Les dialogues politiques, le Togo en dénombre plus d’une vingtaine. Souvent organisés en prélude aux consultations électorales, ces dialogues n’ont servi en réalité qu’à légitimer des coups de force électoraux auxquels le Togo semble malheureusement coutumier. Depuis, le dernier trimestre de l’année 2020, visiblement pour étouffer la rengaine au sortir d’une présidentielle empreinte de toutes les incongruités du monde, le ministre de l’Administration territoriale et de la décentralisation a cru bon de lancer un nouveau dialogue. Si ces concertations sont pratiquement ignorées des togolais non remis de la forfaiture du 22 février 2020, il est utile de questionner les attentes au sortir de cette messe des initiés. Après la dilution de la loi sur les manifestations publiques, Payadowa Boukpessi est entrain de gagner l’autre pari : diluer le sens des dialogues politiques.
Les vertus d’un dialogue politique sain pour une démocratie sont démontrées, point n’est besoin de les rappeler, mais ici au Togo, tout laisse à croire que ces conclaves participent à du cosmétique pour une dictature lancinante et féroce. A ces occasions où le pouvoir donne l’impression de faire profil bas, les grands maux qui minent le vivre ensemble sont abandonnés au profit d’un marchandage qui ne dit pas son nom. Il ne manque que les tasses de thé et les pâtisseries de dame Yérima (la directrice des affaires financières du ministère de l’administration territoriale) pour qualifier le spectacle qui se produit au cabinet de Payadowa Boukpessi de bal des repus. L’hôte des lieux, tellement confiant en ses méthodes de passage en force, ne boude pas son plaisir de retrouver ce parterre de politiciens réfractaires au changement à la tête de leurs organisations politiques. Ne dit-on pas souvent que les oiseaux de même plumage volent toujours ensemble ?
La rédemption des nouveaux alliés
Ils sont plus d’une vingtaine de partis politiques à participer à ce dialogue. De sources proches du ministère de l’Administration territoriale, le critère de participation édicté par le régime RPT/UNIR est d’avoir participé à l’une des trois dernières consultations électorales. Le spectacle offert par la Télévision nationale à la rentrée de ces pourparlers est évocateur. Voir Patrice Lawson de l’ANC, Dodzi Apévon des FDR, Antoine Folly de l’UDS-Togo et autres Abass Kaboua, Gerry Taama, Séna Alipui ou encore Innocent Kagbara arpenter les escaliers du cabinet de Boukpessi sous le feu des projecteurs était un évènement.
Au sortir de cette première réunion, on s’attendait à des déclarations fortes, mais que nenni ! Seules les chaises vides des partis de la Dynamique Mgr Kpodzro et la sortie tonitruante du Secrétaire général du CAR Jean Kissi ont fait l’actualité. Les Togolais espéraient voir ce dernier rester dans les discussions pour leur offrir la quintessence des débats, mais le parti de Me Agboyibo en a décidé autrement. Et depuis, les rencontres s’enchaînent, mais chercher à connaître les avancées de ce dialogue c’est comme chercher le sexe des anges. Le sphinx d’Adjengré aurait certainement son plan déjà bien ficelé. Tchambakou Ayassor, Tozim Potopéré et autres Kégbéro sauront se montrer réceptifs aux instructions du vieux renard de la scène politique togolaise.
Depuis quelques jours, dans ses reportages de la messe silencieuse en cours au ministère de l’Administration territoriale, la Télévision Togolaise (toujours elle), présente le ministre d’Etat Payadowa Boukpessi comme rapporteur de la Concertation Nationale des Acteurs politiques que coprésident les représentants d’UNIR et l’UFC. Le rapporteur, habitué des passages en force, a malheureusement ignoré la puissance des images. C’est ainsi qu’à la 9e réunion tenue le jeudi 06 mai, on voit le « commissaire du gouvernement », curieux rapporteur, arborer un large sourire au perchoir dans la peau du réel président pendant que ses deux acolytes assistent à son homélie. Quand on ignore les qualités des communicants dans son cabinet et qu’on s’acoquine avec des apprentis pasteurs, on ne peut que commettre des impairs. Le paralangage, l’ingénieur des ponts et chaussée ne connait pas. Passons !
A la dernière rencontre, on note la brillante absence de Patrick Lawson et Paul Dodzi Apévon. Devenus des cautions de la dynamique Boukpessi devant la fronde de la Dynamique Monseigneur Kpodzro et la lucidité du CAR de Me Agboyibo, l’absence de ces leaders politiques en proie à des critiques est questionnable. En lieu et place de ces derniers, on note toutefois la présence de militants moins connus de leurs formations politiques. Va-t-on vers un fiasco ? Les jours prochains situeront plus l’opinion nationale. Cette tactique n’est qu’une vieille méthode de la classe dirigeante habituée aux fourberies pour conserver le pouvoir.
