Les suites de l’interpellation et de la détention vendredi dernier, des journalistes Ferdinand Ayité et Joël Egah, respectivement directeurs de publication du journal ‘L’Alternative et Fraternité, ne sont ni reluisantes ni glorieuses pour notre pays le Togo. Le monde des médias à l’international, des organisations les plus crédibles de défense des droits humains, des acteurs politiques au plan national se sont dressés comme un seul homme contre cet acte maladroit qui participe à nouveau sombrer davantage, l’image de ce petit pays de l’Afrique de l’Ouest.
D’abord l’ONG Amnesty International a, dès lundi matin, sorti un communiqué jugeant arbitraire la détention des deux journalistes avant d’indiquer clairement que le pouvoir de Lomé « veut faire taire les voix critiques » dans le pays. Reporter San Frontières a également conclu à une détention arbitraire avant d’appeler instamment à la libération immédiate des journalistes incarcérés. Un journal de renom en France, en l’occurrence Le Monde conclut en ces termes, un article dans lequel il a repris le communiqué d’Amnesty.
“Dans ce pays de l’Afrique de l’ouest, les organes de presse sont régulièrement suspendus par la haute autorité de l’audiovisuel et de la communication (HAAC) à la suite des critiques contre le pouvoir”. Il se dégage de toutes ces positions publiquement affichées par ces organisations que le Togo se vend particulièrement moins cher dans le concert des nations par une série d’actes qui ne l’honorent guère et le plongent littéralement dans une forme d’abime qui ne dit pas son nom.
Dire d’un Etat moderne qui se veut républicain et démocratique, qu’il est réfractaire à la critique en ce 21ème siècle, est forcément une des injures les plus insupportables que tout citoyen lucide ne saurait laisser courir sans réagir. Ceci est d’autant plus vrai que la critique est l’élément de base qui fait avancer la pensée humaine, enrichit la réflexion et pousse les citoyens à l’excellence.
En d’autre termes, pour qu’un pays rassemblant des êtres humains puisse avoir la prétention d’œuvrer pour assurer son évolution, son développement et l’épanouissement de son peuple, il se doit, en premier, de créer un écosystème où se promeut librement la pensée critique, l’expression du point de vue, la libération effective et sans heurt de la parole au bénéfice des citoyens. Ainsi, de cette diversité d’opinions, de points de vue, de jugements ou d’appréciations, vont se dégager les pistes les plus intéressantes dont vont s’inspirer les dirigeants pour assoir les socles de leur gouvernance dans laquelle, finalement, la majorité des citoyens vont se retrouver. Voilà pourquoi, dans leur grande majorité, les pays du monde ont consacré le principe démocratique comme un modèle essentiel de gouvernance à partir duquel, tous les citoyens ont la liberté et la marge requise pour se faire entendre et se faire valoir au sein de leur société. Ainsi tous les pays qui ont réussi le pari de favoriser l’émancipation de la démocratie, ont effectivement amorcé leur développement qui s’adjoint immanquablement aussi, de l’épanouissement réel du peuple lui-même.
En tout, il faut bien le retenir pour de bon, que la critique est propre à l’esprit humain, elle est consubstantiellement intégrée au mécanisme de fonctionnement de l’être humain et constitue un des atouts qui le démarquent des autres espèces de la nature tout en lui donnant compétence à intervenir dans le processus de transformation de son environnement.
Cela dit, lorsque les journaux et les organisations internationales dont les réactions permettent à l’ensemble des citoyens du monde de se formuler une opinion sur la vie de chaque pays, disent que le pouvoir du Togo est réfractaire à la critique, l’on imagine volontiers ce qu’une telle perception crée dans l’esprit de chaque individu civilisé au plan international.
C’est une question de bon sens, une fois qu’il est établi que le pouvoir du Togo s’oppose par nature à la critique, c’est que ses dirigeants ne travaillent pas sincèrement pour l’évolution de la pensée et de la réflexion concernant le meilleur devenir du pays, puisque cette évolution est immanquablement tributaire de la critique elle-même, propre à tout esprit humain. Et étant entendu qu’aucun individu, vivant dans ce monde, n’est détenteur de la science infuse avec un don d’ubiquité et une capacité indiscutable à avoir solution à tous les défis qui peuvent se présenter à tout un peuple, il est de bon aloi que la critique soit naturelle et acceptée de fait par tous.
