Suspension d’un superviseur du Bac: Le majestueux zèle de Ihou Wateba

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On n’a pas fini avec les sujets à relents politiques soumis aux candidats du brevet du premier cycle, que le ministre de l’Enseignement supérieur en fait les siennes lors de l’examen du baccalauréat. Il a suspendu un superviseur d’un centre d’écrit  pour avoir interdit l’accès aux  salles d’examen au préfet des Lacs. Alors qu’au vrai, le superviseur n’aurait fait qu’appliquer une disposition de l’office du Bac, la structure organisatrice de l’examen.

Les faits

La scène s’est passée la semaine dernière au lycée d’enseignement général d’Agbodrafo situé dans la Commune Lacs 3. Selon les recoupements, le préfet était arrivé très en retard alors que les candidats étaient déjà concentrés sur les sujets.

« L’épreuve avait débutée à 7h30 mn. Alors que le préfet et une délégation composée du maire, du chef d’inspection et d’autres personnes étaient arrivés à 8h30 », nous a dit une source du lycée qui a requis l’anonymat.

Une autre source précise qu’« ils voulaient rentrer dans certaines classes pour parler aux élèves et c’était à ce moment que le superviseur a opposé un refus ». Le superviseur, poursuit notre informateur, « ne voulait pas que les candidats soient perturbés car le temps accordé au sujet ne sera pas rallongé ». Un refus bien fondé. Mais, pour Majesté Ihou Wateba, le superviseur a commis un crime.

Crime de lèse-Majesté

« Il est porté à ma connaissance votre refus d’accès aux salles d’examen du centre d’écrit du lycée d’Agbodrafo au préfet des Lacs, représentant de l’administration territoire, co-organisateur du baccalauréat dans les territoires », lit-on dans une note du ministre à l’endroit du superviseur.

Plus loin, le couperet. « En attendant que vous nous adressiez, sous soixante-douze (72) heures, une lettre d’explications circonstanciée sur vos comportements préjudiciables au représentant du pouvoir central au niveau concerné, nous vous signifions que vous êtes relevé de vos fonctions de superviseur du baccalauréat en cours, dès réception de la présente lettre », sanctionne le ministre de l’Enseignement supérieur.

D’abord, il faut relever une incongruité dans la démarche de Ihou Wateba. Il sanctionne avant de demander une lettre d’explication ! La logique serait les motifs avant de prendre toute décision. ” Assurons-nous bien du fait, avant que de nous inquiéter de la cause”, dit Bossuet. Fastoche.

Ensuite, on pourrait se demander s’il y a urgence à sanctionner avant de savoir les raisons qui ont conduit le superviseur à interdire les salles d’examen au préfet et sa suite. Visiblement, il n’y aurait aucune urgence. Le bon sens, serait de laisser le superviseur faire son travail et lui faire des remontrances (s’il y a en a) à la fin de l’examen.

L’empressement du ministre de l’Enseignement supérieur trahit sa position de « subalterne » devant le préfet. Aussi l’emploi récurrent du « représentant du pouvoir local » est-il une béquille sur laquelle il s’appuie pour punir le superviseur. Le préfet est brandi comme un épouvantail, ou un intouchable devant qui le ministre se plie à quatre pattes pour motiver une sanction qui violerait une disposition de l’office du baccalauréat placé sous tutelle de l’Enseignement supérieur.

Et pourtant

En analysant la note de Ihou Wateba, à aucun moment, il n’a motivé sa décision par un article ou une disposition qui régit les conditions de surveillance d’examen au Togo. A-t-il oublié ? Ce n’est pas évident. Le ministre ne peut oublier les règles qui entourent les examens que son département organise.

Faut-il, le relever, le baccalauréat est le premier diplôme universitaire. Et c’est pourquoi il dépend de l’Enseignement supérieur. Alors si l’ancien n’a pu justifier sa sanction, on peut se demander sur quoi s’est fondé le superviseur à refuser d’accès préfet ?  Y aurait-il une attitude de défiance envers le fameux représentant du pouvoir central ?

Selon certains enseignants, le superviseur n’a aucunement tort en interdisant au préfet d’entrer dans les salles. « C’est une disposition qui interdit l’accès des classes d’examen aux journalistes et à toute personne étrangère sans permission du superviseur », nous confie un enseignant qui affirme avoir été plusieurs fois superviseur lors du baccalauréat. Il est clair que le superviseur n’a commis aucune infraction. Son tort est d’avoir voulu protéger les candidats du spectacle annuel et rébarbatif que se donnent certaines autorités surtout à ces périodes d’examen.  Il a oublié que le zèle fait que certains ministres confondent tout.

Le cas Wateba

On a cru qu’il s’est assagi ou a été recadré. Le ministre n’a rien de majestueux dans ses prises de décision ou sorties. C’est, tout le contraire de son prénom. Majesté Ihou Wateba a multiplié les frasques depuis qu’il est parachuté ministre. L’ancien doyen de la Faculté des sciences de l’Université de Lomé, s’est complètement métamorphosé. Le bref « séjour carcéral » à l’ex- Service d’investigation et de recherches (SRI) aurait entraîné sa mue.

L’universitaire a surpris plus d’un lorsqu’il a apporté son soutien à sa cheffe du gouvernement, Victoire Tomegah-Dogbè. Cette dernière avait engendré une polémique lorsqu’elle avait déclaré devant les députés qu’« aucun vaccin ne sera jeté » ou « Nous devons commencer par faire peur ». On était au temps du Covid-19. On pourrait concéder à Ihou Wateba qu’il était dans son rôle de zélé. Le bon sens et sa qualité de médecin lui recommanderaient de se taire ou d’être mesuré dans ses propos. Mais il a troqué sa toge de scientifique pour celle du griot. Drôle de majesté !

Les frasques, il en multiplie. C’était comme si à la suite de sa nomination l’infectiologue a été infecté par le virus de la frénésie. Il ne pouvait pas s’empêcher de porter des brider à ses libres cours. Peut-être pour lui, être ministre est le point d’achèvement à ses ambitions. L’ancien doyen ne pouvait pas rêver mieux même en tronquant les aspirations du Syndicat national des praticiens hospitaliers du Togo (Synphot) dont il est membre.

Gbedemah, un modèle inspirant

Cet acte de Ihou Wateba rappelle celui posé par Gbedema, l’ancien directeur du Collège protestant de Lomé. En convoquant, les parents d’élèves de son établissement dans lequel étaient inscrits certains rejetons de Gnassingbé Eyadéma, les zélés du régime à l’époque lui avaient rétorqué son culot de convoquer l’ancien chef d’Etat. « J’ai convoqué les parents d’élève et non le chef de l’Etat », avait répondu sobrement le géographe-directeur à ses détracteurs qui voyaient dans son acte une outrecuidance. Cette anecdote illustre le rôle que jouent depuis des lustres les zélés de ce système. Car, à la suite de son geste, Gbedemah sera affecté plus tard au Collège protestant de Kpalime.

C’est dire que les habitudes des sbires du pouvoir cinquantenaire n’ont pas changé. Elles se sont d’ailleurs endurcies et sont prêtes même à violer certaines dispositions. C’est caractéristique des régimes autocratiques dont le règne a émasculé les esprits. Et comme le dit si bien, l’écrivain togolais Theo Ananissoh, « Chez l’humain, il en coûte cher de soumettre son intelligence et ses capacités personnelles à qui est moins bien que soi ».

L’Echiquier N°082

Source : icilome.com