La rumeur devient clameur. Les Togolais n’ont pas encore cerné le contour de la holding Togocom imposée au forceps, fruit de la « fusion » de Togocellulaire et de Togotélécom, qu’une privatisation de celle-ci avec participation majoritaire de la société malgache à hauteur de 51% est décidée. Chose bizarre, le programme de Facilité Elargie de Crédit (FEC) du Fonds monétaire international (FMI) n’a rien dit sur la situation de cette holding. Va-t-on assister comme des spectateurs atones à une énième privatisation qui aura pour conséquence des suppressions d’emplois et autres dégâts collatéraux ? Une chose devient certaine, la marche forcée vers la présidentielle du premier trimestre de 2020 semble actée, au rythme qu’imprimera le régime en place. Car, un financement sur « fonds propres » est le « meilleur moyen » d’imposer ses desiderata aux éventuels observateurs électoraux.
Si le FMI en avait fait cas lors de sa 5ème mission qui s’est déroulée le mois dernier, on comprendrait encore. Aussi, c’est sous un ciel serein que l’information est tombée de la présidence togolaise : privatisation de Togocom. Or, le fruit de la fusion de Togocellulaire et de Togotélécom n’a pas encore mûri, et à ce jour, peu sont les citoyens qui en savent un brin sur cet autre projet. Sans que les dettes des agents envers l’une et l’autre des deux sociétés ne soient épongées.
Le communiqué de la présidence
« Le Gouvernement togolais annonce avoir accepté l’offre remise par Agou Holding, un consortium international de premier ordre, composé d’Axian Group (« Axian ») et d’Emerging Capital Partners (« ECP »), en vue de l’acquisition de 51% du capital de Togocom, holding détenant Togo Télécom et Togocel, pour une valeur d’entreprise totale de plus de 210 milliards de FCFA. Le consortium entend par ailleurs investir 245 millions d’euros (environ 160 milliards FCFA) sur les sept prochaines années pour révolutionner le secteur numérique au Togo. Cette opération vise, par l’entrée au capital de Togocom de deux acteurs internationaux combinant expertise sectorielle et capacité financière, à permettre au Togo de devenir la référence régionale en matière de performance très haut débit, d’inclusion financière et de solutions technologiques pour les entreprises ». Voilà l’essentiel du communiqué de la présidence togolaise. Le reste s’est attardé sur du ripolinage pur :
- Un consortium de premier plan : des détails sur le consortium international composé d’Axian Group et d’Emerging Capital Partners (ECP) qui pousseraient une femme amoureuse à quitter son mari pour lui.
- Une transaction au service de la transformation digitale du pays et des Togolais : il paraît qu’avec cette privatisation, le Togo serait désormais connecté à 100% par la fibre optique et qu’ilsera le premier pays de la région à intégrer la 5G. Et d’autres superlatifs encore à vérifier.
- Un plan stratégique d’envergure pour accompagner cette transformation sur les sept prochaines années : il est chanté un investissement de 160 milliards dans le prochain septennat.
- Fédérer les équipes de Togocom autour d’un projet d’avenir : le communiqué y vante une rémunération future incitative. Doit-on comprendre qu’il n’y aura plus de plan de suppression de postes ?
- Un processus d’appel d’offres rigoureux et transparent : on est en droit de se demander en quoi le processus d’appel d’offres est transparent lorsqu’à l’arrivée, le choix s’est porté sur un consortium, comme c’est souvent l’habitude au Togo, avec les marchés gré à gré devenus la norme en lieu et place des appels d’offres ouverts ? Et contrairement par exemple aux deux banques en voie de privatisation sur recommandation du FMI, rien n’a filtré sur cet appel d’offres. Trouvez l’erreur.
- Le Togo, catalyseur d’attractivité des investisseurs internationaux : 59 places de progression au cours des deux dernières années, voilà ce que mettent en avant les autorités pour brader le patrimoine du pays. Les trois moyens pour réduire la dette d’un pays restent la réduction des investissements, l’augmentation des recettes ou la cession des actifs du pays. Le Togo vient d’opter pour le bradage d’un des actifs qui, ailleurs, est protégé.
Mais rien n’est dit sur le coût des services offerts aux populations. Aucune information sur une quelconque mauvaise santé financière de la holding Togocom. Qu’est-ce qui peut alors justifier cette cabale contre ce patrimoine, si ce n’est la boulimie d’une minorité soucieuse de s’en mettre plein les poches ? Pis, au moment où l’actuel ministre des Finances et le FMI s’échinent à faire baisser la dette du pays par des voies autres que le sacrifice des actifs.
