Le phénomène de délestage revient en force en ce début d’année 2023. Dans le même temps, des décisions portant sur des commandes publiques passées par la Compagnie énergie électrique du Togo (CEET) font état de collusion dans les offres entre entreprises attributaires d’un groupement d’une part, et production de fausses attestations de bonnes fins d’exécution d’autre part. Et quand on se rappelle que l’ancien directeur général a également été évincé dans le cas d’une autre commande publique, on peut se demander si les organes de passation au sein de cette autorité contractante sont devenus des passoires par lesquels tout passe.
Deux décisions du Comité de règlement des différends (CRD) prises le même jour pour une seule autorité contractante.
Décision n° 066-2022/ARMP/CRD du 23 décembre 2022
Les faits
Par lettre n° 200/PRMP/DG/CEET /2021 datée du 31 décembre 2021, la PRMP de la CEET a, faisant suite à la recommandation de la Direction nationale du contrôle des marchés publics, saisi l’Autorité de régulation des marchés publics (ARMP) d’une demande d’investigation portant sur des faits de production de fausses attestations de bonne fin d’exécution et de collusion commis par les soumissionnaires DAZA INTERNATIONAL GHANA LIMITED et BEST AFRICA TELECOM & CONSTRUCTION (BATC) dans le cadre de l’appel d’offres international n° 007/DFC/PRMP/DG/CEET/2021 du 04 mai 2021 relatif à l’acquisition de câbles de branchement.
Au reçu de cette demande d’investigation, l’ARMP a procédé à l’instruction de l’affaire qui s’est achevée par la rédaction d’un rapport contenant les conclusions.
Procédure
Les nommés ABOUBAKAR Nouroudine et ABOUBAKAR Sabrath Toureh ont été invités à comparaître par devant le Comité de règlement des différends pour le vendredi 23 décembre 2022 à 15 heures précises ;
Aux date et heure sus-indiquées a comparu le nommé ABOUBAKAR Sadath agissant en représentation du sieur ABOUBAKAR Nouroudine.
Les moyens développés par le directeur de la société BEST AFRICA TELECOM & CONSTRUCTION (BATC)
Au cours de son audition lors de l’instruction du dossier, le Directeur de la société BATC, Monsieur ABOUBAKAR Nouroudine, a déclaré :
-au rang des attestations fournies dans l’offre de sa société, celle relative à la fourniture des matériels électriques dans le cadre du projet d’électrification de 32 localités rurales dans le nord du Ghana délivrée par la société ADZEPA n’est pas authentique ;
-cette attestation a été contrefaite pour que sa société puisse satisfaire à l’exigence de marché similaire requise dans le dossier d’appel d’offres ;
-il a créé la société DAZA INTERNATIONAL GHANA LIMITED au nom de sa fille ABOUBAKAR Sabrath Toureh qui en est la promotrice ;
-suite à la découverte d’une malversation commise par monsieur ARIMIYAW Lalana, ce dernier a quitté la société DAZA INTERNATIONAL GHANA LIMITED et est, dès lors, demeuré introuvable ;
-il implore la clémence de l’ARMP.
Les moyens développés par la directrice de la société DAZA INTERNATIONAL GHANA LIMITED
Au cours de son audition lors de l’instruction du dossier, la Directrice de la société DAZA INTERNATIONAL GHANA LIMITED, Madame ABOUBAKAR Sabrath Toureh, a déclaré :
-la société DAZA INTERNATIONAL GHANA LIMITED a pris part à l’appel d’offres international concerné, en juin 2021, à l’époque où le sieur ARIMIYAW Lalana occupait la fonction de Directeur de ladite société ;
-c’est ce dernier qui a signé la lettre de soumission de l’offre soumise dans le cadre de la procédure dont s’agit ;
-étant donné qu’elle n’a pris la direction de la société DAZA INTERNATIONAL GHANA LIMITED qu’au mois d’août 2021, elle ne saurait se prononcer sur le contenu de l’offre concernée.