Voilà pourquoi tout le monde ou presque, est choqué par cet acte, de toute évidence maladroit, qui est posé contre les deux journalistes dont la seule faute a été d’avoir émis un point de vue critique sur ce que font ou sont supposés faire certains ministres ayant en charge, une portion du destin de l’ensemble du peuple togolais.
Dans un tel contexte où les dirigeants se montrent aussi sensibles aux questions d’outrages ou de diffamations, surgit naturellement une autre interrogation : Quelle est la perception exacte que les dirigeants ont de leur mission dans l’appareil directionnel de l’Etat ? Il semble opportun de rappeler, avant de répondre à une telle interrogation, qu’un Etat est un bien commun dont la vie et le devenir engage tous les citoyens à la fois. Ainsi un citoyen qui fait partie de l’appareil directionnel d’un tel Etat doit a priori savoir que dès lors qu’il agit pour le compte de tous les citoyens, sa personne et son nom ne doivent plus primer sur l’identité et le nom du pays pour le compte duquel il agit. C’est précisément en travaillant pour anoblir et glorifier le nom du pays qu’il sert, qu’en retour son nom à lui commence à retenir par un effet d’entrainement quasi naturel.
Par conséquent, servir l’État doit en effet, être perçu comme un sacerdoce qui sollicite du serviteur, un minimum de sacrifice impliquant forcément un effacement de sa propre personne, ou j’allais dire, de son ego au profit de l’image et de l’identité qu’il souhaite donner au pays lui-même.
Ainsi, lorsque qu’un problème se pose, l’approche pour le résoudre doit toujours tenir compte de cet impératif qui oblige le dirigeant à ne rien faire pour écorner cette image de noblesse et de gloire qu’il se doit, en tout temps et en toute lieu, de forger à son pays.
Pourquoi Ferdinand Ayité et Joël Egah n’ont-ils pas critiqué un particulier, un chef d’entreprise privée ou toute autre personne évoluant dans son propre compte ? Simplement parce que ceux-ci n’ont pas en main, la gestion du bien commun et ce n’est pas peu dire.
Tous ceux et celles qui souhaitent avoir une identité lisse, un nom propre et jamais entaché de jugements et de critiques, ne s’aventurent guère dans l’exercice de la gouvernance d’Etat. Ils s’en sortent aussi librement d’autant plus que ne devant rien à personne, personne en retour n’a le droit de fouiner dans leur vie privée pour prétendre en faire un sujet de critique. Mais dès l’instant où certains citoyens, pour une raison ou une autre, acceptent de se positionner comme responsables devant conduire tout un peuple vers une destination donnée, à partir des biens que celui-ci génère par son labeur, ils doivent s’attendre qu’à tort ou à raison, ce peuple puisse leur demander des comptes et porter des jugements sur eux et sur leurs actions en tout temps et en tout lieu.
Naturellement lorsque ces genres de situations arrivent, il appartient à l’intéressé de faire preuve d’élévation, d’ouverture d’esprit et de disponibilité à expliquer, à démontrer la véracité ou la fausseté des jugements qui sont portés contre lui afin, au besoin, de rectifier ce qui est rectifiable. Autrement, si de façon instinctive, il recourt aveuglement à la loi, elle-même biaisée et détenue par des gens dont lui aussi reconnait les multiples manquements, pour punir celui qui le juge, il aura nécessairement tort.
D’abord parce qu’il n’aura pas donné la preuve d’avoir compris la révolte qui anime le citoyen accusateur, ensuite parce qu’il donne nettement le sentiment d’abuser de son pouvoir pour écraser les citoyens impuissants qui n’ont rien d’autre que la parole, en vue de les étouffer au maximum et empêcher qu’ils n’aient un regard sur ce qui se fait en leur nom au sein de l’appareil directionnel de l’Etat.
Dans le cas d’espèce de Ferdinand Ayité et de Joël Egah, la situation est encore plus éprouvante pour les supposés plaignants d’autant plus que ceux-ci se réclament du Christ dont les valeurs humaines et spirituelles ont impacté et vont encore impacter indéfiniment l’humanité. Comment pourraient-ils se retrouver en ce dernier autrement qu’en incarnant ces valeurs et vertus qui sont sempiternellement exaltées par le monde religieux chrétien ?
Luc Abaki
Source : icilome.com