Ni Gilbert Bawara, ni les conclusions du fameux Groupe de Travail créé par Komi Klassou n’ont réussi à mettre fin aux mouvements de grève des enseignants, encore moins aux manifestations de rue des élèves.
A Lomé, comme dans plusieurs villes du Togo, les salles de classe ont été une fois encore désertées ce lundi par les enseignants pour cause de grève. Comme depuis le début de l’année, les revendications sont restées les mêmes. Les conséquences aussi. Dans plusieurs quartiers de Lomé et sa périphérie, les élèves du public sont sortis de leurs établissements pour aller déloger d’autres qui continuaient, eux, à suivre les cours. A Tchamba, Kpalimé, Amou-Oblo, Korbomgou (près de Dapaong), Mango, Wahala, c’est la déferlante kaki dans les rues, comme c’est devenu d’ailleurs une tradition depuis le début de l’année scolaire. A une dizaine de semaines des premiers examens, le bras de fer ne promet pas de faiblir de si tôt.
Sur une chaîne radio, lundi matin, chacune des parties a largement démontré qu’elle n’est pas prête à abandonner sa position. A la suite d’une intervention d’un porte-parole des enseignants, le ministre en charge de la Fonction publique s’est fait recevoir en direct pour se livrer à des explications unijambistes sur fond de menaces, comme il sait si bien le faire.
« J’ai l’impression qu’il y a un certain nombre de gens qui n’ont plus leurs places dans l’enseignement », a laissé entendre l’homme de Siou, faisant allusion aux grévistes. Cette menace vient de quelqu’un qui, en étant ministre en charge de la Fonction publique, est accusé d’avoir monté ses « frères de village » pour chasser des classes des enseignants du lycée de Siou qu’ils ont d’abord tenté vainement d’intimider. Une attitude dangereuse, digne d’une milice mais à laquelle est rattaché le nom d’un membre du gouvernement. Contacté, il s’est contenté de dire qu’il est bien au courant de la situation.
Gilbert Bawara, on le connaît pour son arrogance, son mépris. Jamais ministre de Faure Gnassingbé n’a été aussi condescendant vis-à-vis des Togolais. Mais c’est aussi un ministre qui prend probablement les Togolais pour des personnes de même niveau que ceux qu’il manipule dans son village avec quelques pots de boisson locale. Lors de ses interventions hier lundi, le ministre a tenté d’opposer les revendications des enseignants à d’autres. Il évoque par exemple les infrastructures dans le secteur de l’éducation au Togo, estimant que des élèves continuent de suivre les cours sous des paillottes. Il va jusqu’à parler des hôpitaux, des paysans et d’autres secteurs. Lui qui, il y a quelques années, vociférait devant Faure Gnassingbé que les siens n’ont aucune revendication à lui soumettre, comme si grâce au Prince le Togo est devenu un paradis, aujourd’hui, parce qu’il est à court d’arguments, il reconnaît que les investissements publics sont insuffisants ou mal orientés dans notre pays, puisque c’est de cela qu’il s’agit.
Après 12 ans au pouvoir, à la tête d’un pays de 56 600 km2 et d’environ 7 millions âmes, si on n’a pas été capable de doter le pays d’infrastructures dignes (pendant que les réalisations privées de la minorité foisonnent), le coupable est tout trouvé. Ce sont les gouvernants. Quand il est revenu de l’étranger avec Faure Gnassingbé, il se faisait passer pour un technocrate et non un politique. Là encore, il croyait duper le monde, alors que tout le monde savait que ce qu’il était, un pilier de la nouvelle bourgeoisie qui s’est développée autour de Faure Gnassingbé. Une décennie après, on voit en quoi consiste sa technocratie : menacer un journaliste en direct, monter des rustres individus de son village pour chasser des enseignants des classes, venir manquer du respect à l’intelligence des Togolais sur les médias, échafauder des plans obscurs pour aller se faire des millions en RD Congo.
Lorsque les médecins sont en grève, les mauvais génies du pouvoir découvrent subitement qu’ils ne devraient pas seulement se plaindre de leur sort, mais aussi œuvrer pour des conditions de soin dignes des populations, comme si les équipements médicaux tombaient du ciel. Et cela fait des années que le secteur de la santé ne connaît plus de manifestations des agents pour des raisons pécuniaires. Et pourtant, récemment encore, dans le plus grand centre hospitalier du pays, même pour stériliser les instruments à utiliser au bloc opératoire, il fallait aller mendier le service dans les privés.
Parlant des paysans, devenus subitement chers à Monsieur Bawara, le temps d’une émission lundi matin, Dieu seul sait de quoi est fait leur quotidien pour que, même avec une pluviométrie plus favorable et une multitude de programmes autour du PNIASA, ils soient encore cités comme des déshérités de la République.
Pour certains caciques du régime comme Bawara, les Togolais n’ont aucun droit de formuler des revendications en dehors de ce que, eux, gouvernants, ont la « générosité » de leur affecter comme ressource. Pour eux, toute revendication est une attitude de défiance qu’il faut « mâter ». Sinon, comment un ministre peut-il, sur une radio, menacer de licencier des enseignants, parce qu’ils réclament de meilleures conditions de vie, dans un pays où une minorité s’est rendue maitre des ressources publiques? Tout simplement parce que pour eux, le Togo est leur champ de mil dans lequel le reste de la population est métayer. Aveuglés qu’ils sont par le pouvoir, ils ne voient même pas les mutations sociales en cours et qui pourraient à tout moment rééquilibrer le rapport des forces dans le pays.
Source : L’Alternative No.596 du 07 Mars 2017
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