Et si Wacem au Togo venait à suivre les pas de sa filleule congolaise dont les employés sont sur le carreau ? Cette interrogation tient sa source dans la situation que traverse actuellement cette entreprise. Au point qu’un de ses actionnaires, représentant la société lors des discussions consécutives à la grève suite au décès de cinq employés dans l’usine de Tabligbo, serait en train de céder ses actions, sentant venir le roussi. Que deviendraient les employés dont les cotisations ne seraient pas versées comme convenu à la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) ? Immersion dans une entreprise passée dans l’art de fouler aux pieds les accords et où l’absence d’interlocuteur en face des employés pourrait entrainer une fois encore des mouvements d’humeur.
Après un incident ayant causé la mort de cinq employés à l’usine, les travailleurs avaient déclenché un mouvement de grève pour réclamer de meilleures conditions de travail et de vie à Wacem. C’est ainsi que le 5 janvier 2016, sous la supervision du ministère de la Fonction publique, du travail et de la réforme administrative, des discussions avaient été sanctionnées par un Procès-verbal actant la fin de la grève.
Mais parallèlement à ces discussions et contrairement à son esprit, près de 500 employés n’ont plus jamais été repris au sein de l’entreprise. Même les indemnités et dommages et intérêts que devait l’entreprise aux licenciés ne sont pas complètement soldés à ce jour. Voici ce que disait le procès-verbal des discussions.
Au sujet de la régularisation et de la régulation durable des contractuels travaillant à WACEM, la Direction de WACEM s’était engagée à : revoir les contrats avec les entreprises contractantes (tâcherons), en vue de. mieux définir les tâches à leur confier ; embaucher les employés qualifiés des entreprises contractantes dans la limite des postes de travail disponibles ; examiner avec les entreprises contractantes, la situation de leurs employés restants de façon à ce que, ceux dont les services sont requis soient maintenus ; veiller en liaison avec les entreprises contractantes, au respect scrupuleux des droits dont les employés non-retenus doivent jouir conformément aux lois et règlements en vigueur, y compris les cotisations auprès de la CNSS ; veiller à ce que les entreprises contractantes déclarent leurs employés à la CNSS, conformément aux dispositions légales et réglementaires en vigueur ; s’assurer que les contrats liant WACEM aux entreprises contractantes prennent en compte l’ensemble des charges et des taxes encourues ; veiller à ce que les entreprises contractantes paient effectivement les cotisations et les charges sociales de leurs travailleurs.
Concernant l’assurance maladie pour les travailleurs de WACEM : l’entreprise prend en charge 90% des frais liés au traitement médical.
A propos de la Santé et la sécurité au travail, les visites médicales périodiques doivent avoir lieu au moins une fois l’an. Elles ne peuvent se faire qu’après une évaluation des risques poste par poste dans l’entreprise. Sur cette base, la direction de WACEM est tenue de faire procéder, dans un délai n’excédant pas quatre (04) mois à compter de la date de signature du présent procès-verbal, à l’évaluation des risques, poste par poste, afin de permettre les visites médicales requises.
La direction de WACEM est tenue de veiller à la mise à disposition des équipements de protection individuelle et collective, ainsi qu’au respect des dispositions et des mesures de précaution, d’hygiène, de santé et de sécurité au travail.
Les mesures de santé et de sécurité doivent faire l’objet d’une évaluation ou revue périodique, une fois tous les trois mois, par le Comité Hygiène, Santé et Sécurité. Ce Comité doit comprendre au moins un délégué du personnel, en plus du médecin du travail.
La direction prendra des mesures concrètes et effectives pour faciliter la distinction entre les travailleurs des entreprises contractantes et ceux de WACEM.
S’agissant de la mise en place d’un audit indépendant : Afin de contribuer à l’amélioration et au renforcement des mesures de sécurité et des conditions de travail à WACEM, le gouvernement togolais mettra en place un audit indépendant en vue d’évaluer la conformité des installations et des conditions de travail avec les normes et standards internationaux en vigueur. A cet effet, le gouvernement et la direction de WACEM s’accorderont sur les conditions et les modalités de l’audit, y compris les coûts à la charge de WACEM.
