Togo, Décentralisation : Les Fondamentaux de Fabre à Boukpessi… Aouch, ça fait mal!

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On était dans ce pays un beau matin, les rues de Lomé sont inondées par des noms bizarres, genre rue crapaud, rue mangotiers, rue lézards etc sans que cela n’émeut le ministre de l’Administration territoriale et de la décentralisation. On était vers la fin des délégations spéciales qui faisaient office des communes au Togo depuis plus de 15 ans. Mais aujourd’hui, qu’une commune se propose de rebaptiser certaines rues de Lomé avec des noms pleins de symboles, le ministre Payadowa Boukpessi n’en veut pas et pour cela, il peut se permette de violer les lois de la République. Voici la belle leçon de la décentralisation du Maire de la Commune Golfe 4 au ministre Boukpessi

Le Maire de la Commune du Golfe 4

A
Monsieur le Ministre d’Etat,
Ministre de l’Administration Territoriale,
de la Décentralisation et du Développement
des Territoires à Lomé.
Lomé

Monsieur le Ministre d’Etat,

Nous venons par la présente, vous faire part de la situation que traverse le processus de décentralisation de notre pays, et qui préoccupe profondément le Conseil municipal de la commune du Golfe 4.

Le 22 avril 2022, le Conseil Municipal de la Commune du Golfe 4, réuni en session ordinaire, a adopté, à l’unanimité de ses membres présents, la délibération N°002/MATDDT/RM/PG/CG4 portant autorisation de modification des dénominations de certaines artères de la commune du Golfe 4.

Le 26 avril 2022, soit quatre jours après, vous avez rendu publique la note suivante N° 0086/MATDDT/SG-DDCL : « Je voudrais vous rappeler, que l’adressage des voies prévu dans la loi relative à la décentralisation et aux libertés locales, ne peut se faire que, conformément au cadre général pour l’exercice de cette compétence, qui fera l’objet d’un décret d’application comme le stipule l’article 385 de ladite loi. Toute initiative prise en la matière sans attendre ledit décret est nulle et de nul effet. Je sais compter sur vous pour le strict respect des dispositions ci-dessus ».

Cette note vise manifestement à annuler la délibération N° 002/MATDDT/RM/PG/CG4 du Conseil Municipal du Golfe 4, susmentionnée.

Il nous importe de vous rappeler à cet égard, que l’article 78 de la loi sur la décentralisation dénie à l’autorité de tutelle toute capacité d’annuler d’elle-même, les actes pris par les autorités locales. Cet article énonce en effet : « l’annulation des actes des autorités locales, relève de la compétence du juge administratif, sur saisine de l’autorité de tutelle ». Par conséquent, le Ministre de l’Administration Territoriale, de la Décentralisation et du Développement des Territoires, n’a aucun pouvoir propre, d’annuler de tels actes. Conformément à la loi relative à la décentralisation et aux libertés locales, ce pouvoir relève de la compétence exclusive du juge administratif qu’il vous est loisible de saisir.

Votre note N° 0086/MATDDT/SG-DDCL, prise en violation de la loi, est donc abusive et arbitraire. Elle cache mal les velléités du pouvoir en place de maintenir envers et contre tout, les vestiges et les pratiques du parti unique révolu, tout en prétendant œuvrer à la réconciliation nationale et à la promotion de la démocratie, du multipartisme et de l’Etat de droit.

Dans un Etat de droit, les cent dix-sept (117) maires du Togo, auxquels vous avez adressé cette « note aux maires » pour tenter d’annuler une délibération d’un Conseil municipal, au mépris de la loi, auraient tous protesté publiquement, comme un seul homme, contre ce manque de respect. Leur silence parle à l’opinion, du niveau de la prétendue « démocratie togolaise ».

Cette « note aux maires » est la dernière en date des violations de la loi que vous perpétrez pour perturber le fonctionnement du Conseil Municipal de la Commune du Golfe 4, du seul fait qu’il est dirigé par le chef d’un parti politique de l’opposition, déterminé à œuvrer à la cessation des mauvaises pratiques persistantes qui retardent l’évolution de notre pays.

