« Si vous voyez un homme courir dans tous les sens, soit quelque chose le poursuit, soit il est à la poursuite de quelque chose », dit-on souvent dans le langage vulgaire. Pour Faure Gnassingbé, cette boutade prend toute sa signification dans les deux sens. Depuis le 19 août 2017, alors que le ciel semblait dégagé pour lui, un certain Tikpi Salifou Atchadam, tel un ouragan est venu assombrir le ciel. Ce coup de génie du PNP et de son leader a donné un nouveau souffle à l’ensemble de l’opposition à travers une coalition, la C14, qui continue de mettre en difficulté le régime cinquantenaire de Lomé aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur.
Le 4è round des discussions sur la crise togolaise entre la C14 et le régime, sous l’égide des médiateurs Nana Akufo-Addo et Alpha Condé, n’a pas été à la hauteur des attentes du pouvoir de Lomé, si on s’en tient aux termes du communiqué final. Les tentatives d’interprétation du sulfureux duo Bawara-Trimua sur les médias n’auront pas suffi à rassurer le camp UNIR. Sans triomphalisme, la C14 aura de son côté réussi à faire rappeler au régime les principes élémentaires de la liberté de manifestation sur l’ensemble du territoire y compris dans les villes assiégées ; la libération des personnes arrêtées dans le cadre des manifestations, la suspension du processus électoral, le maintien en fonction de l’Assemblée nationale. En attendant la fameuse feuille de route de la CEDEAO pour situer les acteurs de la crise, la C14 pourra reprendre les rues pour tester la bonne foi du régime avant le sommet du 31 juillet à Lomé. Le non-respect de ces points du communiqué final par le régime mettrait en difficulté Faure Gnassingbé avant le sommet du 31 juillet.
L’homme « simple » à la recherche du temps perdu
La situation est suffisamment grave pour que Faure Gnassingbé, qui avait retrouvé un semblant de sérénité reprenne son bâton de pèlerin cette fois-ci en direction du Nigeria et de la Côte d’Ivoire. Ces visites pompeusement qualifiées d’amitié, de courtoisie, ne semblent pas être une ballade des hommes heureux du côté des tenants du pouvoir de Lomé2. Il a suffi de voir la composition de la délégation coté togolais à Katsina au Nigeria et les mines patibulaires des indécrottables barons pour se rendre à l’évidence que ce n’est pas une partie de plaisir qui se joue actuellement. Sans rentrer dans les détails, il est de notoriété publique que le président du Nigeria MuhamaduBuhari est partisan de la fermeté contre le régime de Lomé qui constitue une curiosité pour l’espace CEDEAO.
Dans un espace communautaire où les appels à limiter le mandat présidentiel à deux se multiplient, ou parfois font l’objet de condamnation, comme au Niger, l’homme « Faure » de Lomé parait plus que jamais seul. Encore plus seul lorsque celui qui fera 15 ans de pouvoir en 2020 est lui-même successeur de son père qui a tenu d’une main de fer le pays durant 38 ans. Aucun président actuel dans l’espace CEDEAO n’a eu ce privilège d’avoir eu un géniteur président.
La cause de Faure Gnassingbé qui cherche à rallier certains de ses pairs à son ambition d’un 4è mandat alors que ces derniers ne peuvent même s’offrir un troisième dans leur pays, est difficile à défendre. Les partisans d’un long règne ou d’un règne à vie à la tête des pays au sein de la CEDEAO sont des espèces en voie de disparition. Il ne passe de jour où certains chefs d’Etat ne pourfendent ostensiblement ces pratiques d’une autre année. Le dernier en date à s’insurger contre cette pratique est le président mauritanien.