Sur les faits de collusion reprochés aux sociétés DAZA INTERNATIONAL GHANA LIMITED et BATC
Aux termes des dispositions du 1er tiret de l’article 132 du code des marchés publics, l’entrepreneur, le fournisseur, ou le prestataire de services, encourt sur décision de l’autorité de régulation des marchés publics, les sanctions, lorsqu’il a, entre autres, procédé à des pratiques de collusion entre soumissionnaires afin d’établir les prix des offres à des niveaux artificiels et non concurrentiels et de priver l’autorité contractante des avantages d’une concurrence libre et ouverte ;
L’analyse des attestations contrefaites des soumissionnaires DAZA INTERNATIONAL GHANA LIMITED et BATC, il apparait que l’adresse de la société ADZEPA mentionnée sur l’attestation délivrée à la société BATC est identique à celle de la société DAZA INTERNATIONAL GHANA LIMITED figurant sur l’attestation présumée établie en entier par la société ECG ;
L’examen des offres des deux sociétés révèle que les prix des offres proposés par DAZA INTERNATIONAL GHANA LIMITED et BATC s’élèvent respectivement à 1 144 000 000 de francs CFA TTC et à 1 104 000 000 de francs CFA TTC pour le lot n° 1 et à 117 670 000 de francs CFA TTC et à 119 280 000 de francs CFA TTC pour le lot n° 2 ;
Il résulte de la comparaison desdits prix qu’il y a une légère différence entre ceux-ci tant aussi bien au lot n° 1 qu’au lot n° 2 ; que cette similitude de prix fait légitimement admettre que les prix ont été établis dans des conditions quasi identiques pour ne pas offrir un champ assez large de prix véritablement concurrentiels à l’autorité contractante ;
De plus, dès lors que les candidats DAZA INTERNATIONAL GHANA LIMITED et BATC sont liés par un lien de parenté ascendant-descendant d’autant plus que les deux entités ont été créées par les soins du sieur ABOUBAKAR Nouroudine, qu’il s’ensuit que les sociétés DAZA INTERNATIONAL GHANA LIMITED et BATC ont commis des faits de collusion prévus et sanctionnés par l’article 132 susvisé ;
Au regard de tout ce qui précède, il se dégage que les sociétés DAZA INTERNATIONAL GHANA LIMITED et BATC ainsi que leurs dirigeants sociaux de droit et de fait, notamment messieurs ABOUBAKAR Nouroudine et ARIMIYAW Lalana ont commis des faits de collusion et de déclarations mensongères dans le cadre de la procédure concernée en violation des articles 51 et 132 du code des marchés publics ;
Toutefois, vu que la nommée ABOUBAKAR Sabrath Toureh n’étant pas à la tête de la société DAZA INTERNATIONAL GHANA LIMITED au moment de la soumission de son offre, il y a lieu de la mettre hors de cause.
Décision n° 067-2022/ARMP/CRD du 23 décembre 2022 sur des faits de production de fausses attestations de bonne fin d’exécution par le groupement HEXCELL/GLOBAL dans le cadre de l’exécution du marché N° 01114/2019/AOI/CEET/F/IDA du 11 décembre 2019
Les faits
A l’issue de l’appel d’offres international n° 016/DEP/PRMP/DG/CEET/2018 déroulé, en 2018, suivant les directives de la Banque mondiale, la CEET a conclu le 11 décembre 2019 avec le groupement HEXCELL/GLOBAL le marché relatif à la mise en œuvre d’un système de protection de revenus (fourniture, installation et mise en exploitation) qui lui a été notifié le 13 décembre 2019.
Le 26 mai 2020, le mandataire du groupement HEXCELL/GLOBAL, la société GLOBAL, a signifié à la CEET que son partenaire SHENZHEN HEXCELL ELECTRONIC TECHNOLOGY COMPANY LTD n’est plus en mesure de lui fournir les produits sollicités en raison des restrictions sanitaires dues à la covid- 19. En guise de solution, ce groupement a proposé à la CEET que les fournitures concernées soient livrées par un nouveau partenaire dénommé DONSUN.
La CEET a accepté ladite proposition tout en réclamant au groupement tous les documents qui établissent la capacité de ce nouveau fournisseur à livrer des produits conformes à ceux sollicités.
Le 15 juillet 2021, le groupement HEXCELL/GLOBAL a transmis à la CEET des documents dont sept (07) attestations de bonne fin d’exécution présumées avoir été délivrées à la firme DONSUN.
Aux fins de vérification, la CEET a adressé des demandes d’authentification à la Banque mondiale et à la société Global Evolution Lighting de la Tunisie présumée avoir délivré certaines des attestations. Des lettres réponses reçues, il ressort que ces attestations sont fausses.
C’est sur la base des conclusions de ces investigations que le Directeur général de la CEET a saisi l’ARMP pour qu’elle procède à des investigations plus approfondies et sanctionne le groupement HEXCELL/GLOBAL pour des faits de fraude. .
Par ailleurs, la CEET, se fondant sur ces faits de déclarations mensongères, a résilié, en septembre 2021, le marché attribué audit groupement.
Procédure
La nommée SEGBOHOE Afi, mandataire du groupement HEXCELL/GLOBAL, a été invitée à comparaître par devant le Comité de règlement des différends pour le vendredi 23 décembre 2022 à 15 heures précises ;
Aux date et heure sus-indiquées, la susnommée a comparu, assistée des sieurs BASSOWOU Komlan et AMIDOU Fassassi, respectivement actionnaire et directeur technique de la société GLOBAL EVOLUTION TOGO.