Pour le certificat de conformité environnemental et social, la direction de WACEM adoptera, dans un délai de trois mois à compter de la date de signature du présent procès-verbal, un plan d’action détaillé et complet de mise en œuvre des conclusions et des recommandations issues de l’audit environnemental et social mené par l’Agence nationale pour la gestion de l’environnement (ANGE). ANGE apportera son appui à la direction de WACEM en vue de l’élaboration de ce plan d’action.
Quant à la grille d’avancement des travailleurs, la grille salariale en vigueur à WACEM est celle annexée à la Convention de la zone franche.
Pour accéder à la demande des travailleurs d’être avancés conformément à ladite Convention, la Direction met fin à son propre système d’avancement, à compter de décembre 2014, et accepte de procéder au système d’avancement prévu par la zone franche à partir du 1er janvier 2015.
Aux termes de ces discussions, les employés s’étaient engagées à mettre fin à la grève du 22 octobre 2015 le 5 janvier 2016. A ce propos, il était convenu de privilégier le dialogue et la négociation en interne (AC, DA, DG, PDG) qu’avec les partenaires externes (SAZOF, ministère en charge du travail) ; d’éviter tout acte d’intimidation et de violence ; de reconnaître que le régime juridique appliqué à WACEM et différent de celui ce FORTIA. De son côté, WACEM devrait lever le lock-out instauré le 29 octobre 2015 et permettre l’accès aux employés suivant le calendrier de reprise progressive de la production. Le suivi du respect des conclusions consignées dans le procès-verbal devrait être assuré par le ministère du travail et de la fonction publique.
Mais plus de 5 ans après, quelle est la situation des employés ?
Rappel important, les négociations du côté de l’employeur étaient menées par le sieur Mawuli Clément Ahialey, représentant la Direction de WACEM. Mais depuis, il se murmure que les employés et leurs délégués ne trouvent pas d’interlocuteur de la société quant à l’application des mesures arrêtées. Alors que des problèmes subsistent et une colère silencieuse prend forme. Encore.
Sur le plan santé, il ressort que l’assurance maladie chère aux autorités ne verra jamais le jour dans les entreprises de WACEM à Tabligbo et Dalavé. Parce qu’il est exigé des employés de prendre en charge la totalité des frais de santé, avant de se faire rembourser après présentation des factures. Que se passera-t-il alors lorsque l’employé est démuni et n’a pas la totalité des frais nécessaires pour son traitement ? Une fin de vie assurée l’attendrait alors.
S’agissant de l’audit, des recommandations pertinentes ont été formulées. Mais à ce jour, il revient aux autorités de chercher à savoir si elles ont été suivies, surtout avec le stockage du nitrate d’ammonium à proximité de certains bâtiments. Le spectre de l’explosion au port de Beyrouth est encore vivace dans les mémoires.
Diamond Cement Congo fait faillite
Les Togolais l’ignorent peut-être, mais WACEM a installé également une usine au Congo sous l’appellation de Diamond Cement. Le journal jeune afrique du 20 août 2019 en a fait écho. « Au sud de Brazzaville, les embûches se multiplient et la concurrence se durcit pour le géant industriel Wacem. Mais sa large présence sur le continent lui permet d’amortir les chocs. Ses hauts silos gris percent un ciel cotonneux. Visible depuis la route goudronnée, à 200 km au sud de Brazzaville, non loin de Mindouli, dans le département du Pool, le complexe cimentier de Diamond Cement Congo émerge dans un paysage de savane. Ses équipements s’exhibent fièrement : un four de près de 120 tonnes et une longue bande transporteuse de plus de 700 m destinée à l’acheminement de calcaire. Mais en dépit des apparences, pourtant, ils tournent au ralenti. « À plein régime, l’usine devrait pouvoir produire 700 000 tonnes de ciment par an », explique le directeur général de Diamond Cement Congo, le Togolais Clément Mawuli Ahialey. Avant de concéder qu’aujourd’hui, le compte est loin d’y être : « la production culmine à 40 000 t à peine. » Une mauvaise nouvelle pour le géant afro-indien West African Cement (Wacem), détenteur de 20 % de son capital – 62 % de celui-ci sont d’ailleurs entre les mains de fonds étrangers, le reste étant contrôlé par l’État congolais (19 %) et des acteurs privés locaux. Wacem, puissant groupe né en Inde en 1991, est désormais actif dans la cimenterie de douze pays africains, dont la Guinée, le Burkina Faso, le Mali, le Togo et le Ghana. Si l’on en croit son site, il produit 6 millions de t de ciment et de clinker et 100 000 t d’acier par an sur le seul continent. Il contribuerait ainsi à 10 000 emplois directs et 20 000 indirects… »
Un prêt de 60 milliards auprès d’Ecobank
Selon les informations de source, l’implantation de l’usine au Congo aurait nécessité d’importants moyens financiers. Et on a appris que WACEM se serait adressé à Ecobank pour contracter un prêt de…60 milliards FCFA pour réaliser le chef d’œuvre.