En marge du sommet de l’UA tenu à Nouakchott du 1er au 2 juillet, dans une interview accordé à la chaine France 24, il déclare ceci : « Ceux qui modifient la constitution en vue de se maintenir au pouvoir ne sont pas des dignes fils de l’Afrique. Ils ne sont pas faits pour diriger des êtres humains », avant de préciser qu’il ne briguerait pas un troisième mandat en 2019. Les oreilles de Faure Gnassingbé présent à cette conférence de l’UA dans la capitale mauritanienne ont dû certainement siffler à la lecture de cette déclaration de Mohamed Ould Abdel Aziz, qui a d’ailleurs eu un passé de putschiste récidiviste. La France semble elle aussi prendre désormais ses distances, du moins de manière officielle. Après sa surprenante déclaration à Montréal suite à une interpellation d’un Togolais de la diaspora ; Emmanuel Macron en visite mardi et mercredi au Nigeria, évoquera la crise togolaise avec son homologue nigérian Muhammadu Buhari. En avril 2005, la France de Chirac était au cœur d’un complot international avec le Nigeria d’Olusegun Obansanjo, le Niger de Mamadou Tandja, la CEDEAO et bien d’autres pour imposer le fils d’Eyadema dans un bain de sang.
A Lomé, Faure et ses amis avaient rassuré leurs soutiens qu’il ne cherchait qu’à terminer le mandat de son père ou au mieux, faire un seul mandat pour éviter que les Togolais ne règlent les comptes à sa famille et aux partisans du régime. Plus de 13 ans plus tard, soit au troisième mandat, il rêve d’un bail à vie à la tête du pays. Il devra certainement le faire cette fois-ci seul, puisque les soutiens, que ce soit de la France où des pays africains, se font discrets pour ne pas dire rares.
Le doute s’installe à l’UNIR
Malgré les apparences, l’allure que prennent les évènements inquiète au sein du parti au pouvoir. Au-delà des déclarations, des positions tranchées ou du zèle de certains cadres de la dernière heure, les plus futés en politique ou les plus lucides commencent à se poser des questions sur ce qui se passera d’ici 2020. Même si les barons vieux comme jeunes, civils comme militaires ne sont pas souvent prolixes, certains en privé qui craignent un suicide collectif à la façon de Laurent Gbagbo ou de Blaise Compaoré ne s’empêchent pas d’esquisser des pistes de solutions allant jusqu’à souhaiter un départ en douceur de l’homme « Faure » en 2020. « Si nous en sommes là, c’est par notre propre faute. On aurait pu avec ou sans l’opposition depuis 2006, faire des reformes même à minima qu’on ne serait pas acculés en aujourd’hui », a lâché en privé un baron et pas des moindres. Et un autre d’ajouter : « Le Président Faure Gnassingbé avait toutes les chances de réussir, d’opérer une rupture avec le passé, mais il s’est rapidement entouré de ses amis et a adopté une attitude de complaisance vis-à-vis de la corruption, des pratiques qui révoltent de plus en plus des Togolais y compris au sein du parti ».
Il est trop tôt pour mesurer l’influence de ceux qui commencent par réfléchir de la sorte au sein de ce parti. Mais une chose est certaine, dans cet environnement d’hypocrites, ils sont certainement nombreux et n’hésiteront pas à tourner leurs vestes au moment venu s’ils ne l’ont pas déjà fait. Nous sommes au cœur d’un jeu de dupes parce qu’en réalité, nombreux sont ceux qui se rendent à l’évidence que dans le contexte actuel ,un régime de 50 ans incarné par une seule famille n’a pas d’avenir. Incontestablement, Faure Gnassingbé est à la croisée des chemins.
Au-delà des conseils de ses collègues chefs d’Etat, des exigences de la population relayées par les leaders de la C14, du doute qui s’installe dans son propre camp, des soutiens à l’extérieur qui se font rares, il lui revient de choisir la voie par laquelle il pense quitter la scène en 2020. Un entêtement de sa part conduirait forcement à un suicide collectif en ce sens que les dessous de cartes qui se jouent actuellement ne sont pas en sa faveur, loin de là. A moins que l’opposition qui traine à construire une offre politique viable, crédible et réaliste portée par un homme ou un groupe d’hommes capable de tenir le pays après 50 ans de dictature, ne décide, comme par les turpitudes du passé, à lui accorder une prolongation au Palais de la Marina…
Source : L’Alternative No.716 du 3 juillet 2018
27Avril.com