Cette sentence est relative à la plainte déposée contre le journal, son directeur et l’auteur de l’article par le Premier ministre Victoire Tomégah-Dogbé, dans l’affaire du jeune homme tué sur la route de Tabligbo. Une condamnation très sévère à la suite d’un procès expéditif qui dénote de la revanche qui se joue contre le journal.
Dans notre parution Liberté N°3702 du 21 septembre 2022, nous avons évoqué le drame qui a endeuillé la famille Adakanou, originaire de Tchékpo, localité située à quelques kilomètres de la ville de Tabligbo. Dans cet article, nous avons rapporté comment au passage d’un convoi, le jeune Yaovi Adakanou, père de famille a été fauché par balle, dans des circonstances floues. « Ce père de famille s’appelle Adakanou Yaovi alias Djoski. Il vit à Lomé et s’est rendu à Gati Kopé (sur la route de Tabligbo) auprès de sa femme et son enfant, comme il en a l’habitude tous les weekends. Ne les ayant pas vus, il a décidé d’aller voir ses parents à Tchékpo et de revenir trouver sa famille sur le chemin de retour à Lomé. C’est lorsqu’il se rendait chez ses parents que le malheur lui est arrivé », avions-nous rapporté.
Par erreur et se fiant aux témoignages et aux sources, le drame a été attribué au convoi de Madame le premier ministre Victoire Dzidudu Sidémého Marie-Noëlle Tomégah-Dogbé.
Dès le lendemain de cet article, nous avons publié un rectificatif pour rétablir les faits selon lesquels Madame le Premier ministre n’était pas dans la localité et que par conséquent, son convoi n’a pu être impliqué dans le drame en question. « Ce drame ayant été malencontreusement imputé au convoi de la Primature, la direction du journal Liberté tient à présenter ses excuses à Madame le Premier Ministre et à toute son équipe pour les préjudices subis », avions-nous écrit pour tenter de nous rattraper. Avant de mettre en Une du journal le titre suivant: « Le convoi de Madame le Premier ministre n’est pas impliquée dans le drame de Yoto ». Ceci pour dire qu’il y a quand même eu un drame à élucider.
Les juges Gnon Clément et le Procureur Toitre et l’avocat de la requérante, Me Jil-Benoît Afangbédji se sont plutôt servis de cette rectification pour nous accuser de bonne foi. Ils ont estimé que l’erratum n’ayant pas été fait dans les mêmes conditions que l’article incriminé, l’acte de contrition n’était donc pas sincère. « C’est un semblant de pardon et ne peut pas être reçu. Qu’on lui applique loi dans toute sa rigueur », a martelé le Procureur Toitre. Notre conseil a alors rétorqué s’il n’en tient qu’à cela, le journal va reprendre la rectification. Mais la requête a été balayée d’un revers de la main.
Malgré toutes les mesures sus-énoncées, une procédure judiciaire a été enclenchée contre le journal Liberté, son directeur de publication et l’auteur de l’article, pour diffamation. Après un premier report de l’audience mercredi 28 septembre 2022, les parties se sont retrouvées hier (ndlr, mercredi) au Tribunal de première instance de première classe de Lomé. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que le journal paie pour ses positions critiques envers la personne du Premier ministre.
Comme un air de revanche du Premier ministre
Savez-vous combien de dossiers sont pendantes et que la justice togolaise peine à évacuer ? Des centaines sinon des milliers. La lenteur de la justice est l’une des causes de la surpopulation carcérale parce que nombreuses sont les personnes détenues de façon préventive au-delà des délais requis, mais dont le jugement peine à se faire. Rien n’est inventé. C’est le cas, pour parler des dossiers les plus célèbres, de l’affaire dite Abdoul Aziz Goma, du nom d’un Irlandais d’origine togolaise détenu depuis décembre 2018 dans une affaire où sa culpabilité traine à être prouvée, et qui n’a pas d’avocat et qui n’a toujours pas encore été jugé. Son cas intéresse les Nations Unies dont des rapporteurs spéciaux ont saisi, le 14 décembre 2021, le gouvernement togolais sur les allégations de détention arbitraire et prolongée de l’Irlandais d’origine togolaise, sans accès à un avocat entre décembre 2018 et octobre 2020. Période pendant laquelle sa santé s’est détériorée gravement.
Le cas de la ténébreuse affaire Tigre-Révolution est aussi un exemple. Point n’est besoin de rappeler les personnes détenues pour des larcins et qui attendent en vain de passer devant les tribunaux. La réforme de la justice n’a pas ôté une seule ride aux mauvaises pratiques de la justice togolaise.
