Le miracle tant attendu par le peuple togolais ne s’est pas produit le mardi 31 juillet 2018. Visiblement, il va falloir encore attendre des semaines, des mois, peut-être des années, sans compter avec les subterfuges et les sournoiseries du régime de Faure Gnassingbé, pour espérer voir la situation sociopolitique togolaise se décanter.
C’est bien beau, les réformes préconisées par la Communauté Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) dans ses recommandations pour une sortie pacifique de la crise politique que connaît le Togo depuis le 19 août 2017. Mais le problème togolais, ce qui fait perdurer la crise, demeure la candidature de Faure Gnassingbé en 2020. C’est plutôt là où les Togolais attendaient les chefs d’Etat et de gouvernement de l’institution sous-régionale qui se sont réunis à Lomé mardi dernier.
Dans sa feuille de route, la CEDEAO recommande la révision intégrale du fichier électoral en vue de l’organisation, le 20 décembre 2018, des élections législatives. Si la révision du fichier électoral est saluée par les Togolais, la tenue du scrutin dans moins de 5 mois pose de sérieux soucis, selon de nombreux observateurs. Pour ces derniers, l’institution sous-régionale ne devrait pas se précipiter de fixer une date pour ces élections, alors que rien n’est encore fait pour la transparence et la crédibilité de ces échéances. « Ce qui est un peu difficile, c’est qu’on puisse avoir à l’esprit de fixer une date pour les élections législatives, alors que les points inscrits à l’agenda du dialogue ne sont pas mis en œuvre. Lorsqu’on est vraiment réaliste, on doit savoir qu’on ne peut pas faire un recensement général pour revoir le fichier électoral dans son intégralité et pouvoir organiser les élections le 20 décembre 2018 », a réagi Me Raphaël Kpandé-Adzaré, 2e porte-parole du Front Citoyen Togo Debout (FCTD). Et l’universitaire, le Prof Ayayi Togoata Apedo-Amah de renchérir : « Ce contenu est nul, puisque cela ne dit rien par rapport pas aux attentes des Togolais avides de changement. Tout le monde s’est dit déçu. Je crois que par rapport au contenu, ces chefs d’Etat se sont foutus des Togolais dans la mesure où ils parlent d’élection qui devrait avoir lieu le 20 décembre prochain ».
Ensuite les chefs d’Etat et de gouvernement demandent au gouvernement et à la classe politique d’œuvrer pour l’adoption des réformes constitutionnelles, notamment la limitation à deux du nombre de mandats présidentiels, le mode de scrutin à deux tours pour l’élection du président de la République, la recomposition de la Cour constitutionnelle pour revoir sa composition et limiter le nombre de mandats de ces membres, le renforcement du processus électoral qui doit être consensuel, avec l’accélération et la finalisation du recensement électoral pour établir des listes électorales fiables. Toutes ces réformes, préconise la CEDEAO, doivent être faites par voie parlementaire, et le cas échéant, par consultations référendaires. Les Togolais résidant à l’étranger sont désormais appelés à voter, selon la feuille de route. La CEDEAO, tout en promettant son appui et son soutien technique dans le déroulement du processus électoral, décide d’instituer un Comité de suivi qui veillera à l’application de ces décisions.
La feuille de route, du « déjà vu »
Cette litanie de mesures pour sortir le Togo de la crise politique n’est pas nouvelle pour les Togolais. C’est d’ailleurs ce que le peuple réclame dans la rue depuis août 2017. L’Accord politique global (APG) signé le 20 août 2006, que d’aucuns qualifient de caduc, a pris en compte toutes ces mesures. Sans la complaisance de cette CEDEAO vis-à-vis du régime de Faure Gnassingbé qui refuse délibérément de mettre en application ce document, on n’en serait pas encore là aujourd’hui à répéter les mêmes chansons aux Togolais. De quelle marge de manœuvre l’espace communautaire dispose-t-il pour obliger le pouvoir togolais à s’exécuter ? On parle de la mise en place d’un Comité de suivi chargé de veiller à l’application de ces décisions. Mais au Togo, l’on sait ce que sont ces genres de comités dans lesquels les représentants du régime cinquantenaire décident de bloquer tout pour gagner du temps. « On a vu des comités de suivi dans ce pays. Ils n’ont rien fait. C’est une escroquerie politique que les dirigeants de la CEDEAO ont concoctée avec la dictature locale », dénonce le Prof Ayayi Togoata Apedo-Amah, enseignant à l’Université de Lomé. Pour lui, ce comité de suivi est « ridicule ».