En effet :

1. Le 28 décembre 2021, nous avons déposé pour approbation auprès du Ministre de l’Administration Territoriale, de la Décentralisation et du Développement des Territoires, après contrôle de légalité du préfet, le budget primitif exercice 2022. Malgré nos multiples relances, vous n’avez daigné approuver le budget, que le 29 avril 2022, soit quatre mois plus tard.

Or, l’article 354 de la loi sur la décentralisation dispose :

« Dans les trente jours (30) jours qui suivent la réception du budget primitif, du collectif budgétaire ou des autorisations spéciales, le ministre chargé de la décentralisation doit donner son approbation. L’approbation est réputée acquise si passé le délai de trente (30) jours, aucune suite n’est donnée » :

Vous avez donc gardé, par devers vous, notre dossier budgétaire, pendant plus de cent vingt (120) jours. Comme en représailles contre notre dénonciation du statut et des activités nuisibles de l’EPAM dont vous présidez le Conseil d’administration. Puisque vous avez fini par approuver le budget en l’état.

2. Le 21 mars 2022, vous nous avez adressé copie de votre arrêté N° 0030/MATDDT daté du 24 février 2022, portant transfert du patrimoine matériel et immatériel de l’ancienne commune de Lomé, non transféré, aux nouvelles communes de la préfecture du Golfe, au District Autonome du Grand Lomé (DAGL).

Au regard de l’article 316 de la loi relative à la décentralisation et aux libertés locales, qui énonce : « Le transfert des biens de l’Etat aux collectivités territoriales, est décidé par décret en Conseil des ministres, soit à la requête de ces collectivités territoriales, soit sur l’initiative de l’Etat lui-même », ce transfert effectué sur la base de votre arrêté, est illégal.

En clair, il ne vous est pas possible de prendre un arrêté pour procéder à un transfert que l’article 316 de la loi sur la décentralisation n’autorise que par un « décret pris en Conseil des Ministres ». En conséquence, le transfert de l’EPAM au DAGL, est nul et de nul effet.

Le plus surprenant au sujet de l’arrêté précité, est que vous savez pertinemment qu’il viole la loi. Et sa rédaction le prouve, d’autant plus que vous précisez à l’article 1er : « En attendant les décrets en conseil des ministres conformément aux articles 68 et 316 de la loi relative à la décentralisation et aux libertés locales […], le patrimoine matériel et immatériel de l’ancienne commune de Lomé, non transféré aux nouvelles communes de la préfecture du Golfe, est transféré au District Autonome du Grand Lomé (DAGL) ».

Mais parce que vous n’avez jamais reculé devant la violation de la loi et que vous êtes persuadé que les maires abreuvés de directives, d’instructions, d’arrêtés et de notes de toutes sortes, n’y comprennent rien, vous n’hésitez pas à procéder à ce transfert par arrêté. Appelant le Secrétaire Général du Ministère de l’Administration Territoriale, de la Décentralisation et du Développement des Territoires (MATDDT) à exécuter un arrêté que vous savez illégal. C’est gravissime !

Comment peut-on donc s’exonérer du respect d’une loi, au motif d’attendre que soient réunies les conditions de son respect ?

Nous relevons ainsi, pour ne citer que les plus récentes en date, que le Ministre de l’Administration Territoriale, de la Décentralisation et du Développement des Territoires s’autorise en moins de six mois, trois violations flagrantes et graves de la loi sur la décentralisation :

– violation de l’Art 354 : blocage du budget de la commune du golfe 4 ;

– violation de l’Art 78 : tentative d’annulation de l’adressage de certaines rues de la commune du golfe 4 par une « Note aux maires » ;

– violation de l’Art 316 : transfert de l’EPAM au DAGL par un arrêté, en lieu et place d’un décret en Conseil des ministres.

Ces violations témoignent d’une farouche volonté d’empêcher la « libre administration des collectivités territoriales », prescrite en titre, par le chapitre 1er de la loi sur la décentralisation.

