«Nulle part, dans tout l’arsenal juridique et règlementaire du Togo, il n’est de disposition qui fonde la compétence de la HAAC à prendre une décision qui produirait des effets juridiques à une autre décision rendue par une juridiction, comme c’est le cas pour la décision n°27/HAAC/23/P portant suspension de Liberté.» Yves Galley (afrikdepeche)
Nous savons que «comparaison n’est pas raison», certes. Mais n’est-ce pas une loi de la nature que pour évoluer, dans quelque domaine que ce soit, il faut prendre le bon exemple de celui qui se trouve devant soi? C’est pour éviter que le pouvoir politique, donc l’état ne se mêle des affaires de la presse en votant une loi pour la réguler, que le «Deutsche Presserat» (Le Conseil de la Presse Allemande) fut créé le 20 novembre 1956 en s’inspirant du «Press Council» anglais, (aujourd’hui: «Press Complaints Commission»). Cette organisation qui agit comme une association de la société civile regroupe les grandes fédérations de journalistes et d’éditeurs de presse. Son siège se trouve depuis juin 2009 à Berlin. Comme on le voit, avec le Presserat (Conseil de la Presse Allemande) qui a pour rôle la défense de la liberté de la presse, et qui a également mis sur pied le code de la presse (Pressekodex) pour s’auto-discipliner et s’auto-contrôler, la presse allemande avait très tôt pris soin de se prémunir contre les velléités liberticides du pouvoir politique.
Revenant à nos moutons ou plutôt à notre Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication (HAAC) du Togo qui fait encore parler d’elle avec la suspension du quotidien Liberté et de Tampa-Express pour trois mois à compter de jeudi 02 février 2023, nous constatons malheureusement que l’organisme régulateur de la presse, trop politisé parce que justement mis sur pied et contrôlé par le pouvoir politique, ne peut que nous amener à de tels dégâts dévastateurs de la liberté de la presse et de la liberté tout court. La HAAC, plus royaliste que le roi? C’est l’impression que nous avons après avoir lu les uns et les autres mieux versés dans la chose juridique, et après avoir surtout contacté le directeur de publication du quotidien lésé dans ses droits. Pour Médard Amétépé la même affaire, d’après le comportement de la HAAC, fut jugée deux fois. Le responsable du seul quotidien privé au Togo estime avoir formé un pourvoi en cassation après que la Cour d’appel de Lomé a rendu son arrêt. Un pourvoi en cassation qui a un effet suspensif selon l’article 20, alinéa 3 de la loi portant organisation de la Cour d’appel. Les choses devraient s’arrêter là, et la HAAC ne peut plus normalement se prévaloir d’aucune compétence pour se réunir en plénière pour juger la même affaire et décider d’une date de suspension. Ce qui est synonyme d’un abus. Selon un autre commentateur le journal Liberté se trouverait ainsi pris en étau entre la justice et la HAAC.
La pompeusement dénommée Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication (HAAC), normalement organe de régulation de la presse, depuis sa création n’a brillé que par la suspension et même l’interdiction de parution ou de diffusion de médias privés. Les journaux «La Nouvelle» de Bonéro Lawson, «L’indépendant Express» de Carlos Kétéhou, la radio «Légende FM» et la chaîne de télévision «LCF», qui durent mettre la clé sous le paillasson, jetant ainsi plusieurs dizaines de citoyens togolais dans la précarité, en savent quelque chose. Pourtant voici ce que dit la loi: « La Haute Autorité de l’audiovisuel et de la communication, ci-après dénommée HAAC est une institution indépendante vis-à-vis des autorités administratives de tout pouvoir politique, de tout parti politique, et de toute association et de tout groupe de pression ». Mais quand on regarde de plus près ce que dit la loi organique de la HAAC, modifiée le 23 novembre 2021 par l’assemblée nationale aux ordres, on bute sur une grande contradiction quant à la supposée indépendance de cette institution par rapport au pouvoir politique. Article 6: La HAAC comprend neuf (9) membres… dont trois (3) désignés par le Président de la République; six (6) élus par l’Assemblée Nationale dont quatre (4) sur la liste proposée par les organisations les plus representatives des journalistes et techniciens de la communication. Où se trouve alors l’indépendance des membres de l’organisme régulateur de la presse à partir du moment où ils sont presque tous cooptés par le pouvoir politique? C’est connu que la part belle est réservée à d’anciens journalistes ayant servi dans les médias d’état dont la fidélité au régime en place n’est plus à démontrer. Dans cette bergerie rampante devant le système en place, Zeus Aziadouvo fut une exception; lui dont on croyait faire taire le quotidien le plus critique contre le régime Gnassingbé, en le nommant à la HAAC, a non seulement su trouver un remplaçant pour tenir de main de maître la rédaction de »Liberté», mais a pu surtout résister aux tentatives de phagocytage au système décrié qui n’auraient pas manqué. Et à la fin il démissionne pour marquer sa désapprobation du fait que l’institution de régulation de la presse ait outre-passé ses compétences en allant trop vite en besogne dans la suspension du quotidien « Liberté ». Il mérite notre sympathie et nos encouragements.
Nous sommes donc ici en présence d’une loi qui porte en elle-même sa propre contradiction et les germes de son inefficacité. Les conditions et surtout le mode de désignation des membres de la HAAC sont tels que nous ne pouvons qu’arriver à la catastrophe actuelle que constitue l’assassinat de la liberté de la presse par ceux qui sont théoriquement supposés la protéger. Nous donnions au début de notre propos l’exemple de l’Allemagne où une décennie après la 2e guerre mondiale, en 1956, les fédérations de journalistes et d’éditeurs de presse s’étaient organisées en «Deutsche Presserat» (Conseil de la presse allemande), une sorte de structure d’auto-discipline et d’auto-contrôle, pour éviter que le pouvoir politique n’interfère dans le domaine de la presse afin de préserver sa liberté. Le Conseil de la presse allemande avait également mis sur pied le «Pressekodex», le code de la presse. Au Togo les associations nationales de journalistes s’étaient réunies le 05 novembre 1999 pour créer l’Observatoire Togolais des Médias (OTM), qui à son tour a mis sur pied le code de déontologie des journalistes du Togo où sont listés les droits et devoirs du journaliste togolais. En principe, avec l’OTM et le code de déontologie dont nous avons parcouru les contenus, la presse togolaise possède les instruments parmi les plus modernes de la sous-région pour sa propre régulation. Il suffit que le pouvoir politique cesse de vouloir tout contrôler. Dans ce cas aurait-on encore besoin de la HAAC?
Samari Tchadjobo
Allemagne
Source : Icilome
Source : Togoweb.net