Le Togo n’en finit plus d’être au centre des attentions. Et pour cause : celui qui en est le premier dirigeant, Faure Gnassingbé, a donné le 4 mai dernier son OK pour être le médiateur dans la crise politique au Mali, à l’heure où la junte militaire est l’objet de pressions pour rétablir un régime civil.
«Nous avons, au nom du président de la transition, sollicité le président Faure Gnassingbé (…) pour faciliter le dialogue avec les acteurs régionaux et plus largement le dialogue avec l’ensemble de la communauté internationale pour trouver un compromis pouvant nous permettre de sortir de la crise », a déclaré Abdoulaye Diop, le ministre malien des Affaires étrangères alors en visite à Lomé.
Pour ce dernier, pour mettre fin à la traversée du désert dont le Mali fait l’objet depuis le coup d’État militaire en août 2020, il faut « qu’on fasse preuve de génie politique ».
Et qui mieux que Faure Gnassingbé pour «soutenir l’effort de dialogue malien avec la communauté internationale », et « prendre des initiatives de facilitation », lui que ses pairs ont surnommé, non sans complaisance « notre jeune doyen », du fait de sa longévité au pouvoir, bien qu’étant jeune ? Ce n’est pas sans raison que les haruspices diplomatiques ont jugé bon de choisir le fils de Gnassingbé Eyadema afin de jouer les médiateurs entre le Mali et la communauté internationale.
D’aussi loin qu’il nous souvienne, la diplomatie togolaise a souvent pris les devants quand il s’agit de trouver des approches de solutions aux crises transitionnelles que traversent certains pays du continent. Fin avril 2021, Robert Dussey était sur les routes tchadiennes, histoire de témoigner aux autorités tchadiennes « la solidarité du Togo pour le peuple tchadien et promouvoir les relations bilatérales ».
Le Tchad venait de perdre son président Idriss Déby Itno le 20 avril, et son fils Mahamat Idriss Déby Itno a été choisi pour diriger un Conseil militaire de la transition (CMT).Si cette visite avait pour objet les questions de sécurité régionale et la coopération bilatérale, Robert Dussey n’a pas manqué d’assurer aux autorités tchadiennes la disponibilité de son pays à les accompagner : « Le Togo est disponible à accompagner le peuple tchadien et son Conseil militaire de la transition (CMT) en vue de l’organisation d’une transition pacifique et inclusive », avait-il martelé. C’est dire si le Togo avait marqué des points en se mettant au chevet d’un pays pourtant situé à quelque 2?088 kilomètres de lui.
Comme au Tchad, le Togo ne s’est pas fait prier pour se donner le premier rôle dans la résolution de la crise malienne, après le coup d’État qui a vu l’arrivée au pouvoir du colonel Assimi Goïta au détriment d’Ibrahim Boubacar Keïta au pouvoir depuis 2013.Faure Gnassingbé a –un temps – fait de Lomé le laboratoire censé trouver un antidote à la crise malienne.
À cet effet, Lomé a accueilli le 8 mars 2021 la deuxième réunion du Groupe de Soutien à la Transition au Mali (GST-Mali), une initiative initiée par la Cedeao, l’UA, l’ONU, ainsi que divers pays voisins afin de garantir une transition apaisée dans le pays, a réuni dans la capitale togolaise, de nombreuses personnalités politiques de premier plan.
« Le soutien indéfectible du Togo au Mali et mon engagement personnel pour une transition réussie dans ce pays, reposent non seulement sur l’impérieux devoir de solidarité, mais aussi et surtout sur la communauté de défis et des enjeux sociopolitiques et sécuritaires qui se jouent en arrière-plan, avec des conséquences sous-régionales et régionales certaines. La partition qu’il nous revient de jouer doit contribuer à la création des conditions nécessaires au développement d’un État malien capable de répondre aux besoins de ses citoyens, d’exercer pleinement son autorité sur l’ensemble de son territoire national et d’assumer efficacement ses responsabilités dans la promotion de la sécurité régionale et la recherche de solutions à d’autres défis communs », avait déclaré Faure Gnassingbé.
Le fait donc qu’on confie le rôle de médiateur au « jeune doyen » n’est pas si surprenant que cela. Il en a l’habitude. Sauf que le statut démocratique derrière lequel le médiateur s’abrite pour concilier les parties pose sérieusement question. Faure Gnassingbé, avec le pedigree qui reste le sien, demeure ce qu’il y a de plus antidémocratique, compte tenu du non-respect des règles démocratiques dont il a toujours fait preuve depuis son arrivée au pouvoir en 2005 dans les conditions ubuesques que l’on connaît, et encore au vu et au su d’une communauté internationale trop complaisante.
Faure Gnassingbé demeure un président en délicatesse avec l’alternance démocratique, un paramètre qui à lui seul suffit à discréditer sa médiation dont on ne saurait d’ailleurs se prévaloir. Confier la gestion d’une crise de haute importance telle que celle malienne à celui dont les actions génèrent dans son propre pays des crises sociopolitiques qui sont restées sans solution depuis plusieurs années dans un cul-de-sac innommable ; confier la médiation d’une crise au chef d’un régime qui se plaît à faire des prisonniers politiques, à bâillonner la liberté de la presse qui recule de 26 places, si l’on en croit le dernier classement de la liberté de la presse publié par l’ONG française Reporters Sans Frontière (RSF), discrédite d’office la démarche des autorités maliennes qui feignent d’ignorer qu’elles confient un dossier aussi prégnant à un médecin qui se doit de se guérir lui-même.
Passe encore si le président ghanéen ou, dans une certaine mesure, celui béninois ont été sollicités pour jouer ce rôle-là. Mais le confier à un Togo toujours sous le joug d’une dictature sans cesse renouvelée, voilà qui sent son paradoxe.
Source : Le Correcteur
Source : icilome.com