Il y a quatorze (14) ans jour pour jour, Eyadema passa l’arme à gauche, après trente-huit (38) ans de régence sans partage. C’était le 5 février 2005. Tout fut mis en œuvre pour lui faire succéder son fils Faure présenté comme l’héritier tout désigné et le rejeton le plus policé de la fratrie, dans des conditions déplorables. La mort du « vieux » était perçue comme une opportunité d’alternance au pouvoir, du moins d’un changement ou plutôt d’une révolution dans la gouvernance politique, économique, sociale, etc. Faure avait même entretenu l’espoir par certaines déclarations dont la fameuse phrase : « Lui c’est lui, moi c’est moi ». 14 ans après, état des lieux
Dans la mémoire collective, Eyadema incarnait la dictature et ses affres. Son profil de militaire en rajoutait à cette image. Faure était alors peint comme le produit de la démocratie, formé à l’école des Blancs. S’il y a un domaine où le changement devait être notable, c’est au niveau de sa gouvernance politique, économique et sociale. Mais la situation est loin d’être fameuse.
Il avait déjà débarqué au trône dans un bain de sang d’un bon millier de compatriotes. Et le sang a continué à couler jusqu’aujourd’hui. La vie n’a pas plus de valeur à ses yeux que sous Eyadema. Un millier en 2005, une bonne trentaine entre août 2017 et janvier 2018…on tue sans rechigner. Sous le fils, ceux qui réclament l’alternance sont pris pour des terroristes et traités comme tels, froidement abattus, arrêtés et emprisonnés. Il ne fait vraiment pas bien de se mettre en travers de son pouvoir, il te broie.
Les forces armées, formées pour la guerre et la défense de l’intégrité du territoire national, sont devenues ou plutôt restées une véritable soldatesque à la solde du régime. Les militaires sont déversés aux trousses des manifestants aux mains nues et n’hésitent pas à les abattre avec des armes de guerre. La torture et autres traitements inhumains et dégradants restent de pratique et sont même banalisés dans les centres de détention, de même que l’usage des miliciens qui opèrent aux côtés des forces régulières, sans être inquiétés outre mesure ; mieux, ils sont protégés.
Sous Faure Gnassingbé, les élections n’existent que de nom, leur transparence sujette à caution. Au-delà des bourrages d’urnes, la fraude s’est sophistiquée et se fait plus à l’ordinateur. Le nombre de suffrages exprimés peut dépasser de loin celui des électeurs inscrits sur une liste ou dans un bureau de vote, ce n’est pas un scandale. On peut saboter le système VSAT mis en place pour la transmission des résultats et imposer la méthode traditionnelle, saisir les procès-verbaux du candidat de l’opposition pour l’empêcher de prouver sa victoire, proclamer des résultats non authentifiés et certifiés, cela ne gêne pas.
Plusieurs milliards ont été investis par des partenaires occidentaux dans la modernisation de la justice togolaise. Mais cette modernisation est restée à l’étape de la rénovation des palais de justice, de certaines prisons, bref du cosmétique. La justice est restée un instrument de règlement de comptes. Pascal Bodjona, Olivier Amah, les cadres et militants de l’opposition et autres en savent beaucoup.
Sous le fils, on peut brûler des grands marchés en une nuit, détruisant ainsi les efforts de toute une vie des bonnes femmes, sans être inquiétés. A la place des pyromanes et de leurs commanditaires, on arrête des cadres et militants de l’opposition qu’on enferme, juste pour les bâillonner.
Le mensonge et le gangstérisme d’Etat, l’immoralité, la médiocrité sont devenus des qualités (sic) promues. Sur des chaines radios et télés, des officiels peuvent se permettre de mentir comme des arracheurs de dents, insulter, dire n’importe quoi, s’en prendre à l’église et aux hommes de Dieu, les gardiens des valeurs d’éthique, juste pour avoir osé dire la vérité et appeler à la raison. On a à l’esprit les sorties de Yark Damehame, Payadowa Boukpessi, Gilbert Bawara entre autres.
Avec le fils, on peut profaner des mosquées, brûler des corans, stigmatiser les musulmans, il viendra distribuer des corans et des nattes aux musulmans, et l’affaire est bouclée, personne n’est inquiété. Sous son règne, c’est possible qu’un chef d’Etat major général des FAT puisse descendre sur le terrain du maintien de l’ordre, avec un fusil à lunettes et…
L’impunité est l’autre trait caractéristique de la gouvernance de Faure Gnassingbé. Autant sur le plan politique qu’économique, les crimes ne sont jamais punis, les auteurs et commanditaires jamais inquiétés; mieux, ils sont promus. On peut torturer, traficoter des rapports officiels, voler des milliards, on n’a pas à s’inquiéter pour peu que l’on soit dans les bonnes grâces du Prince. Faure Gnassingbé a plutôt ce talent de récompenser les personnes citées dans des scandales.
Les détournements de deniers publics et autres malversations existaient depuis; mais ces fléaux sont institutionnalisés sous Faure Gnassingbé. On ne vole plus en millions, mais en milliards. Un simple ministre peut se permettre de subtiliser plusieurs milliards sur un marché public, sans être inquiété outre mesure. C’est presque tout le monde qui s’y met, de la base au sommet du sommet. Au meilleur des cas, le Prince va attendre pour sauter le ministre fautif du gouvernement, en fait l’arracher un peu des regards pour le renommer après ailleurs. Contrairement au passé où on se cachait un tant soit peu, avec le fils les détourneurs affichent leurs fortunes de façon insolente.
D’habitude, les députés sont élus par le peuple, à travers les urnes. Mais sous Faure, ils peuvent être nommés. C’est le cas avec la 6e législature issue des législatives du 20 décembre 2018 où notamment des gens présentés comme députés de l’opposition, n’ont en réalité qu’été nommés par le Prince haut perché. La confirmation a été indirectement donnée par l’ancien Président de l’Assemblée nationale Abass Bonfoh, avec sa véhémente contestation de l’élection (sic) d’un candidat du Nouvel engagement togolais (NET) dans le Bassar. Il parle d’« arrangement » politique et demande à Gerry Taama de la boucler.
Faure Gnassingbé était peint comme ce qu’il pouvait arriver de mieux au peuple togolais après la mort de son géniteur. Mais 14 ans après, la situation semble empirer. Le Togo est loin d’être plus fertile à la démocratie. L’alternance que le peuple était en droit d’espérer sous lui, n’est qu’à l’étape de rêve lointain. Bien plus, l’homme verrouille son avènement et la repousse indéfiniment. Pendant ce temps, les besoins des populations sont occultés. Il s’agit en fait de 14 ans de gâchis avec Faure Gnassingbé.
Tino Kossi
Source : Liberté No.2852 du Mardi 05 Février 2019
Taxi Media Show de ce Mardi 05 Février 2019, 14 ans après Eyadema
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