Depuis son premier roman « Femme infidèle », publié en 1988, l’écrivain franco-togolais Sami Tchak a, en trois décennies, construit une œuvre riche et exigeante composée d’une vingtaine de romans et d’essais qui font voyager le lecteur entre le Togo, l’Afrique, la France, et l’Amérique latine. Une œuvre dont les thèmes les plus récurrents sont : l’immigration, la sexualité, la violence, le racisme, le pouvoir, la vieillesse…
« Le Continent du Tout et du Presque Rien », son dernier roman sorti cette année, revient sur ces thèmes dont se sert l’auteur de « Place des Fêtes » (Gallimard, 2001) pour évoquer la complexité des rapports de l’être humain avec soi et avec les autres.
Assis dans une luxueuse villa à Bamako, face au fleuve Niger, Maurice Boyer, Français, septuagénaire, veuf, professeur d’ethnologie à la retraite, disciple de Gorges Balandier, se remémore sa vie.
Quand une formalité académique se métamorphose en parcours initiatique
Parti à Tèdi, un petit village de la région centrale du Togo, pour ses recherches doctorales, le jeune étudiant français se retrouve face à une société dont la profonde complexité semble tourner autour de trois personnages. Le chef du village, Wouro-Tou (Chef Éléphant), représentant de l’autorité administrative et politique, un homme d’âge mûr, polygame ayant épousé toutes ses femmes par le rapt, qui peut se montrer aussi cruel que rusé. L’imam, un érudit local, nanti d’une licence en philosophie obtenue à Paris, qui observe le jeune chercheur avec méfiance. Amamatou, l’épouse préférée du chef, qui exprime sa révolte contre son mariage forcé à travers l’adultère.
Ce qui, à la base, représentait pour le jeune Français une formalité académique, devint pour lui une expérience humaine marquante, une sorte de case initiatique d’où il sortira vidé d’une grande partie de ses préjugés et prétentions, mais enrichi d’un capital élevé d’expériences qui le suivront durant toute sa carrière universitaire et sa vie. Tèdi deviendra ainsi la lucarne par laquelle Maurice Boyer observera l’Afrique.
Car de l’Afrique, l’ethnologue ne se détachera plus. Durant toute sa carrière, il ne sera question que du continent noir, et de son histoire, sa sociologie, sa géographie, sa géopolitique complexes.
La meilleure formule pour dire l’Afrique
Nous croisons, au fil des pages, des personnages hétéroclites quant à leurs profils socioprofessionnels, leurs origines, leur âge et la couleur de leur peau, mais qui, à la fin, ne font qu’un dans leurs limites à aller au bout de leurs prétentions à nommer le continent noir.
Que ce soit la brillante universitaire Aurélie la Châtaigne, épouse de Maurice Boyer, qui voit la fin du salut de l’Afrique dans la mort de feu son amant sénégalais Babacar Ndiaye, ou Safiatou Kouyaté, la sensuelle maîtresse et ex-étudiante du narrateur, portée par la fougue de la jeunesse et grisée par le succès de sa carrière d’auteure, que ce soit le professeur retraité ivoirien Zakari Tchagbalé meurtri par la dictature dans son pays d’origine le Togo, ou Bernard Faucon-Larron, ex-collaborateur de Jacques Foccart convaincu que l’Afrique n’est qu’une invention de l’Europe, chacun croit fermement avoir la meilleure formule pour dire l’Afrique.
Hymne à la connaissance
Et, au milieu de cette chorale de sentences qui s’affrontent, il y a le grand rire de l’écrivain franco-ivoirien Gauz qui se moque d’une certaine conception du panafricanisme, « une idéologie qui n’a que des ‘‘pères fondateurs’’ et pas une seule mère cachée dans un couloir de l’Histoire », et les injonctions presque paternalistes du Haïtien Jacques Birette qui juge que les Africains manquent de fierté et doivent prendre exemple sur Haïti qu’il considère comme l’une des plus grandes nations au monde.
« Le Continent du Tout et du Presque Rien », c’est aussi les expériences plus intimes de Maurice : les frustrations de cet universitaire n’ayant pas eu une carrière à la hauteur de ses rêves, mais qui est désormais convaincu que toutes les possibilités de sa vie sont derrière lui. Nous plongeons également dans son quotidien avec sa femme Aurélie, et vivons les dernières expériences de ce couple qui a vieilli, qui entrevoit sa fin dans la morosité des jours difficiles marqués par la maladie, mais qui s’aime, plus par la chair, mais par ce qui les a liés : l’amour de la connaissance.
Car ce roman n’est, en résumé, que cela. Un hymne à la connaissance. La connaissance de soi, la connaissance de l’autre. L’autre qui, en réalité, n’est que ce soi qu’on n’a pas toujours la force d’interroger, mais qui reste le meilleur miroir dans lequel l’on puisse se voir et se connaître.
Sami Tchak, « Le Continent du Tout et du Presque Rien », Paris, Jean-Claude Lattès, 2021, 320 pages.
Source: Davidkpelly.mondoblog.org
Source : icilome.com