Mais quand il s’est agi du quotidien Liberté et de la plainte de la cheffe du gouvernement, la justice a trouvé les moyens et le temps d’aller très rapidement vers un jugement dont les conclusions doivent justifier la précipitation. Le dossier a été vidé en deux temps trois mouvements.
Une seule journée a suffi pour juger et condamner le journal, le directeur de publication et l’auteur de l’article à payer chacun 4 millions de francs CFA, avec comme « cerise sur le gâteau » trois (03) mois de suspension de parution. La condamnation de LIBERTE, ironie du sort, tombe exactement sur le 05 octobre, une date d’importance dans la difficile marche du Togo vers la démocratie.
Par ailleurs, il y a une autre procédure qui a été introduite à la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication (HAAC) pour les mêmes raisons liées à la parution de l’article.
Il s’agit là d’une revanche que ne manquerait pour rien au monde, le Premier ministre. Car il faut le dire, le journal a souvent été professionnellement critique à l’égard de cette dame qui cumule à elle seule quatorze (14) ans de carrière dans les gouvernements successifs de Faure Gnassingbé depuis septembre 2008. De ministre en charge de Développement à la base, elle n’a jamais été loin de la présidence de la République jusqu’à devenir premier ministre.
Malgré la « remontada » qui se joue contre le journal Liberté, la native de Vo est une personne généreuse, très magnanime même. Il y a quatre ans, en août 2018, c’est avec un cœur d’or que dame Victoire Tomégah-Dogbé avait offert des tricycles habillés en ambulances pour le transport des femmes enceintes de la préfecture de Vo vers les hôpitaux. Quelle générosité ! En ce 21ème siècle où les ambulances ne coûtent pas les yeux de la tête, il faut saluer cette ingéniosité légendaire. Qui a dit que les femmes de la préfecture de Vo ne sont pas aimées par le Premier ministre ?
La générosité du premier ministre s’est également exprimée lors de la pandémie du coronavirus. Très attachée à la vie de ses compatriotes, la cheffe du gouvernement a déclaré devant l’Assemblée nationale qu’aucun vaccin périmé ne sera détruit. En d’autres termes, ils seront administrés. Et pour couronner ce débordant amour pour les Togolais, « nous devons commencer par vous faire peur ». Le journal devra-t-il désormais trembler ?
Ce n’est pas tout, Victoire Tomégah-Dogbé aime tellement les Togolais que son équipe a réussi à leur arracher le faible pouvoir d’achat dont ils disposaient, à travers des mesures impopulaires. Les plus récentes concernent l’augmentation des prix des produits pétroliers dont l’essence super sans plomb et le gaz butane. Pour la transparence dans la gestion des ressources du pays, elle est également au Top, s’abstenant de déclarer ses biens depuis sa nomination en octobre 2020.
Revanche aussi du côté de la justice ? En toute honnêteté, il faut reconnaître que le journal Liberté n’est pas dans les bonnes grâces des juges, surtout les indélicats qui sont majoritaires dans le système judiciaire. A plusieurs reprises, des faits préjudiciables de juges corrompus ont été dénoncés. La sentence peut aussi s’expliquer par les articles de dénonciation que multiplie le journal qui, en rappel, avait épinglé un des magistrats ayant participé à l’audience d’hier dans une affaire d’attribution de lots de terrain à Agoè Klévé.
Quid de la victime ?
Dans cette affaire, tout porte à croire que les circonstances du drame à l’origine de l’article n’émeuvent personne. Celle que l’on surnomme « dame multitâches » pour les postes qu’elle a cumulés, est aussi mère. En tant que telle, elle devrait se sentir profondément touchée par cette affaire qui a coûté la vie à un innocent. Que nenni ! Ce qui importe, c’est que le journal soit muselé, qu’il ait partiellement raison ou tort. Pendant ce temps, ceux qui ont tiré sur Adakanou Yaovi sont libres de tout mouvement. Personne n’est inquiété. Aucune enquête n’a été ouverte à notre connaissance pour élucider les circonstances de ce drame par la justice qui condamne. Pourtant une chose est sure, il y a eu mort d’homme par balle. Et l’impunité ne doit pas prospérer.
G.A.
Liberté
Titre original (Affaire du jeune tué par balle sur la route de Tabligbo/Mme VICTOIRE DOGBÉ RÈGLE SES COMPTES À LIBERTÉ: Le journal condamné à 12 millions FCFA et 03 mois de suspension)
Source : icilome.com