Contrairement à ce que l’opinion semble penser ; et un parterre des inconditionnels caciques du régime font croire, la crise qui a secoué le régime de Faure Gnassingbé depuis le 19 août n’a pas encore cédé sa place à la sérénité et au contrôle de la situation. La psychose laissée dans les rangs du système et le traumatisme engendré laissent des stigmates qui ne se cicatriseront tant que les acteurs du mouvement du 19 août 2017 restent convaincus et déterminés. Les conditions inédites et improvisées dans lesquelles le pouvoir a été pris au dépourvu par le PNP de Tikpi Atchadam pourront encore se réunir avec la même personne ou toute autre personne. Trop tôt pour se frotter les mains.
« Le chef de l’Etat a circonscris la crise, elle est désormais derrière nous…. Nous avons réussi à maitriser la situation, Faure Gnassingbé a la situation en main……jamais le Togo ne revivra un 19 aout bis… » se pavanent de clamer haut et fort, ici et ailleurs le Chef de l’Etat togolais et ses lieutenants. C’est vrai, la crise a marqué une pause, en attendant 2020. Ils s’en enorgueillissent avec beaucoup d’assurance comptant sur le dispositif antidémocratique et répressif qu’ils mettent en place avec l’armée, l’assemblée nationale, la police et autres institutions à leur solde. Les tenants du pouvoir togolais, pensant que les autres sont anéantis.
Au Togo, c’est le 05 octobre 1990 que le dictateur général Eyadema a été secoué par une révolution populaire, un soulèvement qui a mis à nu ses méthodes autocratiques et son système de gouvernance traditionnel qui ne garantissaient aucun épanouissement au peuple togolais. Pendant ces années 90, malgré les chars et les kalachnikovs, une garde prétorienne composée en majorité de son ethnie, une économie prise en otage, des collaborateurs réduits en des valets marionnettes qui faisaient la volonté du timonier, Gnassingbé Eyadema a courbé l’échine. Le multipartisme est né, la presse libre et critique est devenue une réalité, un référendum a permis de voter une constitution qui lui avait collé derechef un Premier ministre.
Bref, malgré toute sa puissance et son pouvoir de général, il a été convaincu, mieux contraint de partager le pouvoir. Même s’il a tenu tête au changement en corsant le système judiciaire et en brimant systématiquement les libertés avec les chasses à l’homme, les arrestations, les tueries et les atteintes aux libertés individuelles, la vague de la démocratie s’est imposée au Togo sous Eyadema et a balayé son système anachronique fondé sur le non-droit, la non-démocratie.
C’est le même karma qui frappe Faure Gnassingbé aujourd’hui et son pouvoir. Le soulèvement populaire du 19 aout 2017 a permis de voir jusqu’à quel niveau le système politique est vulnérable. Les années 2017 et 2018 ont été dures pour le régime qui est rentré en débandade pour colmater les brèches.
La CEDEAO qui devrait jouer un rôle pour mettre fin au règne sans fin de la famille Gnassingbé a préféré voler au secours de Faure Gnassingbé pour le sortir de situation. La CEDEAO a réussi à mener en bateau le peuple togolais et son opposition en tuant le germe révolutionnaire et lui promettant de l’affranchir du joug de la dictature.
Les décisions qui devraient être prises, avec la feuille de route sont biaisées, les mesures de conformité démocratique sous-régionale qui devraient être appliquées au Togo ont été troquées, la liberté pour le peuple de continuer à manifester son ras-le-bol a été diplomatiquement étouffée.
Au bout de cette forfaiture internationale, un simulacre d’élections législatives avec des députés choisis pour animer une assemblée nationale impopulaire qui a bouclé la tâche de l’Etat de non-droit qui obsédait le système RPT/UNIR.
Les reformes sont taillées sur mesure pour garantir une retraite impunie au Chef de l’Etat et lui offrir encore plusieurs années à la tête du Togo, malgré le quatrième mandat dénoncé par les acteurs du bon sens.
Les libertés publiques sont restreintes avec la loi sur les manifestations corsée pour empêcher toute manifestation politique, bref le Togo a reculé de plusieurs années pour se distinguer comme l’un des Etats du monde où la culture du non-droit est érigée en loi.
Voilà donc jusqu’où, le traumatisme et la psychose nés du soulèvement de 19 aout ont amené le système politique togolais. A l’extrême de l’arbitraire.
Aujourd’hui toutes les cartouches pour soumettre le peuple à la volonté des autorités policières ont été brulées. Toute autre nouvelle stratégie pour contourner ces dérives institutionnelles et juridiques plongeront encore une fois, une ultime fois le pouvoir dans la confusion, cette fois-ci suicidaire.
Tout le monde raille l’opposition. On parle d’incapacité, de division, de mésentente, de conflit. Situation sociologiquement normale pour une opposition qui était éparse avant le 19 aout 2017. Elle restera éparse pour répondre à une nouvelle mobilisation, tant la volonté, voire la détermination du peuple à s’affranchir reste intacte.
Les changements démocratiques ne sont pas statiques et ne se ressemblent pas. Elles sont dynamiques et se fondent sur des éléments déclencheurs uniques en leur genre.
Alors que l’augmentation du prix de la baguette du pain peut emporter un régime militaire bien assis, il faut des artilleries lourdes pour dégager un régime civil. Alors que le vote d’une loi peut mettre fin à trois décennies de règne, l’augmentation d’une taxe peut emporter un système cinquantenaire.
Tout est question d’élément déclencheur, le catalyseur face à la faiblesse d’un système qui s’arcboute sur les instruments étatiques et institutionnels pour combattre son propre peuple. Cela a son temps, juste le temps que le système arrive à la limite du déploiement des moyens de répression.
Pour ce faire, les partis en mouvement, d’opposition doivent maintenir le cap de la mobilisation et de la résistance.
L’élément déclencheur s’autosaisit dans ce cas, souvent par la force des armes de protection du système arbitraire lui-même. Les conditions seront réunies pour arriver à bout de la dictature.
Pour le Togo, deux ans ne peuvent pas être considérés comme du gâchis pour la lutte démocratique. Les deux ans ont permis d’expérimenter le pouvoir RPT/UNIR dans ses faiblesses, dans ses réactions et dans ses limites.
La réaction épidermique et autarcique déclenchée par le test du 19 aout 2017 permet de mieux neutraliser le régime par des outils endogènes et exogènes.
C’est déjà ce que fait constamment les partis politiques, l’ANC dans ses sensibilisations, la C14 dans ses sorties, le PNP dans les discours de son Président.
C’était l’apologie d’une guérilla politique qui permettra de fragiliser le système RPT et ses Brain trusts.
Ils en sont conscients des faiblesses qui marquent leur instinct de conservation de leur pouvoir, ils en sont conscients de la finalité des mesures de protections exagérées, ils en sont conscients de la fébrilité des méthodes qui durent que le temps de leur application. L’opposition a toujours la situation en main, surtout que le peuple reste debout et assoiffé de l’alternance. Le peuple a donc la situation en main. L’opposition garde la main. Le pouvoir RPT/UNIR fonctionne en réaction. Cela ne durera pas longtemps. C’est le mode d’emploi d’une guérilla politique. Pour 2020 qui s’annonce.
Carlos Ketohou
Source : L’Indépendant Express No.477 du 20 août 2019
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