Président de l’Alliance Nationale pour le Changement (ANC), Jean-Pierre Fabre multiplie les meetings et réunions pour la remobilisation de la population. Dans cet entretien exclusif au bihebdomadaire Le Correcteur, il est revenu sur la dernière sortie de Faure Gnassingbé à l’Assemblée nationale, sa visite au Vatican, les élections Locales et la crise politique au Bénin. Lecture :
Le Correcteur : Comment se porte l’ANC hors de la C14 ?
Jean-Pierre Fabre : L’ANC va bien. Au sein de la C14 comme en dehors, nous maintenons le cap de la lutte de libération engagée depuis des décennies par le peuple togolais.
Aussi, nous ne varions pas d’un iota de nos objectifs politiques, de notre vision de cette lutte ainsi que des actions et des moyens politiques que nous mettons en œuvre. Vous savez qu’avant la création de la C14, l’ANC était déjà dans une dynamique de mobilisation populaire massive, avec l’organisation d’une série de manifestations publiques, tantôt seule, tantôt ensemble avec nos camarades de CAP 2015.
Nous avons toujours réparti notre temps de travail entre nos activités courantes propres et celles organisées ensemble avec d’autres partenaires. C’était le cas pendant tout le temps de notre présence à la C14 où nous nous sommes évertués à donner le meilleur de nous-mêmes tout en continuant à assurer le fonctionnement normal du parti.
Les réunions hebdomadaires du Bureau National, de la Délégation nationale de la Jeunesse de l’ANC (JNC), de la Délégation nationale des dames de l’ANC (DNC), des militants et sympathisants, des diverses associations et groupements d’accompagnement ainsi que les meetings populaires qu’organisent la JNC et la DNC, les tournées et les meetings du Bureau national à l’intérieur du pays, se sont poursuivis simultanément avec les activités de la C14.
Certes, pour l’heure, nous avons en moins la pression des activités de la C14 mais nous avons toujours un programme d’activités tout aussi dense et exigeant. Je ne reviens plus sur les raisons qui nous ont amenés à quitter la C14 mais il m’importe de réaffirmer notre disponibilité à poursuivre la lutte avec les forces démocratiques qui s’engagent à œuvrer avec cohérence et rigueur, avec persévérance et sérieux, en ayant constamment à l’esprit les aspirations profondes du peuple togolais. A cet égard nous nous félicitons des initiatives en cours dans le cadre des réunions entre la société civile et certains partis politiques et visant à la mise en place du vaste mouvement citoyen de libération nationale que nous préconisons.
Quel regard portez-vous sur le discours sur l’état de la nation du chef de l’État devant l’Assemblée nationale le 26 avril dernier ?
Au cours des législatures passées, nous avons souvent déploré le non respect de l’article 74 de la Constitution par Faure Gnassingbé et nous l’avons à maintes reprises invité à s’acquitter de cette obligation, au moins par égard pour la représentation nationale, par égard pour l’ensemble des populations togolaises, en vain.
Si le chef de l’Etat revient à de meilleurs sentiments en termes de respect de la Constitution et se met à rendre compte de l’état de la nation, alors qu’il le fasse comme il se doit en présentant plus ce qu’il a fait que ce qu’il va faire. Au risque de répéter le programme de gouvernement qui relève plutôt du Premier Ministre.
On l’a entendu citer à maintes reprises le PND qui est présenté comme une panacée et qui résonne plutôt comme les catalogues habituels de bonnes intentions servis de législature en législature par les gouvernements successifs. Les Togolaises et les Togolais veulent être édifiés quant à leurs préoccupations quotidiennes liées aux secteurs tels que la santé, l’éducation, l’eau, l’assainissement, la vie chère, bref, les secteurs sociaux de base qui impactent leur quotidien.
Les Togolais veulent également être édifiés quant aux mesures concrètes ainsi que les résultats de la lutte contre la corruption, contre l’impunité, contre la fraude électorale, contre le tribalisme. De plus Faure Gnassingbé n’a même pas abordé la crise sociopolitique et le soulèvement populaire qui l’a contraint à appeler la CEDEAO à la rescousse.
Pourtant au moins deux sommets de la CEDEAO se sont tenus sur la situation au Togo et ont fait l’objet de résolutions et de recommandations dont une feuille de route ainsi que la mise en place d’un Comité de suivi.
Par contre, il ne manque pas de brandir comme un trophée le Chef de file de l’opposition, entièrement acquis à la cause du RPT/UNIR, pour illustrer ‘’les divergences et les différences d’appréciation’’ ainsi que ‘’l’approche antagoniste ‘’ que ‘’les acteurs politiques …doivent transcender’’. On eût cru en son temps, le Chancelier Adolf Hitler soi-même couvrant de louanges le Maréchal Pétain pour sa ‘’collaboration’’ qui a permis d’envoyer à la mort, des millions de français, dans les camps de concentration et dans les chambres à gaz.
Enfin, il n’est pas indiqué de confondre la fête nationale de notre pays qui est un moment de célébration de notre liberté et de notre dignité, avec le discours annuel au parlement sur l’état de la nation.
Le chef de l’État était lundi 29 avril au Vatican. Une offensive diplomatique qui vous a pris de court?
Faure Gnassingbé est accoutumé à des longs périples à travers le monde et aux frais du contribuable. Et ce n’est pas la première fois qu’il se rend au Vatican. Je n’y vois aucune offensive diplomatique mais plutôt l’acharnement à rechercher à l’extérieur, la légitimité qui lui fait tant défaut au plan interne. Donc rien de nouveau. Donc aucune surprise.