L’arbitraire que manifestent ces incessantes violations de la loi, dément formellement les propos du chef de l’Etat, lorsqu’il déclare dans son allocution prononcée à l’occasion de la célébration du soixante-deuxième anniversaire de l’indépendance du Togo, le 27 avril 2022 : « Notre démocratie continue de se consolider, nourrie par notre volonté de poursuivre la construction d’un Etat de droit dans lequel chaque institution joue efficacement son rôle… ».

Car, la « volonté de poursuivre la construction d’un Etat de droit », comme le dit le chef de l’Etat, ne peut se traduire par la violation constante de la loi par la puissance publique. Ce qu’exprime la succession des violations de la loi, ce n’est pas un état de droit, mais plutôt un Etat de non-droit, le règne de l’arbitraire. Il est temps pour notre pays, de se débarrasser de ces vieux réflexes de parti unique que constitue la pratique permanente de la duplicité !

L’Etat de droit que le Chef de l’Etat dit appeler de ses vœux, ne tombe pas du ciel par une opération du Saint Esprit. Il résulte notamment des efforts quotidiennement consentis par la puissance publique pour respecter les lois qu’elle se donne. Sans ces efforts, l’Etat de droit n’est qu’un vœu pieux.

N’y a-t-il pas lieu de s’inquiéter encore, avec les populations, pour la régularité des conditions d’application des textes de lois régissant les élections, alors même que le Ministre de l’Administration Territoriale, de la Décentralisation et du Développement des Territoires à qui incombe la supervision de toutes les élections, s’illustre par cette fâcheuse propension à violer, sans état d’âme, les lois de la République, comme cela vient d’être démontré ?

Nous avons pris connaissance, sans surprise, du compte rendu du conseil des ministres en date du 30 mai 2022. Nous avons bien compris qu’il s’agit, dans la droite ligne de votre note N°0086/MATDDT/SG-DDCL en date du 26 avril 2022, de tout mettre en œuvre pour annuler la délibération relative à l’adressage. Selon ce compte rendu, un avant-projet de loi a été examiné pour modifier l’actuelle loi sur la décentralisation, en vue notamment de clarifier les compétences des communes.

Vous savez parfaitement que la loi sur la décentralisation dans sa version actuelle, s’agissant des compétences des communes, n’est ni confuse, ni insuffisante, pour qu’il soit nécessaire d’en clarifier certaines dispositions ou de les compléter. Les notions de compétence propre, transférée et partagée, sont claires. Vous savez parfaitement que le problème réside plutôt dans votre refus de la bonne application de vos propres lois, lorsque cette application par vos adversaires politiques, contrarie votre pratique permanente de l’arbitraire.

Si nous voulons que notre justice fonctionne correctement et s’améliore régulièrement, laissons-la appliquer nos textes de loi en toute indépendance, sous nos regards vigilants. Le Ministre de l’Administration Territoriale, de la Décentralisation et du Développement des Territoires devrait éviter de se substituer à l’autorité judiciaire en s’octroyant les fonctions et les pouvoirs que la loi attribue au juge administratif.

Nous souhaiterions avoir des relations saines, empreintes de respect mutuel avec notre ministère de tutelle. Mais nous ne pouvons accepter que le ministre de tutelle bafoue quotidiennement les prérogatives et les droits que la loi confère aux communes.

Voilà pourquoi, nous vous demandons de respecter la délibération N°002/MATDDT/RM/PG/CG4, du 22 avril 2022, du Conseil Municipal de la commune du Golfe 4, portant adressage de certaines rues de la commune, adoptée conformément à la loi. Qui plus est, à l’unanimité du Conseil Municipal. Nous vous invitons, au cas où vous contesteriez la régularité de cette délibération, à suivre la procédure prescrite par la loi en saisissant le juge administratif.

Veuillez agréer, Monsieur le Ministre d’Etat, l’assurance de notre considération distinguée.

Le Maire
Jean-Pierre Fabre

Source : 27Avril.com