Flanqué d’un score voisin de 4%, Jean Pierre Fabre et son parti en mal de repère actuellement ont mal calculé le timing de cette rencontre politique. Préférant faire confiance à Boukpessi qu’à ses paires de l’opposition traditionnelle, le parti orange semble inscrire sa rédemption dans des élections régionales, mais la dernière élection à la tête de la commune d’Agbodrafo devrait rappeler à Jean Pierre Fabre et ses militants que pour dîner avec le diable il faut avoir une cuillère longue. Faut-il rebrousser chemin ? Que dire alors de son nouveau positionnement anti-Agbéyomé ? Les interrogations demeurent. Peut-être que les fonctions de maire de la commune Golfe 4 ont vite fait de dissiper les malentendus et que le marcheur de 2010 s’accommode de plus en plus des marchandages. Toutes ces alliances contre nature sont des indicateurs de lassitude et d’une nécessité de renouveler la classe politique.
L’initiation pour Atcholé Aklesso
Du côté du parti de Faure Gnassingbé, la sérénité n’est pas au beau fixe. La fidélité de l’armée donne des gages de solidité à ce pouvoir cinquantenaire. Conjugué à l’ethnocentrisme devenu la règle de gouvernance dans l’administration publique, le pouvoir donne l’image d’une tour imprenable. Mais les ambitions personnelles et la carte de la géopolitique teintées de féminisme que joue si bien Faure Gnassingbé ne fait pas que des heureux dans le rang de ses partisans, surtout les plus conservateurs. Le parti UNIR il y a quelques années semblait prendre des longueurs d’avance dans sa mutation avec de jeunes loups comme Malik Natchaba, Noel de Poukn et autres, mais le recyclage actuel des caciques du système Eyadéma et la résurgence des méthodes de prédation sont des indicateurs d’un revirement. Solitoki Esso, Payadowa Boukpessi, Barry Moussa Barqué, Charles Kondji Agba sont toujours à la manette.
Si ces ministres d’Eyadéma sont plutôt avares en paroles à l’exception du vétérinaire, nombreux sont-ils à caresser le rêve de porter encore une casquette politique. A défaut, ils sont les faiseurs de roi dans leurs préfectures d’origine devant qui les jeunes cadres doivent aller se prosterner pour éviter des représailles ou bénéficier d’une promotion dans l’administration, et les associations de ressortissants sont créées à cet effet.
Atcholé Aklesso, le secrétaire exécutif du parti au pouvoir, coprésident de ce dialogue ronge certainement ses freins. L’actuel président du groupe parlementaire UNIR a plus d’ambition qu’il ne l’avoue. Et l’homme semble avoir le profil idéal pour remplacer Payadowa Boukpessi. Si l’actuel ministre délégué en charge de la décentralisation et du développement des territoires est visiblement réduit à la simple figuration, le profil idéal pour dépoussiérer le ministère de l’Administration territoriale et donner un air de renouveau au jeu politique est sans doute l’ancien préfet de Blitta. Après plus d’une dizaine d’années comme préfet et un passage éclair à la tête du cabinet de ce département, l’homme semble faire le pont entre la vieille garde du RPT/UNIR et les jeunes loups. Certes il a son côté aigre comme l’affectionne le parti, lui qui déclarait il y a quelques mois que quand on vous invite à boire du lait, on ne vient pas compter les bœufs, mais Atcholé parait de plus en plus comme l’idéal garçon de course pour le président de son parti qui se révèle comme fin calculateur, un vrai boulanger. Le parlement actuel n’offrant pas les garantis d’un débat politique inclusif, le Secrétaire Executif d’UNIR devrait faire ses classes aux côtés des politiciens de seconde zone comme Séna Alipui, Abass Kaboua, Innocent Kagbara et autres Antoine Folly, c’est aussi ça l’utilité de la concertation nationale des acteurs politiques.
De la nécessité de repenser la politique togolaise.
Le problème du Togo provient de l’illégitimité de la classe politique actuelle. Les élections sont si galvaudées que l’homme politique ne tire plus sa légitimé du vote populaire. Q’ils soient de l’opposition ou du parti au pouvoir, le sentiment général à leur endroit actuellement est que c’est une bande de copains. Révolu, le temps où Yawovi Agboyibo, Léopold Gnininvi et autre Gilchrist Olympio étaient les bêtes noires du régime. Au Togo, le rêve de devenir ministre est devenu la chose la mieux partagée. Qu’ils soient hauts cadres de l’administration publiques, officiers supérieurs de l’armée ou chefs de partis politique, ils caressent tous ce rêve.
