Togo, C14 – Grand Mouvement Citoyen : il faut associer les dissidents du régime

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« On ne conduit le peuple qu’en lui montrant un avenir : un chef est un marchand d’espérance. » Napoléon Bonaparte, Empereur, Général, Homme d’État (1769 – 1821)

Togo, C14 – Grand Mouvement Citoyen : il faut associer les dissidents du régime

Selon les politologues, l’efficacité d’un parti ou mouvement politique repose avant tout sur des alliances qu’il noue. Alliances internes et externes, dans le pays et hors du pays. C’est aussi le cas pour une coalition de partis ou de mouvements politiques. Mais s’il y a une leçon à tirer de l’épisode du 20 décembre 2018 de la crise togolaise, c’est ceci : les alliances externes dont dispose l’opposition togolaise (C14) ont montré leurs limites. Il ne s’agit pas bien sûr pas de son alliance avec la « diaspora togolaise », qui n’a pas varié, mais plutôt avec des acteurs non-Togolais, génériquement appelée communauté internationale. À l’heure actuelle, l’intérêt pour une autre alliance avec cette communauté est au point mort. Maintenant que la C14 se transforme (ou veut se transformer) en un « Grand Mouvement Citoyen », il est impérieux de revenir sur les alliances internes et ce qu’elles peuvent apporter pour la victoire finale.

Si l’on s’en tient à ce qui se dit de plus en plus sur les réseaux sociaux, les Togolais voient l’efficacité de la C14 dans la lutte pour l’alternance dans trois alliances stratégiques sur le plan national.

D’abord l’alliance avec la société civile, c’est-à-dire avec les acteurs et animateurs de l’arène public qui ne cherchent pas le pouvoir politique (la précision est importante au regard des togolaiseries habituelles).

Ensuite l’alliance avec certains « ennemis », c’est-à-dire ceux qui, dans le camp d’en face rêvent d’un destin autre que celui auquel le statut quo les condamne (il n’y a pas que des suiveurs au RPT /UNIR, loin de là).

Et enfin l’alliance avec des institutions dont le soutien est incontournable comme le secteur privé, ou l’armée (pour préciser la pensée de certains compatriotes).

Analysons donc le potentiel de ces alliances.

L’alliance entre la C14 et la société civile est déjà scellée et a jusqu’ici résisté à bien des aléas. Au point que Jean-Pierre Fabre appelle les Togolais à reprendre la lutte dans le cadre d’un « grand mouvement citoyen », qui n’est qu’une appellation de cette alliance-là. Cette alliance peut durer aussi longtemps que les partis politiques ne se donnent plus le luxe de brimer les acteurs de la société civile comme ils l’ont fait depuis la fin de grève générale illimitée en 1993. Pour rappel, cette grève était l’œuvre du COD 2 (partis politiques) et du Collectif des Syndicats Indépendants (CSI, société civile). L’alliance entre la C14 et la société civile, assez solide pour le moment, peut être renforcée pour un résultat décisif si la C14 accepte accompagner systématiquement les initiatives de la société civile comme cette dernière le fait pour la C14. Mais cibler les acteurs de la société civile dans les traditionnelles querelles d’ego réduira l’efficacité de cette alliance.

Arguant que la C14 est minée par les querelles d’égo et les calculs politiciens, certains activistes et analystes soutiennent que la C14 doit se mettre carrément à l’écart pour laisser la société civile diriger et faire aboutir la lutte pour l’alternance. Ce serait une erreur monumentale, car au Togo, la société civile n’a pas la même force de mobilisation que les partis politiques. C’est le constat que nous devons toujours avoir à l’esprit. Dans le même temps, les politiques (la C14) doivent envoyer des signaux clairs à la société civile sur la manière dont cette dernière sera traitée dans la vie publique après l’alternance, et en quoi ce sera différent de la réalité actuelle. Cela nous amène à l’inévitable nécessité d’une offre politique que certains se refusent à aborder.

L’alliance entre la C14 et les dissidents (ou futurs dissidents) du régime, c’est-à-dire ceux qui ont fait ou feront défection si la fin du règne familial paraît incertaine. Et ils sont nombreux à souhaiter la fin d’un règne dans lequel ils joueront toujours les seconds rôles. Cette alliance est susceptible de revigorer l’efficacité de la C14 d’une manière considérable. Beaucoup ne le savent pas ou n’y pensent pas, mais la révolution burkinabè n’aurait sûrement pas réussi si, face au rêve du pouvoir à vie de Blaise Compaoré, ses amis de longue date et camarades de parti Christian Kaboré, Salif Diallo et autres n’avaient pas fait défection. C’est leur apport – financier, moral, tactique et stratégique – à l’opposition traditionnelle dirigée par Zéphirin Diabré qui avait permis à cette opposition de jouer le rôle qui fut le sien dans la chute du régime. Sans ces dissidents du CDP (ex-parti au pouvoir) aux côtés de l’opposition, Compaoré aurait réprimé les manifestations, organisé son référendum et serait encore au pouvoir ; la CEDEAO quant à elle aurait fermé les yeux.

Pour favoriser une telle alliance, Il faudrait que la C14 enterre sa pratique d’ostracisme de tous ceux qui se sont désolidarisés du régime après l’avoir servi. Qu’ils soient au Togo ou en exil, il urge que la C14 constitue une alliance avec eux, et leur montre qu’ils ont un avenir avec elle. C’est un défi de leadership que le Burkinabè Zéphirin Diabré avait su relever pour mettre les nouveaux venus (Kaboré et compagnie) à l’aise. Il se peut que les dissidents du régime encore présents au Togo soient réticents, mais si ceux de l’extérieur commencent à bouger, il y aura un effet d’entraînement. Si les leaders de la C14 ou du Grand Mouvement Citoyen hésitent ou se refusent à envisager cette alliance avec les dissidents du régime, alors il faudrait s’attendre à ce que le régime débauche des opposants pour les transformer en « proposants » ou « podosants ». Pour que la nouvelle phase de lutte promise par la C14 aboutisse, il est important d’exploiter toutes les fissures au sein du régime, aussi minimes soient-elles.

Voilà donc deux des trois axes de l’alliance que la C14 peut nouer sur le plan national pour recouvrer du poil de la bête après le fiasco de sa subordination à la CEDEAO, ou pour tout dire, à certains membres de la CEDEAO. Je reviendrai avec les contours de l’alliance avec le secteur privé et l’armée. La lutte doit continuer, et les Togolais ont encore besoin de croire en la C14. Elle de son côté doit leur donner les raisons de croire en elle. Ceci n’est pas une critique, pas une attaque et pas une leçon à qui que ce soit ; c’est ma contribution au débat.

A. Ben Yaya,
New York, 9 janvier 2019

27Avril.com