Seulement, les espérances nourries en ce projet ont été remises en question par le contexte sécuritaire au Congo. En effet, le Directeur général confiait à jeune afrique ceci : « Lorsque nous avions projeté de construire l’usine, une guerre avait déjà eu lieu dans les années 1990. J’étais alors loin d’imaginer que de nouveaux affrontements pourraient survenir aussi vite dans la région » ; une situation qui aurait obligé l’entreprise à vendre à perte. « La production s’écoule à des prix cinq fois inférieurs au business plan d’origine. Quand je suis arrivé au Congo en 2009, la tonne de ciment se vendait 200 000 F CFA (300 euros). En 2019, son prix est descendu à 40 000 F CFA. On vend à perte », s’était désolé Clément Ahialey.
Aujourd’hui, on apprend que la patience de la banque prêteuse serait arrivée à terme et que les dirigeants réclameraient le remboursement du prêt avec les intérêts.
Clément Ahialey, Directeur général de Diamond cement Congo
Ainsi, il se trouve que celui qui, en 2016, avec son patron Prasad Motaparti, avaient été cités dans le scandale Panama papers, est le Directeur général de Diamond Cement, une autre structure de Wacem. Nous l’avons contacté pour mieux comprendre ce qui se passe au sein de l’entreprise, par deux fois. La première fois, jeudi 13 mai à propos de l’organisation de la fête du 1er mai à Wacem de Tabligbo, et la distribution de riz dans des emballages de WACEM qui n’est pas productrice de riz. La seconde fois le lundi 17 mai au sujet du prêt de 60 milliards FCFA contracté par WACEM auprès d’Ecobank.
Pour tout réponse, Clément Ahialey s’est contenté lundi dernier de cette réponse : « Bonjour Messieurs, J’accuse réception de vos questions et en guise de réponse, voudrais vous dire que : – toute question relative à l’usine du Congo est plutôt à poser au management de Wacem. Pour une quelconque cession d’actions de Wacem, je pense que cela relève de ma vie privée. Cordialement ».
Le représentant du ministre du Travail, Komi Duamenyo et le représentant des délégués du personnel, Labodja Kodjo ayant apposé leurs signatures sur le procès-verbal de discussions apprécieront.
De plus, la fête des travailleurs du 1er mai 2021 aurait pu tourner au fiasco à Tabligbo. Des employés cumulant des années de travail se sont vu remettre une quantité de cinq kilos de riz. Mais le côté révoltant n’est pas tant la quantité offerte par WACEM. Il a été découvert que du riz en vrac a été acheté puis reconditionné dans des sacs de ciment fabriqués par WACEM à raison de 5 kilos par sac. En ces temps de Covid où la manipulation des denrées est limitée.
Nous avons appris que les employés ont abandonné les sacs de riz sur place et se préparaient à manifester leur mécontentement, n’eût été la sagesse des plus âgés qui auraient ramené le calme. Une entreprise qui brasse au Togo des milliards, mais compresse son personnel et offre du riz reconditionné dans des sacs de paper bag à ses employés. Ainsi va la gestion du personnel à WACEM où il ne fait pas bon de tomber malade lorsque l’employé n’a pas l’argent nécessaire pour se faire traiter. Pendant ce temps, les wagons de clinker prennent la direction du Ghana.
Bon à suivre.
Godson K.
Source : Liberté / libertetogo.info
Source : 27Avril.com