Togo : 15 Candidats déjà pour 2020, Sérieux challengers ou Bradeurs de la lutte?

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Samari Tchadjobo

« Il faut faire la part des choses : créer un cadre de discussion, moi je n’en veux plus pour la simple raison que les ministres qui y viendront ne céderont sur rien. Vous pouvez tout dire. Peut-être, ils n’ont pas reçu d’instructions. Celui qui peut donner ces instructions, il faut aller le voir directement, discuter avec lui… »

C´est en ces termes que s´exprimait le Professeur Komi Wolou, leader du Pacte Socialiste pour le Renouveau (PSR), il y a quelques semaines lors d´une émission. Bizarres propos venant de quelqu´un qui se dit opposant d´un régime de dictature, et qui devrait normalement avoir une stratégie pour faire pression sur le pouvoir qu´il prétend combattre, afin que ce dernier soit obligé de lâcher du lest. Mais au lieu de cela, notre professeur se plaint du fait que les émissaires du régime, pendant d´éventuelles discussions avec l´opposition, ne céderaient rien et resteraient sur leurs positions. Si un opposant tient de tels propos fatalistes, quel est alors son rôle? Pourquoi est-il opposant? Est-on opposant qui veut, ou doit-on avoir une certaine carrure, un certain courage, une certaine stratégie?

Ce comportement du Professeur Komi Wolou n´est-il pas symptomatique de celui d´une certaine opposition togolaise en mal de stratégie, manquant de courage et se mélangeant surtout les pédales depuis l´éclatement de la Coalition des 14, la C14? Cette multitude de candidatures pour des élections présidentielles de février 2020 dont le fichier électoral et les conditions d´organisation sont très loin d´être optimaux, n´est-elle pas la suite logique de ce refus par certains leaders de mener la lutte ensemble jusqu´à la victoire?

Les évènements du 19 août 2017 avaient fait bouger les choses de façon positive et avaient permis à une opposition désemparée de se retrouver ensemble pour exercer une pression sans précédent sur le pouvoir de dictature. Acculé, le jeune dictateur avait dû parcourir les capitales ouest-africaines pour quémander un dialogue qu´il piégera lui-même. La suite, tout le monde la connaît: la peur de perdre leur supposé leadership pour certains, les querelles internes sur la meilleure stratégie ont fini par faire de la coalition des 14 un marché de dupes, qui finit par voler en éclats. Depuis, on a l´impression qu´au sein de l´opposition beaucoup semblent se complaire dans cette méthode qui consiste à caresser le méchant pouvoir de Lomé dans le sens du poil. On va même jusqu´à supplier le régime Gnassingbé d´accepter un dialogue pour qu´on parle de l´amélioration du cadre électoral. Et tout ça, sans aucune pression dans la rue. Certains semblent avoir oublié qu´un régime de dictature n´offre jamais sur un plateau d´or les instruments pour sa propre chute; d´où cette maladroite déclaration du professeur Wolou que j´ai citée plus haut.

Pire, au sein de l´opposition on semble avoir la mémoire courte en oubliant les mascarades électorales suivies de morts de 2005, 2010 et surtout la honteuse comédie de Tafa Tabiou de 2015. On se bouscule au portillon pour la prochaine mascarade de février 2020, alors que les conditions sont toujours à l´avantage de la bande à Faure Gnassingbé. Si on soustrait les candidatures de ceux qui se disent de l´opposition, mais ne le sont pas, nous comptons plus d´une demi-douzaine de candidats déclarés de l´opposition ou proches. Si nous prenons en compte le caractère bancal du fichier électoral et tous les instruments de fraude difficilement contrôlables par l´opposition, on se demande pourquoi cet engouement pour un scrutin joué d´avance. Y a-t-il d´autres intérêts en jeu pour les différents candidats que nous ignorons? Certains observateurs de la vie politique togolaise n´hésitent plus à parler de sabotage délibéré de la lutte du peuple.

Monsieur Jean-Pierre Fabre que nous avons joint au téléphone, il y a plus d´une semaine, s´étonnait que M. Satchivi ait choisi le siège de son parti ANC pour démarrer sa grève de la faim. Pour le leader du parti orange, tout avait été clair lors de leur dernier congrès quant à la problématique de la candidature de Faure Gnassingbé en 2020; c´était niet pour la candidature du Président de fait du Togo qui est entrain de boucler son troisième mandat. Mais ce que beaucoup de Togolais ne comprennent pas, c´est le fait que la formation politique de Monsieur Fabre n´entreprenne rien pour empêcher Faure d´être candidat, mais exprime plutôt sa volonté de se présenter aux élections de février 2020.

Nous estimons qu´il y a contradiction quand on dit être contre Faure Gnassingbé comme candidat en 2020 et en même temps on ne fait rien pour l´en dissuader, mais on reste dans les starting-blocks pour les présidentielles dont tout le monde vilipende le fichier électoral et les institutions à la botte du régime. Nous déplorons ce manque de prise de position claire pour un »non à la quatrième candidature de Faure Gnassingbé en 2020″ de la part d´anciens partis de la C14, comme la CDPA, le CAR, Le Parti des Togolais…. et surtout l´ANC qui reste l´une des plus grandes formations politiques au Togo.

Une chose est sûre: sans avoir auparavant lutté et libéré le Togo du système Gnassingbé, les vraies valeurs démocratiques, qui ont cours autour de nous, auront de la peine à s´incruster durablement sur la terre de nos aïeux. Aucun parti politique de l´opposition n´a le droit de faire ce qu´il veut tant que notre pays reste une dictature. C´est ensemble que nous devons lutter et gagner, et si nous ne prenons garde, c´est ensemble que nous allons périr. C´est pourquoi même après trois décennies, le slogan de Tchèkpo du Professeur Gnininvi est toujours d´actualité: « Démocratie d´abord, multipartisme après. » Et dans la même logique, le leader du Parti National Panafricain, Salifou Tikpi Atchadam rappelait, il y a quelques mois, le vrai sens de notre lutte: « Liberté d´abord, démocratie après… cette lutte est d´abord une lutte pour la liberté, et non une lutte pour le pouvoir… »

Samari Tchadjobo
23 décembre 2019
Hanovre, Allemagne

Source : 27Avril.com