Avec cette feuille de route, la CEDEAO ouvre la voie à d’autres polémiques, des interprétations partisanes des lois de la République avec les prochains débats à l’Assemblée nationale, sans oublier les consultations référendaires qui, si elles devraient avoir lieu, susciteront d’autres crises (à moins que les réformes électorales nécessaires soient opérées). En somme, c’est un éternel recommencement qui n’a pas pris en compte le nœud de la crise, principale préoccupation du peuple togolais.
Tout sauf l’essentiel
La première et la principale préoccupation (la seule d’ailleurs) des Togolais aujourd’hui, c’est de savoir si Faure Gnassingbé peut se représenter en 2020 ou non. C’est là que la CEDEAO était attendue le 31 juillet dernier. Malheureusement, elle a esquivé cette question qui sous-tend la principale revendication de la Coalition des 14 partis de l’opposition, soutenue par le peuple : le retour à la Constitution de 1992 dans sa forme originelle. Déjà, les partisans du régime inondent les médias et les réseaux sociaux, scandant que les chefs d’Etat et de gouvernement de la CEDEAO n’ont pas compétence à se prononcer sur la candidature de Faure Gnassingbé en 2020. Mais si on scrute bien le protocole additionnel de la CEDEAO sur la bonne gouvernance, notamment sur la limitation du mandat présidentiel à deux, le Prince qui est en train de boucler son troisième mandat, devrait être mis hors course en 2020. Cela, les chefs d’Etat n’ont pas eu le courage de le dire.
Tout porte à croire que ces chefs d’Etat pensent que ce sont les élections qui peuvent résoudre la crise togolaise. C’est pourquoi ils s’empressent de donner des dates, promettent des missions d’observation électorales, demandent à ceux qui ont refusé depuis plus de dix (10) ans de mettre en œuvre l’APG, de faire les réformes en vue d’aller aux élections. « Qui organise les élections dans ce pays ? Les élections au Togo ont été toujours une mascarade, un scandale. Comment ces gens qui se prétendent chefs d’Etat des pays démocratiques peuvent exiger auprès d’une dictature qu’on organise des élections ? Dans une dictature, les élections sont toujours fraudées. Donc c’est tout à fait ridicule de demander au pouvoir de Lomé d’organiser les élections en décembre », a déploré Prof Ayayi Togoata Apedo-Amah.
Apparemment, le bout du tunnel n’apparaît pas encore dans cette crise politique qui lasse les Togolais. Déjà, la Coalition des 14 entend reposer la problématique de la candidature de Faure Gnassingbé aux Facilitateurs lors des prochaines rencontres dans le cadre du dialogue intertogolais. Des discussions houleuses en perspectives qui braqueront les caciques du régime cinquantenaire qui ne jurent que par leur « champion ». On assistera encore à des blocages des travaux, le Prince et ses valets profiteront pour gagner du temps. Pendant tout ce temps, 2020 n’a pas arrêté sa course.
La Coalition des 14… des regrets
Elle n’a que des regrets aujourd’hui. Cette Coalition paie le prix de son ultime concession, c’est-à-dire le fait d’avoir laissé tomber son principal outil de pression, les manifestations de rue, au cours du dialogue. Surtout que les chefs d’Etat de la CEDEAO n’ont pas pris en compte le triptyque transition-réformes-élections. « Elle (Ndlr, la Coalition des 14) observe plusieurs insuffisances majeures, notamment l’absence de l’évocation d’un gouvernement de transition chargé de conduire les réformes institutionnelles et électorales et de la question sécuritaire », a-t-elle indiqué dans un communiqué que nous publions en intégralité pour nos lecteurs. Pourrait-elle obliger la CEDEAO à se rattraper lors des prochaines discussions politiques sous l’égide des deux Facilitateurs, les présidents Nana Akufo-Addo du Ghana et Alpha Conde de la Guinée ?
Quoi qu’on dise, la CEDEAO a déçu le peuple togolais, en ayant pas pu se prononcer sur la candidature de Faure Gnassingbé en 2020, puisque c’est la source même de la crise politique togolaise. On pourrait affirmer que le protocole additionnel sur la bonne gouvernance se révèle aujourd’hui de belles intentions couchées sur du papier, comme la libre circulation des biens et personnes qui n’est qu’une chimère dans l’espace communautaire. Ce qui est clair, c’est que la Coalition des 14 partis de l’opposition se rend compte que sans la pression, on ne peut rien obtenir d’une dictature. Le débat continue en fait.
Source : L’Alternative No.724 du 03 aout 2018
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