématiques, 01 rapport principal ainsi qu’une matrice d’évaluation des recommandations de 2016.
Il faut souligner qu’au moment de la validation des rapports en juillet 2021, les acteurs étatiques, certains services publics et institutions nationales notamment la CNDH ont été associées. C’est dire que le processus a été participatif et inclusif en vue d’avoir des informations objectives, crédibles et actualisées. Naturellement, à la fin de ce processus, il revenait à la société civile de faire ses propres recommandations.
Après la soumission des rapports, la CNDH, le CACIT et UPR Info ont organisé en novembre 2021 une pré-session à Lomé avec les missions diplomatiques et les acteurs de la société civile. Le but était de mener des plaidoyers auprès de ces diplomates, en vue de faire des recommandations pertinentes au Togo. Ensuite, une rencontre d’informations sur l’EPU a été organisée à l’endroit des parlementaires. Enfin une autre pré-session a été organisée par les collègues de UPR Info en ligne depuis Genève.
Quelle est votre appréciation du déroulement du passage du gouvernement togolais à l’EPU ?
Lors de l’examen, nous avons suivi avec intérêt les différentes interventions notamment celles de la délégation togolaise et des États examinateurs. Nous saluons le fait que la question des libertés fondamentales notamment la liberté de manifestation et de réunion, la liberté d’expression, la situation des défenseurs, fassent partie intégrante du dialogue. Les États examinateurs ont aussi relevé les défis liés à l’impunité, aux conditions de détention, à la torture et mauvais traitements, aux personnes détenues en lien avec la situation socio-politiques, à l’indépendance de la justice, à la corruption, à la santé, au niveau de vie des populations, à l’égalité homme-femme ainsi que les groupes vulnérables et marginalisés, etc. C’est la preuve que la plupart des préoccupations contenues dans nos rapports ont été prises en compte. Il est également important de noter les efforts reconnus par les États examinateurs au niveau social, la protection du droit de la femme, la scolarisation de la jeune fille, le travail des enfants, la gratuité de l’enregistrement des naissances et autres. Quand on sait que 89 États se sont prononcés pendant l’examen, l’on peut reconnaitre et saluer le travail remarquable fait par la société civile en matière de plaidoyer pour permettre à l’État togolais d’avoir un dialogue constructif avec ces pairs.
Toutefois, nous déplorons, qu’au cours de ce dialogue, la délégation togolaise n’ait pas donné des réponses concrètes sur des situations connues de tous les citoyens. Par exemple, sur la question de l’impunité, l’État aurait pu reconnaitre que de réels défis sont à relever dans ce domaine. En effet, en ce qui concerne le CACIT, pour la période de 2012 à 2019, 32 plaintes pour allégations de violations des droits de l’Homme et des actes de torture et mauvais traitements ont été déposées devant les juridictions nationales À ce jour, aucune de ces plaintes n’a été instruite, ceci malgré la transmission des copies de décharge aux autorités compétentes au lendemain du passage du Togo devant le comité contre la torture.
En outre, des recours hiérarchiques, notamment pour des cas de mineurs, ont été introduits et des dialogues ont été menés avec les autorités sur ces sujets en vue de situer les responsabilités. En juillet 2021, la cour de justice de la CEDEAO a rendu 02 décisions de condamnation de l’État togolais pour torture et mauvais traitements. Le CACIT a été soutenu dans ces démarches par l’Organisation mondiale Contre la Torture (OMCT). Le cas d’une dame qui a subi des actes de torture et mauvais traitements lors des manifestations de l’opposition en 2017 est désormais un secret de polichinelle. Il faut aussi relever que l’État n’a pas été assez clair sur les défis liés à l’amélioration des conditions de détention, qui demeurent assez préoccupantes.
Il faut aussi rappeler que dans le cadre de la gestion de la pandémie liée au Covid-19, de graves violations des droits de l’Homme ont été constatés avec des décès, des allégations sérieuses de tortures et mauvais traitements. En son temps, plusieurs organisations, dont le CACIT, avaient interpellé les plus hautes autorités pour prendre les mesures idoines en vue de prévenir les violations. Le ministre de la sécurité avait fait une intervention en ce sens et le chef de l’État a su prendre la décision de changer le commandement de la force mixte anti-Covid, FOSAP. Face à cette situation, des plaintes avaient encore déposées. C’est donc étonnant de constater que la délégation togolaise n’ait pas relevé ce qui était déjà connu du domaine public.
