Sous une gouvernance d’insouciance

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images prises dans un centre de santé à l’intérieur du pays dont les responsables ont requis l’anonymat pour leur propre sécurité. Crédit photos: A. Lemou

Le 08 mars dernier, tous les départements ministériels au Togo se sont mobilisés à leur manière pour célébrer le mois de la femme. Les populations ont eu droit à des grands discours à profusion, célébrant les mérites de la femme togolaise, celle qui porte la vie, celle qui leur a donné la vie. Dans quelles conditions donne-t-on la vie au Togo?

Ils ne s’en préoccupent pas; ces grands ministres, ces grandes femmes bling bling qui tournent autour du chef de l’Etat sans aucune gêne alors qu’elles savent dans quel état sont les maternités (s’il y en a) et les salles d’accouchement au Togo.

Dans le centre hospitalier régional de la capitale (CHR Lomé commune), la table d’accouchement est toute en rouille, les murs teintés de sang et le tout dans une odeur à vous couper le souffle. Dans d’autres centres, c’est des mottes de terre crépis au ciment, des carreaux pour les plus luxueux voire des tables en métal pour d’autres qui servent de dispositif pour accueillir les nouveau-nés. Rares sont ces salles d’accouchements où on trouve un dispositif conventionnel de notre époque.

L’expérience de ces endroits est si insupportable pour des humanitaires et volontaire français, américains… qu’on y surprend parfois en grandes pleurs pour avoir assisté à des scènes terribles, voir inhumaines dans les couloirs de nos hôpitaux.

« Parfois tu tiens un bébé fraichement sorti des entrailles de la mère. Tu vois que l’enfant a besoin de réanimation. Nous n’avons pas l’équipement pour ça. Soit tu le fais avec ta bouche, sois tu perds l’enfant», a témoigné une sage-femme.

Et une autre de renchérir : « Nous avons des femmes en travail, qui sont à la fois traumatisées par la douleur de leur état, mais aussi par la hantise de voir du sang un peu partout sur les murs, la table d’accouchement rouillée toute aussi horrible à tel point qu’il y en a qui développent des allergies accentuées desquelles elles ne guérissent plus jamais de leur vie ».

Pendant que les gouvernants se plaisent à justifier cet état de chose, le mal continue et les autres citoyens ne s’en émeuvent pas.

À l’intérieur du pays, plusieurs salles d’accouchements dans les unités de soins ont été équipées par des touristes humanitaires qui n’arrêtent pas de se demander comment les gouvernants arrivent à dormir avec tout ça sur leur conscience. D’autres citoyens jouent sur les fibres de neutralité et d’impartialité pour soulager leur conscience et se soustraire de ces crimes.

Entre ceux qui détruisent la loi et ceux qui l’observent, point de neutralité possible. Neutralité ne veut pas dire impassibilité, mais impartialité ; or, il n’y a pas d’impartialité possible en présence du droit et de la justice violés par le crime. Dixit Ruy Barbosa de Oliveira

La pratique le plus ordinaire, c’est quand, dès l’accouchement, la mère et le bébé sont évacués dans une salle d’hospitalisation commune où, le bébé dont le système immunitaire est très fragile, doit vivre avec des patients hospitalisés pour des pathologies variées avec tous les risques de contagions possibles. « Nous n’avons pas de maternité », se plaignent les soignants.

Quand un journaliste, un défenseur des droits de l’Homme ou un professionnel condamné à vivre ce genre de scènes tous les jours presque de sa vie, tentent de dénoncer ces situations, les gouvernants s’enflamment. Ils vont les cataloguer et les taxer de « journalistes militants, activistes, société civile à clivages politiques, djihadistes (sic)… ».

Les citoyens manifestants sont qualifiés de « violents, djihadistes » au Togo. Les dirigeants se sentent tellement fiers de leurs décisions politiques qu’ils n’arrivent pas à croire que des citoyens contestent leur système de gouvernance. Depuis quelques semaines, l’opinion attend de voir quelles épithètes ils réservent à ces femmes enceintes dans les rues qui réclament des hôpitaux et du personnel soignant pour donner des vies sans risquer la leur.

Ces grandes décisions économiques qui ont du mal à faire le bonheur du Togolais lambda

« Le premier objectif de la gouvernance est d’apprendre à vivre ensemble et à gérer pacifiquement la maison commune ; d’y assurer les conditions de la survie, de la paix, de l’épanouissement et de l’équilibre entre l’humanité et la biosphère », dixit Pierre Calame, un ancien haut fonctionnaire du ministère français de l’Équipement, auteur de plusieurs essais sur le rôle et la place de l’État dans la société contemporaine.

Alors qu’il se préparait activement à reconquérir le pouvoir en avril 2015, Faure Gnassingbé comptabilisait et prévoyait en ces termes : « En 2010, je me suis engagé à…Réduire la pauvreté et assurer de meilleures conditions de vie et le bien-être partagé aux populations (…) Les résultats escomptés des engrenages vertueux de la croissance et de la modernisation du Togo devront vite renforcer la protection sociale et la solidarité à la base. On ne peut demander durablement des efforts à tous et attendre que l’énergie d’un peuple produise des effets positifs, sans imaginer en retour une juste redistribution, une équitable répartition des fruits de la croissance au profit de chacun et d’abord des plus démunis »

Pourtant, il meurent sans cesse des dizaines de bébés par jour dans les centres hospitaliers, sans compter ces dizaines d’autres personnes qui perdent également la vie faute de soins ou d’équipement adéquats dans les hôpitaux. Et dire que pour 5 millions de dollars US soit moins de 3 milliards de F CFA, on a réussi à dresser la clinique BIASA, l’une des plus modernes formations sanitaires privées au Togo.

Après avoir conquis le fauteuil pour la troisième fois, le fils du général Eyadema s’est emballé dans une pile de projets pour lesquels il contracte de gros crédits au nom du gouvernement à des fins de financement des infrastructures de luxe dont l’urgence est très discutable : Une nouvelle aérogare à 98 milliards de F CFA et un hôtel huppé à 40 milliards de F CFA. Les gouvernants s’endettent pour financer les infrastructures de luxe.

Il est clair qu’avant ces investissements colossaux, aucun citoyen n’avait eu à perdre la vie pour manque d’hôtel de luxe et l’aéroport de Lomé fonctionnait sans encombre. Paradoxalement, on signalait déjà des dizaines de morts par jour dans les centres hospitaliers publics du pays pour manque d’équipements et de gestion adéquate.

Que des citoyens meurent par dizaines dans des hôpitaux publics, qu’est-ce que ça peut faire à un régime qui est venu aux affaires grâce aux massacres de plus de 500 citoyens ? Rien d’inventé ici, c’est selon le rapport de la mission de Nations Unies sur les tueries de 2005

A. Lemou

Source : www.icilome.com