Au cours de son audition, la gérante de la société GLOBAL, madame SEGBOHOE Afi, a déclaré que:
– le marché attribué au groupement HEXCELL/GLOBAL a été résilié par la CEET pour raison de production de faux documents ;
– suite à l’interpellation du groupement par la CEET au sujet du caractère falsifié des attestations de la société DONSUN, le responsable de cette dernière a été aussitôt contacté;
– celui-ci a reconnu que sa société a seulement fourni les compteurs aux structures présumées avoir délivrées lesdites attestations mais pas le système ;
– la société DONSUN leur a adressé une lettre visant à leur présenter ses excuses pour le désagrément que sa société leur a causé ;
– en conséquence, les faits de fraude commis par DONSUN ne devraient pas être imputés au groupement HEXCELL/GLOBAL.
Il importe de souligner que la susnommée a transmis à l’ARMP, à l’issue de son audition, une lettre du groupement HEXCELL/GLOBAL datée du 28 janvier 2022 comportant des observations sur la lettre du Directeur général de la CEET. Dans cette lettre, la susnommée a indiqué que:
– suivant la lecture combinée de l’article 35.1(iii) du CCAG et du point 2.2 a(ii) de l’annexe du CCAG, les faits de fraude ne sont constitués que s’ils sont commis par le titulaire du marché alors qu’en l’espèce, il est clairement établi que c’est leur partenaire DONSUN qui en est l’auteur ;
– étant donné que la société DONSUN a reconnu que les attestations de bonne fin d’exécution sont effectivement émaillées d’irrégularités et que le groupement n’avait manifestement aucun moyen pour vérifier leur authenticité, la demande d’investigation adressée à l’ARMP doit être déclarée inopportune ;
– dans la mesure où la procédure concernée est régie par les directives de la Banque mondiale qui ont déjà établi un régime de sanctions relatif aux actes de fraude, il revient exclusivement à la Banque mondiale de sanctionner lesdits faits reprochés au groupement si ceux-ci sont avérés ;
– dans ces conditions, l’ARMP doit se déclarer incompétente pour prononcer une quelconque sanction et ce, en lieu et place de la Banque mondiale ;
– si par extraordinaire, l’ARMP se déclare compétente pour sanctionner le groupement HEXCELL/GLOBAL, elle fait observer que la qualification des actes reprochés au groupement fait l’objet d’une contestation dans le cadre d’une instance arbitrale pendante devant la Cour d’Arbitrage du Togo (CATO) ;
– sur cette base, elle demande à l’ARMP de surseoir à prononcer une quelconque sanction à l’égard de leur groupement tant que la CATO régulièrement saisie n’a pas encore statué sur le bien-fondé des demandes dudit groupement.
Décisions
Dans le cas de la décision n°066-2022, le CRD dit que les sociétés DAZA INTERNATIONAL GHANA LIMITED et BEST AFRICA TELECOM & CONSTRUCTION et leurs dirigeants sociaux ont commis des faits de déclarations mensongères et de collusion prévus et punis par l’article 132 du code des marchés publics et délégations de service public ; en conséquence, ordonne l’exclusion des sociétés DAZA INTERNATIONAL GHANA LIMITED et BEST AFRICA TELECOM & CONSTRUCTION et de leurs dirigeants sociaux de droit et de fait, notamment messieurs ARIMIYAW Lalana et ABOUBAKAR Nouroudine de toute participation à la commande publique pour une durée de deux(02)ans ; met, en revanche, hors de cause la nommée ABOUBAKAR Sabrath Toureh ; dit que les pièces du dossier ensemble avec la présente décision seront transmises à monsieur le Procureur de la République près le Tribunal de première instance de Lomé.
Dans la décision n°067-2022, le CRD dit que les sociétés GLOBAL EVOLUTION TOGO et SHENZHEN HEXCELL ELECTRONICS TECHNOLOGY CO. LTD et leurs dirigeants sociaux ont commis des faits de déclarations mensongères prévus et punis par l’article 132 du code des marchés publics et délégations de service public ; en conséquence, ordonne l’exclusion des sociétés GLOBAL EVOLUTION TOGO et SHENZHEN HEXCELL ELECTRONICS TECHNOLOGY CO. LTD et de leurs dirigeants sociaux de droit et de fait, notamment les nommés SEGBOHOE Afi et STANLEY SUN de la commande publique pour une durée de trois (03) ans ; dit que les pièces du dossier ensemble avec la présente décision seront transmises à monsieur le Procureur de la République près le Tribunal de première instance de Lomé.
Source: Liberté / libertetogo.info
Source : 27Avril.com