Togo, 19 août 2017 et présidentielle de 2020 : De l’espoir à l’impasse. Ce que doit faire l’opposition togolaise pour subsister

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Togo, 19 août 2017 et présidentielle de 2020 : De l’espoir à l’impasse. Ce que doit faire l’opposition togolaise pour subsister

« Etre à la fois sot, fat et bête, c’est trop pour un seul homme qui n’est dépourvu d’intelligence ! Mais qu’est-ce qui lui manque donc ? La connaissance de sa niaiserie ! Ce qui l’étouffe est la pléthore de sa suffisance. Avec un amour-propre moins bouffi et moins bruyant, il serait moins naïf et moins ridicule…», écrit le célèbre philosophe suisse Henri-Frédéric Amiel dans son « Journal Intime ». C’est avec cette assertion qu’on se permet de traiter ce sujet consacré à l’opposition togolaise. Après avoir été « bête » pendant plus de 29 ans, il est temps qu’elle prenne conscience de sa « niaiserie » et qu’elle fasse sa mue dans l’optique des prochains défis politiques et électoraux. C’est le moment de tirer les leçons, de se demander pourquoi elle n’a pas pu bonifier l’élan né des manifestations du 19 août 2017, obligée de se retrouver pour la énième fois dans l’impasse.

De la contestation à l’espoir …

Le 19 août 2017, le Parti national panafricain (PNP) dirigé par Tikpi Atchadam a créé une nouvelle dynamique dans la lutte pour l’instauration d’un véritable Etat de droit au Togo. Des manifestations simultanées organisées aussi bien à Lomé que dans des villes de l’intérieur ont dégénéré faisant plusieurs victimes. « Des tensions sans précédent depuis les marches organisées par le Collectif Sauvons le Togo en juin 2012 », se souvient « Jeune Afrique ». Ceux qui s’étaient gaussés quelques jours plus tôt du PNP et de son leader en disant « PNP c’est qui ? Atchadam c’est qui ? », n’avaient eu recours qu’à la violence unanimement condamnée par les partis politiques de l’opposition et les organisations de la société civile.

Le lendemain, Atchadam qui avait pris ses distances vis-à-vis des autres formations politiques de l’opposition, a lancé un appel à l’endroit de Jean-Pierre Fabre, président de l’Alliance nationale de changement (ANC), alors chef de l’opposition togolaise : « Tout en condamnant la barbarie du 19 août 2017, je demande solennellement et humblement à tous les partis de l’opposition de prendre une part active à cette lutte. La libération du peuple, c’est maintenant ou jamais. Je demande au nom du peuple togolais, au leader de l’opposition, Monsieur Jean-Pierre Fabre, à prendre des mesures nécessaires dans le sens de l’amplification des mouvements à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. Grand frère, l’heure de l’unicité d’actions a sonné. Le peuple togolais nous appelle, tu dois répondre ; et je sais que tu vas répondre ». « Nous répondons favorablement, nous disons que nous avons ouvert les oreilles grandes pour écouter l’appel lancé par Monsieur Atchadam. Et à l’heure où je vous parle, des initiatives sont en cours non seulement dans le sens du PNP, mais également en direction de toutes les forces démocratiques dans le seul but de parvenir au retour de la constitution de 1992 comme le demande le PNP », avait déclaré Patrick Lawson, 1er vice-président de l’ANC, à BBC à l’issue d’une réunion d’urgence du parti.

Bon an mal an, une coalition de 14 partis politiques (C14) voit le jour. Des manifestations regroupant des milliers de militants, se succédaient. L’opposition avait le vent en poupe. Le pouvoir était en perte de vitesse. Et pour sauver la face, Faure Gnassingbé s’est approché de certains de ses pairs de la région ouest-africaine afin de solliciter l’ouverture d’un dialogue, l’habituelle trouvaille gnassingbéenne pour calmer les ardeurs des opposants avant de les couillonner. Le dialogue annoncé allait-il connaître le même sort que la vingtaine déjà enregistrée ? Difficile d’y répondre à l’époque, surtout que l’optimisme était de mise du côté de l’opposition requinquée par le succès de ses manifestations.

« Au début, les présidents Nana Akufo-Addo et Alpha Condé étaient très attentifs à nos revendications qu’ils trouvaient légitimes, confie un membre de la C14 rencontré dans le cadre de la rédaction de cet article. Les réunions à Accra, à Conakry et à Lomé nous ont rassuré que les réformes constitutionnelles allaient être opérées. Des promesses nous ont été faites dans ce sens ».

Au nom de cette confiance absolue en les facilitateurs, la C14 n’a pu contester ouvertement la feuille de route que la CEDEAO a rendue publique le 31 juillet 2018. Alors que la Coalition a pris acte de cette feuille de route tout en relevant des insuffisances, le PNP a trouvé qu’elle est une victoire d’étape parce qu’elle aurait pris en compte 75% des exigences de l’opposition. Entre-temps, le Président nigérian Muhammadu Buhari était même présenté comme celui qui allait en finir avec l’avitaminose démocratique au Togo.