210 milliards FCFA de valeur d’entreprise
« La valeur de l’entreprise est la valeur à un instant t d’une entreprise. Cette valeur évolue de manière continue, notamment si la société est cotée. En effet, la valeur de l’entreprise est égale à la valeur de son actif économique. L’actif économique est, lui, composé des capitaux propres valorisés à leur valeur de marché, c’est à dire de sa capitalisation boursière si la société est cotée », apprend-on sur actufinance.fr. Si le communiqué renseigne que d’autres 160 milliards FCFA iront dans des infrastructures, personne ne sait les directions que prendront les parts des 210 milliards qui seront cédées, soit 210 x 52%, ce qui fait 136 milliards de cession. Car, l’acquisition de 51% du capital d’une entreprise n’est rien qu’une privatisation. Mais où ira cette somme ? Directement dans les caisses de l’Etat togolaisou vers des destinations « fiscalement paradisiaques » qui se cachent derrière ces noms d’entreprises ? Seul des écritures du Trésor public pourraient rassurer. Ce qui est impossible à vérifier. Mais la loi de finances ne trompe pas à certains égards !
Le financement « sur fonds propres » de la présidentielle 2020 garanti
L’opacité nourrit les suspicions. La valeur d’entreprise suppose que la société n’aurait pas de passif qui lesterait ses finances. D’un autre côté, la présdentielle avance à grands pas et le passé renseigne mieux que toute autre mesure. Les législatives ont été financées sur fonds propres, de même que les municipales. Conclusion, les autorités ont filtré l’observation de ces échéances. Et chacun connaît les résultats qui en sont issus. Il est donc à craindre que cession d’actifs donne des ailes au régime qui disposerait de fonds propres une fois encore pour mener l’élection présidentielle « selon son rythme », écartant les observateurs « trop regardants », comme ce fut le cas dans un passé récent. Tout le problème se trouve à ce niveau.
Des partenaires financiers ont souvent proposé leurs aides financières, mais contre une supervision du processus électoral, ici comme ailleurs. Si un gouvernement n’a rien derrière la tête, il n’y a pas de raison qu’il se montre réticent vis-à-vis d’une supervision qui n’a d’autre objectif que de relayer la transparence du processus. Aussi, la réticence d’un régime à bénéficier d’aide contre un regard avisé reste la preuve par quatre que des « fraudes pyramidales » se prépareraient.
Une société « fantôme » au capital de…10.000 FCFA !
Nous avons fureté sur la page du Centre des formalités d’entreprises (CFE) et trouvé que c’est auprès du notaire Piyaki Assoumanou que la déclaration de la nouvelle holding a été effectuée avec pour président, HIRIDJEE Hassanein Shahreza pour une durée illimitée. Capital de l’entreprise, DIX MILLE (10.000) FRANCS CFA, attribué à l’associée unique, la « Société Financière Malgache Limitée ». Le Registre du Commerce et du Crédit Mobilier du TOGO l’a enregistré sous le Numéro TG-LOM 2019 B 2694. Mais nulle part, il n’est mentionné la date du dépôt légal. Comme si tout a été concocté dans la précipitation.
Un passé de privatisations peu glorieux
Les phosphates du Togo ont été privatisés ; le secteur de fourniture de l’électricité aussi l’a été. Mais pour quels résultats ? L’hôtel Sarakawa aussi a vécu cette amère expérience, tout comme l’hôtel 2 Février rebaptisé entre-temps Radisson Blu. Bien d’autres structures passées dans le privé sont en difficultés, mais les autorités ne veulent pas en parler.
Que dit le FMI ?
Depuis mai 2017, le Togo a bénéficié du soutien du FMI pour réduire sa dette et retrouver un équilibre budgétaire et d’autres vertus ayant quitté le pays pour cause de mauvaise gouvernance. Et pendant tout ce temps, seules deux structures bancaires sont souvent revenues sur les lèvres comme devant être privatisées ; et le processus est bien suivi par tous.
En plus, le Togo a bénéficié du programme Seuil du Millenium challenge corporation pour adresser un tant soit peu les secteurs du foncier et du numérique. Il n’a jamais été question de cession de la majorité des actions de Togocom à un opérateur privé. Le pays a aussi annoncé un fonds syndiqué à lever auprès des banques. Mais alors, que s’est-il passé ? Quelle est l’opinion du FMI sur cet état de chose, étant entendu que Togocom ne peut être ignoré dans la macroéconomie togolaise ?
Des interrogations qui méritent pour un Etat respectueux des normes internationales, des explications aux citoyens et médias du pays. A moins que le qualificatif d’« Etat voyou » dont on affuble le Togo ne soit pas usurpé !
Abbé Faria
source : Liberté
27Avril.com