L’éléphant annoncé est arrivé avec un pied cassé, c’est Tiken Jah Fakoly qui avait raison. La montagne attendue de la venue de la mission de la CEDEAO a accouché d’une grosse souris, la désillusion est grande dans les rangs de l’opposition et du peuple qui espéraient beaucoup de cette première réunion du Comité de suivi de la mise en œuvre de la feuille de route. Et en attendant l’hypothétique arrivée des Facilitateurs pour régler certaines équations, les jours à venir risquent d’être mouvementés…
Désillusion totale
Recrutement des experts électoraux par la CEDEAO et leur arrivée prochaine au Togo en vue de l’audit du fichier existant et de la production du nouveau envisagé pour les élections à venir ; engagement des experts en mission d’observation électorale et bien d’autres qui s’occuperont des réformes constitutionnelles et institutionnelles. Voilà les annonces phares faites par la mission de la CEDEAO à cette première réunion du Comité de suivi ces lundi et mardi, et donc les résultats concrets de cette venue au Togo. Par ailleurs, il est annoncé l’arrivée dans la semaine du 20 septembre, des deux Facilitateurs pour régler la question de la Commission électorale nationale indépendante (CENI).
Ce n’est pas rien, diront certains. Mais c’est la désillusion totale dans les rangs de la Coalition de l’opposition et des citoyens. Et pour cause. Ils attendaient de la mission de la CEDEAO qu’elle vienne siffler la fin de la pagaille entretenue par le pouvoir, notamment le forcing de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) bancale consistant à engager unilatéralement des actions et accélérer les préparatifs du processus électoral. L’opposition et les populations espéraient aussi que les émissaires des Facilitateurs ordonnent et/ou recommandent la recomposition équitable de la CENI entre les deux camps protagonistes de la crise – une proposition de présidence assurée par la communauté internationale, notamment un expert de la CEDEAO a été faite. A la C14, on espérait aussi de la mission, l’annonce d’un chronogramme détaillé de la mise en œuvre des recommandations et de la préparation du processus électoral, de même qu’une explication détaillée des recommandations avec leur contenu.
Mais ces attentes n’ont pas été comblées par la mission espérée depuis des lustres. Et la déception est grande dans les rangs de l’opposition. Les déclarations au sortir de la séance avec les émissaires ce mardi sont assez illustratives. C’est cette peine qui réjouit les délégués du pouvoir qui ont profité de l’occasion pour se gausser de leurs interlocuteurs d’en face, avec des propos à la limité de l’incivilité.
Impasse, de l’électricité dans l’air…
Dans l’immédiat, le bon sens aurait voulu que la mission de la CEDEAO se prononce sur la problématique de la CENI et de sa façon de conduire le processus. Les émissaires se devaient de l’arrêter dans son élan de préparation unilatérale du processus, procéder à sa recomposition sur des bases d’équité, confier sa présidence à une instance neutre, ou de l’adouber. Au moins ainsi, ils auront le mérite d’être clairs et les populations togolaises sauront à quoi s’en tenir. Mais la mission de la CEDEAO a créé une véritable impasse en laissant cette question en suspens. Est-ce une façon indirecte de dire que la CENI fait du bon boulot et ainsi l’adouber ?
Même si les émissaires des Facilitateurs ont annoncé l’arrivée prochaine – on parle de la semaine du 20 septembre – de ces derniers eux-mêmes pour régler cet épineux problème et bien d’autres, il est évident que ce mutisme sera interprété par le pouvoir Faure Gnassingbé comme une victoire. Du moins il va profiter du temps de latence jusqu’à la venue des Présidents ghanéen et guinéen, pour accélérer le processus. « Cette situation créée arrange bien les affaires du pouvoir. Ne soyez pas étonnés si dans les heures ou jours à venir, la CENI accélère le processus et engage même des actions qui n’étaient pas prévues. D’ailleurs le chronogramme détaillé n’a jamais été rendu public (…) Que les gens ne soient pas dupes, même si la CEDEAO venait à mettre fin à la CENI de Kadanga, ce ne sont pas toutes ses actions menées qui seront annulées ; on ne va pas reprendre le processus à zéro, certaines activités seront validées. C’est en connaissance de cette réalité que le régime fonce dans les préparatifs sans se retenir», analyse une source. On peut s’en convaincre lorsqu’on lit entre les lignes des propos du Président de la Commission de la CEDEAO, Jean-Claude Brou qui a laissé entendre que du travail a été fait en termes de préparation du processus (par la CENI de Kadanga)…
Ces éventuelles actions à engager par le pouvoir et la poursuite du processus n’auront pour effet que d’augmenter les frustrations et les tensions déjà manifestes. Les déclarations des délégués de la C14 au sortir de la réunion sont assez expressives. On a surtout l’impression d’être floués par la CEDEAO. Me Yawovi Agboyibo du Comité d’action pour le renouveau (CAR) fulmine de colère et a le sentiment que lui et ses camarades sont pris pour des « bambins », tournés en bourriques. « Il faut qu’on change d’orientation », a-t-il appelé. Jean-Pierre Fabre et Habia Nicodème ont aussitôt annoncé les couleurs de ce que seront les jours à venir : la reprise des manifestations de rue. « Si les choses trainent, les Togolais vont se lever et prendre leurs responsabilités », a fulminé le Président du parti Les Démocrates. Comme pour tout confirmer, la C14, en conférence de presse hier, annonce déjà des manifestations sur toute l’étendue du territoire. Manifestement, les heures et jours à venir seront assez chauds, en attendant l’arrivée des Facilitateurs pour peut-être colmater les brèches…
Tino Kossi
Source : Liberté No.2754 du 13 septembre 2018
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