Mais le Saint Père, qui est un Chef d’Etat avisé, est certainement au courant des exactions orchestrées par Faure Gnassingbé à l’encontre de ses concitoyens pour se maintenir au pouvoir. Il n’ignore pas non plus les nombreuses lettres pastorales de la Conférence des Evêques du Togo sur la situation sociopolitique inquiétante qui prévaut au Togo ainsi que l’engagement des Evêques à défendre résolument et plus haut et plus fort, la vérité, la justice et la paix sociale.
Le Saint Père sait enfin que les positions justes et dignes prises par les Evêques du Togo en faveur d’un peuple meurtri, conformément aux lettres de l’Evangile, conformément à la mission pastorale de l’Eglise, ne sont pas du goût du régime de Faure Gnassingbé qui, en représailles, boude la Conférence épiscopale.
Des élections locales sont enfin annoncées pour le 30 juin précédées de la révision des listes électorales pour 3 jours à compter du 16 mai prochain. Quelle est votre position sur cette question d’actualité ?
Pour l’ANC, ce qui importe, ce n’est pas tant les élections mais les réformes politiques et électorales qui doivent permettre d’organiser des scrutins justes et équitables, transparents et démocratiques. Ce n’est pas d’aujourd’hui que nous nous préparons pour des élections locales que le régime RPT/UNIR s’est toujours refusé d’organiser, malgré les engagements pris par le gouvernement. Rappelez-vous les 22 engagements pris par le gouvernement togolais devant la commission de l’UE à Bruxelles en avril de 2004, aux termes desquels ces élections devaient être organisées dans les 12 mois.
Aujourd’hui encore on constate une organisation unilatérale, opaque et précipitée pour favoriser la fraude et les irrégularités. Pendant que le Ministre de l’Administration Territoriale, de la Décentralisation et des Collectivités Locales, M. Payadowa BOUKPESSI, multiplie les déclarations, annonces et options techniques, en lieu et place de la CENI.
L’ANC vient d’adresser une correspondance au Ministre BOUKPESSI pour dénoncer l’immixtion du gouvernement dans le fonctionnement de la CENI ainsi que le caractère inapproprié et incorrect du mode imposé à la CENI pour la confection des listes électorales devant servir à l’organisation des élections locales. Car voyez-vous, il est incongru de prétendre extraire les listes électorales pour les locales, des listes électorales établies pour les présidentielles et les législatives.
En effet, il importe de comprendre que pour les élections locales, la résidence habituelle de l’électeur détermine l’inscription sur les listes électorales car seuls les électeurs qui résident dans une commune donnée sont habilités à s’inscrire sur les listes électorales de cette commune pour élire les conseillers municipaux de ladite commune.
Ce qui n’est pas le cas pour les élections présidentielles ou législatives, où les électeurs élisent des élus nationaux et n’ont pas l’obligation de s’inscrire selon leur lieu de résidence habituelle.
Comme le prescrit l’article 47 du code électoral, chaque commune, autrement dit, chacune des 117 communes créées, doit avoir sa liste électorale spécifique. Il s’agit donc de procéder à un recensement électoral, pour mettre en place, en vue des prochaines élections locales, un fichier électoral spécifique, aujourd’hui inexistant parce que le gouvernement du RPT/UNIR n’a jamais organisé de telles élections au Togo.
Aujourd’hui, toutes les forces démocratiques se jettent dans la compétition électorale pour les locales et n’entendent nullement laisser au RPT/UNIR le champ libre des pratiques antidémocratiques et de la fraude. L’ANC s’engage résolument dans la bataille tout en demeurant vigilante quant aux conditions d’organisation des scrutins.
Que pensez-vous de la situation qui prévaut actuellement au Bénin ?
Ce qui se passe au Bénin qui est un pays voisin, un pays frère, ne peut nous laisser indifférents, surtout lorsqu’il est fait état de pertes en vie humaine et de blessés. Notre compassion et notre solidarité vont à toutes les victimes. Voyez-vous, l’instauration, la préservation et la consolidation de la démocratie et de l’Etat de droit passent par le respect des lois, le respect des règles du jeu démocratique, les bonnes pratiques républicaines, la bonne gouvernance, la défense des libertés, des droits humains et de la dignité du citoyen. Bref, autant de valeurs qui invitent à l’écoute des populations, à la concertation, au dialogue, à la négociation, à la recherche du consensus dans l’exercice du pouvoir en Afrique aujourd’hui.
Les dirigeants de nos pays doivent s’employer à œuvrer résolument dans ce sens pour la prévention des crises graves ou pour leur résolution rapide.
Le Bénin a montré par le passé qu’il a les ressources nécessaires pour se sortir rapidement et efficacement des crises graves. Rappelez-vous leur conférence nationale souveraine bouclée en une semaine ! Je suis persuadé que cette fois –ci encore ce pays relèvera le défi pour servir encore une fois de modèle dans la sous-région et en Afrique.
Un mot de conclusion
L’heure est en ce moment à la mobilisation pour obtenir les conditions de transparence des scrutins et pour faire face aux prochaines échéances électorales. A cet égard, nous appelons l’ensemble des populations à se mobiliser en conséquence. Personne ne doit céder au découragement.
Entretien réalisé par Honoré Adontui
Source: Le Correcteur N°873 du 06 Mai 2019
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