Puis au désenchantement

Plusieurs raisons expliquent ce revirement spectaculaire de la CEDEAO qui s’est finalement dédite en prenant le parti de la « dictature pluraliste ». Mais avant d’aborder ces raisons, il y a lieu de rappeler que le format du dialogue instauré par les facilitateurs n’avait pas permis de faire évoluer les positions. « Nous avons regretté qu’il n’y ait pas eu de discussions directes avec les représentants du pouvoir sous l’égide des facilitateurs. Nous sommes souvent reçus séparément et à la fin, il y avait un relevé de conclusions qui ne font même pas l’objet de débat. Lors de notre dernier voyage à Conakry, il n’a jamais été question d’un débat avec la partie gouvernementale sur les trois jours de recensement qui étaient accordés. Nous avons clairement dit au président guinéen qu’il fallait reprendre tout le recensement alors que lui, il nous disait que le gouvernement ne pouvait accorder que trois jours. Ce que nous avons refusé. Mais malheureusement, c’est la proposition du gouvernement qui s’est retrouvée plus tard le relevé de conclusions », explique un autre membre de la C14.

L’absence de discussion directe a tourné à l’avantage du pouvoir qui a mis en branle sa machine diplomatique. La diplomatie du verbe est allée de pair avec celle du « djembé » et des « valises ». « Au sein de la CEDEAO, chacun a un prix. Des chefs d’Etat aux fonctionnaires de la Commission de la CEDEAO. Plus en contact avec les chefs d’Etat, Faure Gnassingbé et ses réseaux ont su les convaincre. Mais à la C14, nous avons été défaillants sur le plan diplomatique. C’était une grande erreur », déplorent la plupart de ceux qu’on a rencontrés.

Selon les informations, au cours d’une concertation, le président ghanéen avait, compte tenu du blocage et l’urgence de la tenue des élections législatives, proposé à l’opposition qu’il y ait d’abord des discussions sur l’amélioration du cadre électoral avant les réformes constitutionnelles. Une option rejetée par la C14 qui aurait choqué Akufo-Addo. Pour nombre de chefs d’Etat, l’opposition était trop fermée et en avait trop demandé. Le président ivoirien Alassane Ouattara le leur avait même jeté au visage au cours d’une audience accordée à une délégation de la C14 dans la soirée du 31 juillet 2018 à l’hôtel 2 Février. « Il faut vous contenter du peu. C’est ce que j’ai fait en Côte d’Ivoire », leur aurait conseillé celui qui avait pris les armes de dernière génération pour chasser Gbagbo.

En effet, Ouattara avait joué un rôle non moins important dans le statu quo actuel au Togo et dans le dévoiement de la feuille de route. « Il a milité contre l’opposition, affirme une source diplomatique. Et au sein de la CEDEAO, quand il parle, les autres l’écoutent. Ce qu’il a refusé chez lui en Côte d’Ivoire, il nous l’impose au Togo ».

En outre, le fait que l’opposition ait refusé que ses 8 membres désignés, après moult tractations, prêtent serment pour siéger à la CENI, a été considéré par les chefs d’Etat comme une défiance à leur endroit. « On nous l’a reproché à Accra lors du dernier voyage en décembre. C’est comme si tous sont mécontents de l’opposition. A preuve, par rapport à la demande de report des élections, Akufo-Addo n’a rien dit après nous avoir écoutés », indique l’un de ceux qui y étaient.

L’idée de sécurité vendue par le pouvoir avait également marché. En montant une pile de dossiers avec les images des deux militaires tués à Sokodé à la « manière des djihadistes » et les copies des transactions bancaires de certaines ONG supposées proches du PNP, le régime cinquantenaire avait réussi à emballer beaucoup de chefs d’Etat hantés par les affres du terrorisme. « Ils ont cru à ça. Ils étaient choqués. Le pouvoir a même utilisé des images des réunions hebdomadaires où on voit des femmes à part et la non organisation des manifestations de l’opposition les vendredis pour discréditer le PNP, et par ricochet la C14 », avance un diplomate africain. Qu’a fait alors la Coalition de son côté pour changer la donne ? Qu’a fait le PNP lui-même pour apporter des preuves contraires ?

Dans le même temps, Jean-Pierre Fabre, chef de file de l’opposition en son temps, est présenté dans les milieux de la CEDEAO comme une alternative non crédible, « un éternel contestataire ». « Mais nous, nous n’avons rien fait, regrette un opposant. Nous avons été inefficaces sur le plan de la diplomatie. Nous sommes injustement accusés, traités de djihadistes, de radicaux mais nous n’avons rien fait pour amener les gens à changer d’opinion sur nous. Nous avons laissé les mensonges prospérer. Aujourd’hui, le seul fait d’avoir le peuple derrière soi, ne suffit plus. Il faut avoir des relations à mettre à contribution ».