Mais, en tout état de cause, le dialogue a été assez diplomatique et les États examinateurs ont su relever les défis liés à la situation des droits de l’Homme voire au développement humain dans son ensemble au Togo.
Quelle lecture le CACIT fait des recommandations faites au Togo par les États ?
Pour l’heure, nous comptons 224 recommandations faites à l’État togolais contre 195 lors de son précédent passage en 2016. Cette augmentation démontre qu’il y a un réel intérêt des États pairs pour l’amélioration de la situation des droits de l’Homme au Togo.
Les recommandations ont été faites à la lumière des défis relevés par les États pairs notamment les libertés fondamentales comme la liberté de manifestation et de réunion, la liberté d’expression, la situation des défenseurs, l’impunité, les conditions de détention, la torture et mauvais traitements, les personnes détenues en lien avec la situation socio-politiques, l’indépendance de la justice, l’aboutissement des enquêtes ouvertes, la corruption, la santé, le niveau de vie des populations, l’égalité homme-femme ainsi que les groupes vulnérables et marginalisés (les personnes handicapées, les LGBT, etc.). Naturellement, il revient à l’État togolais d’accepter les recommandations pertinentes de manière objective. L’État a aussi la possibilité de noter certaines recommandations, c’est-à-dire de ne pas les accepter. Notre plaidoyer, c’est que l’État accepte le maximum de recommandations.
Nous aurions souhaité que les États accentuent leurs interventions en faisant des recommandations beaucoup plus soutenues sur la question de l’impunité, des personnes détenues en lien avec la situation politique, la mise en œuvre des recommandations et avis des mécanismes de protection des droits de l’Homme relativement à la libération de certains détenus ou à la révision de la loi sur les manifestations publiques et pacifiques, des enquêtes sur les cas d’allégation de torture et de mauvais traitements ainsi que des actes de corruption. Il est vrai que l’EPU est un mécanisme à forte connotation diplomatique, mais ces sujets qui ne sont pas assez pris en compte sont incontournables pour l’amélioration de la situation des droits de l’Homme.
Quel est le rôle de la société civile avant et après l’adoption des recommandations finales à l’EPU ?
L’État togolais a reçu les recommandations provisoires formulées et compte répondre d’ici avril 2022, en tout cas avant la prochaine session du conseil des droits de l’Homme qui aura lieu entre juin et juillet 2022. Pendant ce temps, nous continuons les plaidoyers pour que l’État accepte le maximum des recommandations. Ces plaidoyers seront dirigés non seulement à l’endroit des gouvernants, mais aussi à l’endroit des différentes chancelleries au Togo et en dehors du pays.
Après l’adoption des recommandations finales, la société civile continuera son plaidoyer par une mobilisation des acteurs précités pour leur mise en œuvre en commençant par leur appropriation et leur vulgarisation en collaboration avec les médias. Consciente que c’est à l’Etat de mettre, avant tout en œuvre les recommandations, la société civile assurera le suivi de la mise en œuvre par un monitoring et un rapportage objectifs et inclusifs des différents acteurs étatiques et non étatiques. Elle s’impliquera aussi sur le terrain dans la mise en œuvre des recommandations pour accompagner l’État. En effet, la société civile joue ce rôle au quotidien à travers la réalisation des différents projets de développement socio-économiques.
Votre mot de fin
Nous saluons la disponibilité de l’État togolais à collaborer avec les mécanismes internationaux de protection des droits de l’Homme et son ouverture envers la société civile dans un dialogue permanent et constructif pour l’édification de l’État de droit et la consolidation du respect des droits de l’Homme au Togo. Nous remercions nos collègues de la société civile et les médias pour leur engagement et souhaitons le renforcement de notre collaboration en vue de relever ensemble les défis liés au respect des droits de l’Homme au Togo. Enfin, nous souhaitons que les institutions internationales et les missions diplomatiques accompagnent le gouvernement togolais ainsi que la société civile dans leurs efforts conjoints pour la mise en œuvre des recommandations adressées au Togo par les mécanismes de protection des droits de l’Homme.
Source : icilome.com