Paresseux devant l’Eternel, pendant que leurs collègues sénégalais ou maliens tissent des réseaux pour valoriser leurs talents à l’international, les commis de l’administration publique excellent dans le zèle politique et le pillage des ressources du pays pour se positionner pendant que certains officiers traquent les activistes politiques de l’opposition au grand bonheur du RPT/UNIR. Ils sont nombreux dans le parti UNIR à caresser le rêve de devenir ministre, mais les contingences de la géopolitique font souvent que peu sont élus. Dans les régions méridionales où le parti au pouvoir peine à séduire, ce sont des élites déracinées qui sont souvent cooptés. Comme des « venus de France » de la Conférence nationale, conscients de leur impopularité, ils s’attribuent souvent le mauvais rôle méprisant à tout étage leurs concitoyens. Le contribuable en droit d’exiger la reddition des comptes et l’amélioration de ses conditions de vie, peut par moment éprouver le besoin de révolte pour exprimer son mécontentement, mais le pouvoir a le monopole de la violence et en abuse allègrement ; résultat : pas de compromis politique. Il est clair aujourd’hui qu’il n’ait point besoin de se forger une carrure politique pour être invité à la « mangeoire » au Togo.
Payadowa Boukpessi, fraîchement nommé à la tête du département qu’il dirige aujourd’hui avait cru bon d’aller faire un petit tour au Ghana. Dans la capitale ghanéenne, l’homme d’Adjengré avait multiplié des rencontres avec des acteurs de la gouvernance locale et de la chefferie traditionnelle dont le ministre du secteur. A son retour, il a su proposer rapidement des textes législatifs pour amorcer convenablement les préparatifs des élections locales et encadrer la chefferie traditionnelle. On peut reconnaître sans craindre de se tromper que ce séjour en terre ghanéenne a fait du bien au natif d’Adjengré. S’inspirant du modèle ghanéen, il a su l’adapter à la sauce du parti UNIR sans grande résistance de l’opposition démunie, faute de force de proposition. C’est fort de cette réussite, qu’il serait plus indiqué que M. Boukpessi reprenne la route d’Accra pour s’initier aux vertus de l’alternance et du renouvellement de la classe politique.
On ne peut rien attendre d’un gouvernement d’amis. Pour aspirer à diriger son pays, il faut mouiller le maillot. Au Ghana, 60% des membres du gouvernement sont issus du parlement. Elus, et ayant un contact avec la base, ils sont à même de porter l’aspiration du peuple. Combien sont-ils dans l’Executif togolais à participer à une élection ? La dictature étant, les nombreuses élites rechignent à se lancer dans ce jeu dangereux et préfèrent s’adonner aux loges. Le système politique ayant une préférence pour les inspecteurs d’éducation nationale, les instituteurs, des agronomes et autres administrateurs civils plus enclins à recevoir des instructions plutôt qu’à innover, l’immobilisme, le déficit de développement et le recul démocratique auquel on assiste ces derniers temps ne sont que les résultats de ces erreurs de casting. Les têtes bien faites sont ouvertes à la confrontation d’idées et donc trop dangereuses pour une dictature militaire. C’est donc logiquement que le pouvoir préfère copter des universitaires sans bases électorales. L’Université de Lomé devenant ainsi un vivier de parachutistes politiques, fournit le plus gros contingent.
Aussi, le régime ne peut trouver meilleur répertoire que là où la dictature académique prend le pas sur la rigueur scientifique, le cercle des nouvelles élites encadrées au mur des tricheurs du Conseil Africain et Malgache de l’Enseignement Supérieur (CAMES) est plus représenté. Dodzi Kokoroko, Akoda Ayewadan, Robert Dussey, et bien d’autres avant eux, le casting est éloquent… mais le contenu vide. Donner une teinture élitique et féministe au gouvernement est la nouvelle trouvaille de Faure Gnassingbé. Pendant que ces inconnus seront occupés à distraire l’opinion par le personal branding, les thuriféraires du régime surfent sur la vague terroriste pour restreindre les espaces de liberté et consolider la dictature. Ainsi, le débat politique auquel le peuple doit s’attendre est corrompu, faute d’acteurs crédibles. C’est en ayant conscience de cette méthode peu orthodoxe de recruter les acteurs politiques dans les sphères de décision que certains leaders politiques au dialogue font le pari de participationnistes et n’entendent pour rien au monde lâcher la perche tendue par Boukpessi. La voix du peuple pesant peu dans la balance, il vaut mieux faire le jeu des tenants du régime.
Organiser des dialogues à la veille des élections n’a rien d’une ouverture politique, mais est une preuve de l’échec du régime à favoriser le choix démocratique par les urnes. Au regard du mutisme qui encadre les travaux de la CNAP, Payadowa Boukpessi ferait mieux d’inviter le plus souvent la musique des FAT pour agrémenter l’ambiance sous les bons airs de l’heureux député de Danyi Abass Kaboua, plutôt que de faire déplacer la télévision nationale pour finalement servir aux citoyens des sourires d’épaves de la politique togolaise.
Mike Almeyda
Source : Liberté No.3384 du 11 mai 2021
Source : 27Avril.com