La tenue des élections législatives du 20 décembre 2018 en dépit des incantations sur leur blocage puis sur leur annulation et le satisfécit de la CEDEAO au 54ème sommet tenu le 22 décembre 2018 à Abuja ont sonné le glas de cette opposition qui n’avait pas retenu les leçons du scénario catastrophique d’octobre 2002 qui avait permis plus tard à feu Eyadema de faire sauter le verrou de la limitation du mandat présidentiel.

Et aujourd’hui l’impasse … mais

« La Conférence regrette fortement la décision prise par la Coalition des quatorze partis politiques de l’opposition (C14) de ne pas participer aux élections législatives malgré les efforts considérables déployés par les Facilitateurs pour favoriser des élections inclusives avec une participation équitable de tous les acteurs à la Commission nationale électorale indépendante (CENI) … La Conférence réaffirme son attachement au respect de l’ordre constitutionnel et au renforcement de la démocratie et de l’Etat de droit au Togo et dans la sous-région, conformément aux valeurs et aux normes prévues par les instruments de la CEDEAO, notamment le Protocole additionnel relatif à la démocratie et à la bonne gouvernance », avait indiqué le communiqué du 22 décembre 2018. Le Togo étant désormais un pays normal, selon les « arnaqueurs » de la CEDEAO, l’opposition togolaise n’avait qu’à rentrer dans les rangs. Et au lieu de profiter de cette bérézina pour se remettre en cause et réorienter la lutte, la C14, rongée par des querelles internes et des soupçons de corruption, s’est dépiécée. Chacun est retourné dans sa chapelle avec ses militants qui pour dézinguer les autres, qui pour ébaucher les meilleurs corrompus, qui pour couvrir de lauriers les meilleurs combattants avec leurs envolées lyriques, qui pour applaudir quand les militants du PNP sont zigouillés par la soldatesque…

C’est donc dans ce climat de division, de haine et de récrimination qu’une partie de l’opposition est allée à l’élection des conseillers municipaux organisée par UNIR et pour UNIR. S’étant fragilisée et discréditée sur le plan national et international, elle n’a pu amener le pouvoir à faire améliorer le cadre électoral. Résultante, elle n’a pu rien faire devant les fraudes massives et s’est fait laminer par le parti cinquantenaire et ses satellites. La plupart des localités qui votaient l’opposition, sont tombées dans le giron présidentiel. Même les villes réprimées où le PNP a le vent en poupe, ont, au nom des rancœurs, préféré leurs « zigouilleurs » à leurs amis de l’opposition.

Du 30 juin à ce jour, rien n’a changé sur le plan politique au Togo. La CENI d’UNIR est bien en place, la Cour constitutionnelle d’UNIR dont la recomposition est demandée par la CEDEAO, reste imperturbable, l’état de siège des villes de Sokodé et Bafilo se poursuit, l’opposition et la société civile ne sont pas autorisées à mener des activités dans la ville de Kara, les exactions sur les populations civiles sur la base d’une hypothétique « insurrection militaire » battent leur plein, le pouvoir est toujours autiste aux nombreuses revendications de l’opposition, la CEDEAO et le représentant du Secrétaire Général des Nations Unies en Afrique de l’Ouest sont habituellement silencieux, la révision des listes électorales aussi bien à Lomé qu’à l’extérieur laisse à désirer. Bref, le scrutin présidentiel de 2020 sera organisé dans les mêmes conditions que l’élection des conseillers municipaux. Ce qui n’augure rien de bon pour l’opposition partagée entre participationnistes en rangs dispersés quitte à être ensemble après le premier tour (ANC, CAR, ADDI, PSR), participationnistes avec un candidat unique qui ne doit être membre d’aucun parti politique (C14 qui regroupe finalement la CDPA, l’UDS-Togo, les FDR, les Démocrates et les DSA) et non participationnistes qui se cramponnent à la révolution populaire (PNP). Sans oublier le candidat de la diaspora et les « amuseurs publics » des « boîtes de jour » religieuses qui écument la République.

Par ailleurs, les partisans de l’opposition sont fatigués des élections organisées et volées par les mêmes personnes. Beaucoup n’y croient plus. Déjà, il y avait eu un fort taux d’abstention lors des législatives de 2013. Tout comme à l’élection présidentielle de 2015 où plus d’un million de Togolais n’avaient pas souhaité voter. Et vu le contexte actuel, la situation sera pire en 2020.

De fait, l’opposition toutes tendances confondues a l’obligation de changer son fusil d’épaule. Il est encore temps que les différents courants aplanissent leurs divergences pour arriver à une solution unique et réaliste autour de laquelle l’opposition va réunir les Togolais qui sont lassés d’être la risée de leurs frères de la région ouest-africaine. Tikpi Atchadam doit aller au-delà de ses discours sur les réseaux sociaux et engager des discussions concrètes avec ses pairs surtout avec Jean-Pierre Fabre qui doit aussi faire preuve d’ouverture. Sinon ce n’est pas sage de faire les mêmes choses tout le temps pour les mêmes résultats …

Géraud A.

Source : Liberté

27Avril.com