Au-delà des chapelles politiques qui soupirent pour la succession au fauteuil présidentiel, il se joue à distance un scenario à deux. Après des coups de couteaux derrière le rideau, des conciliabules de nuit et de jour, Agbeyome se hisse depuis le 22 Février bon gré mal gré, comme le creuset populaire acceptable aujourd’hui pour la succession à Faure. On en était là quand le 03 Mai 2020, Pascal Bodjona réapparait sur la scène politique sans outre mesure à côté de son ex patron puis bourreau. Onde de choc pour ces fans. Qu’est ce qui s’est passé entre temps ? Décryptage d’une faïence dans les faïences autour du fauteuil de Lomé 2.
Le premier a très tôt proclamé ses intentions pour le fauteuil pendant que l’autre n’a été reconnu que nuitamment sous ce manteau par ses congénères. « Lui, le gros là, il est Président ? Pourquoi il s’agite autant ? Qu’est-ce qu’il croit ? », a pesté, en ces termes, un des hauts gradés de l’armée au sujet des faits et gestes d’Akoussoulelou Bodjona. Nous étions en Mars 2010. C’était déjà les premiers signaux que le clan a vite vu venir l’ex ambassadeur du Togo aux Usa. La Suite l’homme de Koumea mettra lui-même les autres ingrédients en place.
Les canaux croisés des spéculations
L’an 2010. Quelques mois plus tôt Agbeyome Kodjo ex premier ministre d’Eyadema reconverti dans l’opposition est sorti quatrième des élections présidentielles qui ont accordé un 2e mandat au fils d’Eyadema. Quelques jours après la proclamation des résultats, dans la foulée des contestations par tous les candidats de la victoire proclamée de Faure Gnassingbé, Messan Agbeyome Kodjo monte au créneau et déclare que c’est Jean Pierre Fabre alors candidat de l’Ufc qui est le vrai vainqueur des élections. Au dela de sa sincérité, l’acte est également un positionnement politique pour un nouveau venu dans l’opposition surtout pour un certain Agbeyome Kodjo, un des héritiers pressentis d’Eyadema jusqu’au chamboulement de 2002 corsés par le scenario monarchique de 2005. Agbeyome s’est alors positionné, mais c’était sans compter la patate qui lui sera lancée quelques semaines après. Quelques jours après, soit le 19 Mai à Vogan un groupe de militants conduits par un certain Gaston Vidada s’insurgent contre la reconnaissance par l’ex PM de la victoire de Fabre soutenu alors par une coalition de l’opposition dénommée Frac. Le coup avait une odeur de la maison Rpt (ancêtre de Unir, parti au pouvoir). A l’époque Pascal Bodjona, un autre revendicateur dans l’âme de l’héritage d’Eyadema se trouvait être le ministre de l’Administration territoriale. Un poste qui faisait de cet ex Directeur de Cabinet de Faure Gnassingbé, le roi du peuple, pendant que le fils d’Eyadema était simplement le roi du palais. L’affaire de la dissolution d’Obuts était donc devenue un casus belli sous cap entre deux héritiers d’Eyadema. L’un des actes des plus révélateurs a été le refus de Bodjona de délivrer le récépissé de reconnaissance au parti de l’ex premier ministre malgré le fait que le juge ait rejeté la cause de la clique à Vidada et ordonné le rétablissement d’Obuts dans ses droits. Placé sous le signe du zèle au service de son camp, certains observateurs bien introduits confieront après qu’en fait l’homme de Koumea menait son propre combat. Celui de casser très tôt quelqu’un qui lui ferait évidemment ombrage dans ses calculs secrets de succéder à Faure dès 2015. Des spéculations qui nous seront confirmées plus tard par l’entourage d’Agbeyome qui au sujet, a ricané de Bodjona, la mission confiée à Gaston Vidada n’ayant pu réussir. Obuts ayant finalement obtenu son récépissé la tête haute.
L’an 2011. Apres l’echec du Frac, une nouvelle coalition plus inclusive des forces contestataires du pouvoir de Faure Gnassingbé se met en place. La Coalition Sauvons le Togo (Cst) avec en son sein des partis politiques dont l’Anc de Fabre (parti créé par les ex lieutenants de l’Ufc après l’accord du 26 Mai 2010 entre Gilchrist Olympio et le parti de Faure Gnassingbé) Obuts d’Agbeyome etc ainsi que des associations et mouvements de la société civile avec pour objectif d’en finir avec le pouvoir du prince avant la présidentielle de 2015. La vague Cst en a fait voir de toutes les couleurs au pouvoir de Lomé dès 2012. Mais chemin faisant les investigations révèleront que l’idée et le financement du Cst venaient de la maison même du pouvoir. Les tunnels ont fini par déboucher sur Pascal Bodjona. La stratégie a été pas mal conçue : s’étant déjà positionné auprès d’une large frange de la presse et des mouvements contestataires comme l’homme de contact et de dialogue, il revient simplement à créer un soulèvement populaire pour contraindre Faure à céder le fauteuil et lui Bodjona s’imposera comme la solution acceptable tant pour la mouvance que pour l’opposition. Pas mal imaginé. Seulement l’ex étudiant activiste mouvancié des années 90 a oublié qu’il se trouvait au sein du Cst l’autre héritier d’Eyadema à qui il avait fait bellotte. D’autres canaux révéleront que c’est Agbeyome en substance qui avait vendu Bodjona au clan cinquantenaire. Rebelote donc ! Au finish Bodjona sera éjecté du gouvernement avec le remaniement de Décembre 2012. S’en suivra son chemin de croix avec une abracadabrantesque affaire d’escroquerie internationale qui lui offrira deux séjours consécutifs à la prison.
