Témoignages: l’émouvante expérience d’un fils d’Agboyibo en France

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Une fois n’est pas coutume, je souhaiterais parler en mon nom, en tant que co-fondateur et président, pour réagir face à l’actualité.

Nos avancées au cours des deux dernières années m’ont permis de prendre conscience que c’est en partageant qu’on peut faire avancer la discussion.

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Le mardi 2 juin dernier, j’ai constaté sur les réseaux sociaux que tout était noir. Je ne comprenais pas ce qu’il se passait. Je gérais une urgence, à savoir la disparition de mon père survenue quelques jours plus tôt.

Un père avocat, défenseur des droits de l’homme et de la justice durant 50 ans. Un père auprès duquel je n’ai pas grandi mais dont le combat et la carrière politique ont rythmé ma vie.

Un père qui après avoir frôlé la mort en avril 2010, a pris le temps nécessaire pour me permettre à moi, jeune noir de France, de comprendre d’où je venais.

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Je n’avais aucune idée de la portée des échanges initiés à partir de juin 2010. Ne pouvant me rendre à Paris pour le soutenir au moment de rendre son dernier souffle, je me suis spontanément dirigé vers Kouvé – notre village.

La mort est la seule certitude que nous avons quand nous arrivons sur Terre. Sans cette étape, la vie n’aurait probablement pas le même sens. Cette composante nous oblige à nous poser la question de ce pourquoi nous sommes là.

Cette pensée peut effrayer et pousser à chercher des échappatoires. L’humain a la faculté de rêver, de raconter des histoires et est capable des plus belles innovations.

Ces notions sont belles tant que la quête des uns ne se fait pas au détriment des autres. Le monde dans lequel nous vivons ne respecte malheureusement pas ce principe.

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Le Covid19 nous a ramené à certaines réalités et notamment notre rapport au temps. Notre course effrénée contre la montre, le temps, la mort nous empêche de vivre.

Ma vie, j’ai pensé qu’elle s’arrêtait quand je suis rentré au Togo en juin 2013. Après 14 ans en France, ce retour n’était pas vraiment planifié. J’ai rejoint la région parisienne à l’âge de 13 ans et 1 mois.

1 mois qui a eu toute son importance lorsqu’en mai 2011, la circulaire Guéant a été introduite. 1 mois qui ne m’a pas permis d’être naturalisé car le système informatique ne m’avait pas reconnu à mes 18 ans.

1 mois qui a compliqué mes débuts dans la vie active. 1 mois qui ne m’a pas permis, 20 ans plus tard, d’aller dire au revoir à mon père hospitalisé à Paris.

J’étais étranger en France et la circulaire compliquait l’accès à l’emploi pour les gens comme moi. Je me sentais français, je me sentais chez moi. La circulaire n’a pas ébranlé mon amour pour la France, elle m’a juste rappelé que je venais de quelque part.

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En plus d’être guidé par mon père, j’ai eu la chance de rencontrer Dr Raymond Johnson, pionnier de la psychiatrie au Togo, qui est lui-même passé par l’école de Lacan et de Levy Valensi.

Âgé de 88 ans en 2013, « Pepe » comme on l’appelle affectueusement, ne recevait plus grand monde. Dès notre premier échange, Pepe m’a demandé ce que j’aimais et nous nous sommes raccrochés au basketball et à ma volonté d’éduquer par le sport. Pepe m’a encouragé à créer pour les enfants ce que j’aurai aimé qu’on fasse pour moi.

Le programme Milédou m’a permis de me construire. J’ai grandi en étant bègue, j’ai longtemps souffert d’énurésie, j’ai été caché pour fuir les représailles liées aux prises de position politiques de mon père. La peur faisait partie de ma construction.

Pepe a attendu 4 années avant de me confronter à certaines questions sensibles. La découverte de soi peut être ressentie comme un fardeau et la compréhension de l’origine de l’atrocité de l’homme peut effrayer.

La Fondation Obama m’a permis d’entrevoir une lueur d’espoir en juillet 2018. Comprendre est une étape, agir en est une autre. Agir m’a permis de vivre dans l’espoir et de mieux comprendre mes peurs.

C’est en étant en mouvement, en me mettant au service des autres, en écoutant et en échouant que j’ai pu apprendre. Milédou n’est pas qu’un réseau d’éducateurs, c’est un mouvement et un état d’esprit à cultiver : être avec soi pour pouvoir être avec les autres.

J’avais trouvé mon équilibre et mon bonheur au sein de ce projet quand la NBA m’a proposé, en février dernier, l’opportunité de rejoindre la Basketball Africa League (BAL) une ligue panafricaine en collaboration avec la FIBA – Fédération Internationale de Basketball.

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Prendre du recul par rapport à Miledou n’était pas une décision simple mais nécessaire pour continuer à grandir et à remplir cette mission de contribuer à créer sur place ce qui fait rêver les jeunes ailleurs.

La prise de position empathique vis-à-vis de la contestation actuelle aux Etats-Unis par la NBA s’inscrit dans la lignée de celle de la crise du Covid 19. Les enjeux économiques ne devraient pas nous empêcher d’être humains.

La NBA a pris les devants pour ouvrir la discussion autour du racisme. Dans un groupe restreint, un collègue « blanc » a livré qu’il était confus face à la situation. Un autre basé à New York m’a écrit pour me dire qu’il était à mes côtés.

Il faisait certainement allusion à ma couleur de peau et non au décès de mon père. Je lui ai répondu qu’on était ensemble et au fond de moi, je me demandais lequel de nous deux avait besoin d’aide.

Il y a un temps pour tout. Les tentatives vont être maladroites. Les colères et les frustrations doivent sortir mais ne nous trompons pas d’ennemi. J’étais aussi confus quand je me suis reconnu dans la masculinité parfois nocive.

J’étais aussi confus quand j’ai compris mon rejet inconscient de ma couleur de peau. J’étais aussi confus quand j’ai compris que je suscitais de la peur auprès de certains de mes collaborateurs.

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J’ai appris à lire, à écouter, à observer, à gérer mes émotions. Je me suis éduqué et je continue d’apprendre. Je n’aurais jamais pensé il y a deux ans être capable de m’ouvrir à mes collaborateurs à propos de ma santé mentale et les encourager à en faire de même.

Le tout n’est pas de se lancer dans une introspection. Freud a reconnu que pour être complète, sa science basée sur la déconstruction devrait être accompagnée d’une action permettant la réconciliation avec soi.

Le racisme, la masculinité toxique et les inégalités sociales sont des conséquences d’un mode de vie. Libre à nous de trouver les ressources en nous pour proposer une alternative.

Nul ne devrait se cacher derrière l’excuse de l’ignorance ou du déni. Nous voyons tous que quelque chose ne va pas. Dans un monde aussi globalisé, ne pas réagir serait une forme de consentement.

Le changement passe par des actes, même les plus simples. Je remercie mon père d’avoir eu le courage de partager au cours des dix dernières années. Nous traversons tous quelque chose. Pour continuer à aller chercher une meilleure version de nous-même, l’humain en chacun de nous, il suffit parfois de regarder autour de soi. »

Jean-Luc Kossigan AGBOYIBO

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Source : Togoweb.net