L’Eglise le nouveau terrain de jeu
Le clergé catholique, voilà l’autre fer de lance des luttes politiques en Afrique. L’attelage avec les revanchards de l’Anc et accompagnateurs n’ayant pas marché le «ministre Grand Format» –surnom donné à Bodjona- a choisi la voix de l’Eglise pour se repositionner. C’est ainsi qu’au retour d’une visite à la communauté St Egidio à Rome après une audience chez le Pape François, Faure Gnassingbé ordonne la libération de son ex bras droit. Les premiers pas d’Akoussoulelou au sortir de la prison de Tsevié le conduiront à la paroisse catholique Marie rédempteur de Bè- Klikamé. Un signe de gratitude mais également de son nouveau positionnement. Et non sans inquiétude pour le pouvoir. A la suite Faure Gnassingbé s’arrangera également pour suivre une messe dans ladite paroisse. Apres la parenthèse tonitruante de la C14, on retrouvera le jeudi 25 août 2019, Bodjona devant l’autel avec comme célébrant l’archevêque de Lomé Mgr Amouzou Dzakpa soutenu par Mgr Kpodzro pour bénir son mariage avec dame Zaina. L’image était forte de messages surtout en ces moments où le très charismatique archevêque émérite Kpodzro avait déjà commencé par appeler tous les opposants à une union sacrée pour une candidature unique et efficace afin de dégager Faure Gnassingbé en 2020. Mais certainement, l’ex ministre d’Etat avait une fois encore tout planifiée sans prendre en compte le come-back inattendu d’un certain Agbeyome. L’ex premier ministre qui coulait jusque-là un partenariat avec le pouvoir qui l’a gratifié d’un siège à la Ceni avec 2 députés au sortir de simulacre de législatives du 20 décembre 2020, fera une volteface en rejoignant le conclave Kpodzro pour la candidature unique de l’opposition. Pour rappel, une certaine anecdote a fait croire que Kpodzro en a été pour beaucoup dans l’exfiltration d’Agbeyome en 2002 quand, au nom d’une nécessité de rénovation du Rpt mal reçue par les caciques il avait alors démissionné nuitamment de son poste de Premier ministre avec dans la foulée un brulot publié contre son parrain feu Eyadema.
C’est dire que de 2002 à 2020 le pont n’a pas été coupé entre l’homme qui n’a pu se retenir de verser de chaudes larmes pour se défendre contre des allégations portées contre lui lors de la conférence nationale souveraine de 1991 présidée alors par Mgr Kpodzro.
Un an plus tard soit en 92 Agbeyome était ministre de l’interieur quand la soldatesque était allée fesser sous le soleil tapant Mgr Kpodzro alors President du Haut conseil de la république, parlement de transition qui avait élaborée la constitution du 14 Octobre 1992. Le pont n’a point été coupé. Et ce n’est pas si étonnant pour qui connait la foi très prononcée de la famille Kodjo.
Cela dit, une fois Agbeyome invité au conclave de Kpodzro pour 2020, Bodjona a vite vu le couperet descendre. Si le choix d’Agbeyome comme candidat unique de la dynamique a été une surprise pour certains togolais, cela n’en a aucunement été pour Bodjona. Une fois encore l’héritier de Yoto a damé le pion à l’héritier de Kouméa.
Au carrefour
Bodjona devait se trouver une autre brèche. Fabre et son Anc sur qui il avait voulu compter hier n’ont plus le moindre ferment depuis qu’ils ont été douchés de 2017 à 2018par la vague Pnp, avant de se faire noyés eux -mêmes dans leurs propres turpitudes face au charismatique Kpodzro pour être finalement enfoncés par la joute du 22 février 2020 avec 4% au tableau. L’ami Akufo Addo du Ghana ne veut plus se confondre dans le problème togolais. Lui-même a une présidentielle à remporter dans quelques mois. Avec Agbeyomé hissé depuis le 22 Février comme la nouvelle figure de proue de l’opposition sous les mains bénites du doyen du clergé catholique, Akoussoulelou a compris que l’encensoir de l’Eglise s’est éloigné de lui pour les calendes.
En manque de carte, il revient à celui-là qui avait clairement déclaré entre temps que personne ne pourra l’empêcher de faire la politique de se repositionner. C’est peut-être ce qui l’a contraint à faire la volte-face du 03 Mai dernier. Mais ça ce sera une autre analyse.
Source : Fraternité
Source : 27Avril.com